Chapitre 19

Dans certaines situations, faire alliance peut s’avérer utile. Dans d’autres, c’est une question de vie ou de mort.

Mais une alliance doit toujours être envisagée avec prudence. Elle doit reposer sur un bénéfice mutuel. Tant que ce bénéfice existe, l’alliance tiendra. Mais les besoins peuvent changer, et les bénéfices s’amoindrir. Viendra alors peut-être le jour où l’un des alliés réalisera qu’il a plus à gagner à trahir l’autre.

Le guerrier doit garder à l’esprit que de tels revirements sont possibles s’il veut pouvoir anticiper un coup en traître et y survivre. Fort heureusement, il existe des signes avant-coureurs permettant de planifier et de mettre en place sa défense.

Il arrive également que les changements puissent renforcer encore davantage l’alliance qui unissait deux parties. Cela est rare, mais possible.

 

 

— Cet assemblage de quatre cépages est vraiment le meilleur, s’extasia Dame Teeyr Hem en caressant de ses longs doigts phindiens la bouteille qu’avait apportée Arihnda. Je vous suis bien obligée.

— Je suis ravie que cela vous plaise, dit Arihnda. Quant à moi, je vous suis fort obligée de l’attention que vous portez aux projets de Stratosphère.

— Votre vision est proche de celle que mon mari et moi-même avons, répondit Dame Hem, sans cesser de caresser délicatement le col de la bouteille. Cela n’a pas dû être simple de trouver ce vin.

— Ce fut un plaisir, lui assura Arihnda.

Cela avait été un sacré défi, pour tout dire. Il lui avait fallu visiter une trentaine des meilleurs cavistes du District Fédéral et étudier des étiquettes pendant des heures pour trouver le millésime, l’assemblage et la texture qu’elle savait appréciés de Dame Hem.

Mais elle était récompensée. L’expression sur le visage de la Phindienne n’avait pas de prix.

— Je dois vous laisser, ajouta Arihnda en se levant. Je voulais simplement vous offrir ce modeste présent en remerciement et vous demander si le Sénateur Hem avait eu le temps de lire le document que je lui ai envoyé.

— Il l’a lu, répondit Dame Hem dont les doigts glissaient à présent vers l’étiquette en relief de la bouteille. Je crois qu’il souscrit à vos intentions et à vos plans. Mais je lui en parlerai cette nuit.

Elle cligna rapidement des yeux, ce qui, chez son espèce, était l’équivalent d’un large sourire.

— Autour d’un verre de vin, peut-être.

— J’attends sa réponse, dit Arihnda en souriant à son tour. Au plaisir de vous revoir, Dame Hem.

— Au revoir, ma bonne amie Arihnda Pryce.

Driller fut, sans grande surprise, atterré.

— Deux mille crédits pour une bouteille de vin ? s’exclama-t-il en découvrant le reçu d’Arihnda. Tu as perdu la tête ?

— Les Phindiens sont une espèce très portée sur la technologie et totalement dévouée à leur famille, lui rappela Arihnda. Et tout particulièrement en ce qui concerne le Sénateur Hem. Une simple bouteille du vin préféré de sa femme et on l’a dans notre poche.

— Ce n’est pas exactement ce que j’appellerai une simple bouteille, grogna Driller. Est-ce que ça va t’ouvrir les portes de son bureau, au moins ?

— J’espère recevoir une invitation d’ici la fin de la semaine, lui assura Arihnda. Eh oui, je suis sûre de pouvoir obtenir de lui les chiffres du budget militaire de la Marine et d’apprendre dans quelle mesure les Sénateurs le soutiennent. Les vrais chiffres, pas les officiels.

— Parfait, dit Driller. Savoir où va l’argent permet d’évaluer les sommes qu’il reste aux écoles et aux hôpitaux.

— Absolument, convint Arihnda en souriant pour masquer un soudain accès de mépris.

Croyait-il vraiment qu’elle était naïve et stupide à ce point ? Apparemment, oui.

— Alors, y a-t-il une autre personne à qui tu souhaiterais que je parle de Stratosphère ?

— Voyons cela, répondit-il en consultant son datapad. Deux Gouverneurs sont de passage. Ils viennent de la Bordure Médiane, rien de bien compliqué. Ou… Oh, es-tu prête à ferrer un gros poisson ?

— Quel genre de gros poisson ?

— Le plus gros d’entre eux, dit-il en la jaugeant du regard. Le poisson pour lequel tu voulais me quitter avant que son offre tombe à l’eau. Le Grand Moff Tarkin.

Arihnda sentit son estomac se nouer. Tarkin.

Et le timing était absolument parfait.

— Ouah, fit-elle en essayant de trouver la juste mesure entre désinvolture et enthousiasme. Bien sûr, pourquoi pas ?

— Pourquoi pas ? Parce qu’il a la réputation de hacher menu les militants et les petits bureaucrates, l’avertit Driller. Ce ne sera pas une de ces promenades de santé dont tu as l’habitude depuis quelque temps. Il s’agira d’un véritable combat de chiens.

— Les promenades de santé sont amusantes, dit Arihnda. Mais j’aime aussi les combats de chiens. Tu peux m’arranger un rendez-vous ?

— Je pense que oui, répondit Driller. Tu es sûre de toi ?

Arihnda sourit.

— Crois-moi, j’ai toujours voulu rencontrer Tarkin.

*

Arihnda avait appris que les politiciens et les militaires avaient recours à de nombreuses ruses pour intimider leurs visiteurs, faire pression sur eux ou les mettre en position difficile.

Tarkin les maîtrisait toutes à merveille.

Son bureau, pour commencer, témoignait de son habileté en la matière : la distance à parcourir depuis la porte ; l’épais tapis moelleux dans lequel s’enfonçaient les pieds des visiteurs et sur lequel Arihnda faillit chuter à chaque pas ; les reflets changeants, vacillants et perturbants du soleil sur les coins des étagères, des présentoirs et même du bureau. Et pour achever le tableau : les objets exposés sur les étagères et dans les vitrines constitués principalement de gages de son pouvoir et de souvenirs de ses triomphes passés. Ici et là, elle remarqua quelques artefacts anciens et de valeur qu’il avait soit achetés, volés ou confisqués. C’était un autre avertissement lancé aux visiteurs : cet homme obtenait tout ce qu’il désirait.

Il s’agissait d’un impressionnant étalage, d’autant plus que le Grand Moff n’occupait probablement ce bureau que quelques semaines dans l’année. Son bureau principal, celui depuis lequel il contrôlait une grande partie de la Bordure Extérieure, devait être encore plus oppressant.

Au bout de ce chemin semé d’embûches, assis dans un fauteuil à haut dossier, se trouvait Tarkin qui la regardait approcher.

Si le bureau ne suffisait pas à mettre les visiteurs mal à l’aise, songea Arihnda, la physionomie de l’homme se chargeait de faire le reste du travail. Avec son visage émacié, ses cheveux poivre et sel, ses lèvres minces et son regard d’acier, il ressemblait à la mort en embuscade. La couleur qu’apportaient les douze carreaux de son insigne contrastait de façon trompeuse avec le tissu vert olive de son uniforme. L’impassibilité avec laquelle il la regardait approcher faisait penser à celle d’un prédateur, prêt à bondir.

Cette impressionnante démonstration de force et ces techniques d’intimidation fonctionnaient très bien, à n’en pas douter, sur presque tous ceux qui osaient pénétrer dans son sanctuaire.

Arihnda avait l’intention de faire partie des exceptions.

— Gouverneur Tarkin, le salua-t-elle en atteignant le bureau. Je vous remercie d’avoir pris le temps de me recevoir.

— Mademoiselle Arihnda Pryce, la salua-t-il en retour.

Sa voix était aussi glaciale que l’expression sur son visage.

— Je crois comprendre que vous venez représenter les intérêts d’un groupe de défense appelé Stratosphère ?

— C’est en tout cas ce qu’ils pensent, à n’en pas douter, reconnut Arihnda. En réalité, je suis ici pour défendre mes propres intérêts. Et pour vous faire la meilleure proposition que l’on vous fera de la journée.

Son expression ne changea pas. Mais son regard sembla se durcir.

— Vraiment, dit-il. Je pense que vous surestimez peut-être votre charme.

— Oh, je ne fonctionne pas au charme, Gouverneur, lui assura Arihnda, mais aux informations.

Elle sortit une datacarte de sa pochette et la posa sur le bureau.

— En voici un extrait. Cela ne me dérange pas de patienter le temps que vous en preniez connaissance.

Il garda le silence un moment, le regard rivé dans le sien. Puis un léger sourire lui étira les lèvres.

— Un bon point pour l’ingéniosité, dit-il en prenant la datacarte. Asseyez-vous.

Arihnda se dirigea vers le siège situé à l’extrémité du bureau et s’y assit en essayant de ne pas laisser paraître son appréhension. Elle était sûre d’avoir cerné l’homme à quatre-vingt-dix pour cent, mais elle allait devoir jouer quitte ou double sur les dix pour cent restants.

Tarkin l’observa encore un instant puis glissa la datacarte dans son ordinateur.

— Au moins, n’essayez-vous pas de recourir à l’un de ces stratagèmes grossiers consistant à essayer de voler mes données, commenta-t-il.

— Pas du tout, dit Arihnda en sortant une autre datacarte qu’elle posa sur le bureau. La voici, celle qui comporte le programme servant à subtiliser les données. Elle contient la brochure et les objectifs de Stratosphère que je suis censée vous remettre.

Tarkin plissa brièvement le front.

— Vraiment ? dit-il, intrigué. Qui êtes-vous exactement, mademoiselle Pryce ?

— Quelqu’un qui souhaite passer un accord qui nous sera bénéfique à tous les deux. Mais je vous en prie, prenez connaissance de ces informations. Il s’agit d’un aperçu de ce que j’ai à vous proposer.

Une nouvelle fois, Tarkin l’observa quelques secondes avant de reporter son attention sur son ordinateur. Arihnda demeura silencieuse en voyant le Gouverneur parcourir des yeux le dossier. Elle était devenue plutôt douée pour déchiffrer les expressions faciales aussi bien humaines que non humaines depuis son arrivée à Stratosphère. Mais le visage de Tarkin aurait pu tout aussi bien être un masque de théâtre.

Sa lecture finie, il se tourna vers Arihnda.

— Intéressant.

— Avez-vous appris des choses ?

— Très peu. J’avais connaissance de la plupart de ces informations.

Arihnda sentit son estomac se nouer.

— Je vois.

— Ne soyez pas déçue, dit Tarkin avec un mince sourire. C’est une bonne chose. J’ai ainsi la certitude que vous avez bien pillé les dossiers du Gouverneur Nasling et cela apporte par conséquent du crédit aux deux ou trois choses que j’ignorais. Non, mon commentaire faisait référence au talent de vos employeurs. Comment ont-ils fait pour créer un programme de vol de données aussi performant ?

— J’imagine qu’ils ont fait appel à un expert, répondit Arihnda. Voyez-vous, je pense que ce sont des rebelles.

L’espace d’un très bref instant, une émotion passa sur le visage de Tarkin. Puis le masque réapparut.

— Des rebelles, répéta-t-il.

— Oui, Votre Excellence. Mais ne vous inquiétez pas. Ils n’ont en leur possession qu’une minuscule partie de ce dossier. Juste de quoi les convaincre de la pertinence de mon travail et m’assurer qu’ils continuent de m’envoyer rencontrer d’autres dignitaires.

Elle risqua un sourire, puis ajouta :

— Et de me financer, bien sûr. La corruption a un coût.

— Particulièrement élevé sur Coruscant, concéda-t-il. Il s’agit donc d’un vol à tiroirs ?

— Exactement, dit Arihnda. Un double-fond a été ajouté à la version de Stratosphère par un associé. L’idée de vous l’apporter vient d’un autre. Et tous deux préfèrent rester anonymes, s’empressa-t-elle d’ajouter comme si elle n’y avait pensé qu’après coup.

La provocation fonctionna exactement comme elle l’avait espéré. Tarkin s’adossa à son fauteuil et plongea son regard dans le sien.

— Nous avons dépassé le stade des scrupules, dit-il froidement. Leurs noms.

— Le programme a été conçu sur ordre du colonel Wullf Yularen du BSI, répondit-elle. Et celui qui m’a conseillée de vous l’apporter est le commandant Thrawn.

— Ah, dit Tarkin d’un ton glacial. Donc vous me lâchez le nom de deux officiers parmi les plus respectés dans l’espoir de me convaincre que vous avez des amis et des bienfaiteurs puissants. Lequel d’entre eux vous a conseillé cette idée ?

— Aucun des deux, répliqua Arihnda qui se mit à transpirer un peu. J’ai toujours considéré que vous étiez le seul bienfaiteur qu’il me fallait.

Arihnda fut soulagée de le voir sourire à nouveau.

— Je vous remercie de ne pas avoir présumé que nous pourrions être amis.

Son sourire disparut et il plissa légèrement le front.

— C’est amusant que vous mentionniez le commandant Thrawn, reprit-il. Il était à Coruscant, voilà quelques semaines, pour s’expliquer une nouvelle fois devant une cour martiale.

— Qu’avait-il fait ? voulut savoir Arihnda.

Elle avait essayé de suivre les activités de Thrawn, mais n’avait pas entendu un seul bruit à ce sujet.

— Il a fait détruire un gisement d’épice scarn sur un territoire non humain. Direct et efficace, mais pas aussi judicieux politiquement parlant que l’auraient souhaité certains.

— Quel a été le verdict ?

— Il a été acquitté, bien sûr. Le Haut Commandement ne l’apprécie pas particulièrement, mais il aurait été bien en peine de contester ses résultats. L’Empereur semble s’être pris d’affection pour lui. Qu’est-ce que notre bon colonel Yularen et lui attendent exactement de vous en échange de leur aide ?

— Le colonel Yularen veut bien évidemment récupérer les données. Il s’est montré extrêmement intéressé par mes… investigations officieuses, dirons-nous, sur les principaux politiciens de l’Empire.

— Je suppose que vous ne les lui avez pas encore remises ?

— Non, pas encore. J’ai pensé vous réserver la primeur. Et me suis dit que vous souhaiteriez peut-être vous servir de certains éléments pour…

Elle haussa les épaules.

— Eh bien, disons pour le bien de l’Empire.

— C’est très noble de votre part. Et le commandant Thrawn ?

— Il est étonnamment très facile à satisfaire, répondit Arihnda. Il n’a demandé que de succinctes réparations sur son vaisseau et une promotion qui n’avait que trop tardé pour son aspirant. J’ai pu accéder à sa première requête grâce à certains de mes autres contacts mais, pour la seconde, je fais face à certaines réticences d’ordre politique.

— Des réticences à accorder une promotion militaire ? demanda Tarkin, sceptique. Lequel de nos estimés politiciens a le temps et l’énergie pour cela ?

— Le Moff Ghadi, répondit Arihnda en observant attentivement la réaction de Tarkin.

Sa réaction fut conforme à ce qu’elle avait espéré. Elle dépassa même ses attentes. Les traits du visage de Tarkin se durcirent. Il plissa les yeux et son regard se mit à briller.

Elle savait que les deux hommes étaient rivaux. Mais ne se doutait pas à quel point cette rivalité était profonde et amère.

— Le Moff Ghadi, répéta Tarkin. J’aurais dû m’en douter.

— Je dispose bien entendu d’informations sur lui, précisa Arihnda d’un ton faussement détaché. C’est un des premiers politiciens que j’ai ciblés.

— Et vous avez ces informations avec vous ?

— Elles sont juste ici, répondit Arihnda en plongeant la main dans la pochette fixée à sa taille pour en extirper un datapad. Mais avant toute chose, je pense que vous devriez écouter un enregistrement que j’ai fait il y a quelques mois.

Elle pianota sur l’appareil et monta le volume :

« J’espère que c’est important, disait Ghadi dont la voix sortait de l’enceinte. Et je veux dire sacrément important, même. Je suis à deux doigts de faire fouetter Ottlis pour m’avoir réveillé, et je ne vous dis même pas ce que je veux vous faire à vous.

— C’est important, répondait Arihnda. Vous aviez raison, Stratosphère surveille un tas de gens importants. J’ai trouvé les dossiers.

— Évidemment que j’avais raison. Y a-t-il une quelconque raison pour que cette révélation n’ait pas pu attendre ?

— Elle aurait probablement pu attendre. Mais je me suis dit que vous voudriez que je vous informe au plus vite du dossier Tarkin.

— Ils ont un dossier sur Tarkin ? Que contient-il ?

— Je l’ignore. Celui-ci a un encodage différent. Mais s’il est dans la veine de ceux que j’ai déjà lus, alors il contient probablement beaucoup de secrets. Des choses que Tarkin voudrait garder enfouies.

— Parfait. Oui, il me faut absolument ce dossier.

— C’est bien ce que je pensais. J’aurais pu le joindre aux autres. Mais je voulais m’assurer que c’est ce que vous souhaitiez.

— Ne soyez pas stupide. Vous avez l’arme dont j’ai besoin pour éliminer Tarkin et vous voulez savoir si je la veux ? Mettez le dossier sur une datacarte et apportez-la à mon bureau. Immédiatement.

— Bien, Votre Excellence. Mais comme je l’ai dit, le dossier est illisible pour le moment. Si vous m’en laissez le temps, je pourrais peut-être le décrypter.

— Contentez-vous de me l’apporter. Je le décrypterai moi-même. Nous verrons bien si le Grand Moff Tarkin est toujours aussi arrogant quand je lui enfoncerai ses sales petits secrets dans la gorge.

— Très bien, Votre Excellence… »

— Ça suffit, dit doucement Tarkin.

Arihnda coupa l’enregistrement.

— Imaginez ça, dit-elle d’un ton faussement sérieux. Un haut fonctionnaire conspirant pour obtenir illégalement des éléments permettant de renverser un autre haut fonctionnaire !

— Et surtout assez stupide pour se laisser enregistrer en train d’en discuter, dit-il en la fixant du regard. J’ai remarqué que votre voix n’était pas aussi identifiable que la sienne.

— Un dysfonctionnement de l’enregistreur.

— Bien sûr. Dites-moi, que lui avez-vous donné, exactement ?

— Absolument rien, lui certifia Arihnda. Un document rédigé en charabia et passé par un encryptage faussement sophistiqué. Il est probablement encore en train d’essayer de trouver une phrase cohérente.

— Je vois, murmura Tarkin. Donc le colonel Yularen aura ses informations sur les politiciens de l’Empire et l’assistant du commandant Thrawn sera promu. Je mettrai la main sur les données de Yularen avant que Yularen les récupère et j’aurai la satisfaction de débarrasser la galaxie du Moff Ghadi.

Il haussa les sourcils puis ajouta :

— Nous n’avons pas parlé de vous. Qu’obtenez-vous en échange ?

— Votre protection et votre soutien. La satisfaction de savoir que j’ai aidé les vrais pouvoirs qui font tourner l’Empire.

Elle marqua une pause et poursuivit :

— Et si vous trouvez mon action utile et efficace, je souhaiterais obtenir la gouvernance de Lothal.

— Lothal, répéta Tarkin en se penchant en avant pour pianoter sur son ordinateur. Ça n’est pas exactement la demande fracassante à laquelle je m’attendais. Pourquoi Lothal ?

— La rivalité entre le Gouverneur Azadi et le Sénateur Renking a coûté à mes parents leur compagnie minière et les a obligés à quitter leur planète.

Une vague inattendue de colère la submergea. Elle pensait avoir laissé les émotions suscitées par cette trahison derrière elle. Ça n’était manifestement pas le cas.

— Devenir Gouverneur de Lothal me permettrait d’humilier le premier et d’éliminer plus facilement le second.

— Avoir une vision claire de ses objectifs est important pour un Gouverneur, dit Tarkin d’un ton pince-sans-rire. Mais les gouvernances sont des postes prisés. Je ne crains que ceci…

Il tapota les datacartes posées sur son bureau.

— … ne suffise pas.

— C’est une réponse à laquelle je m’étais attendue.

Arihnda prit une profonde inspiration et sortit une autre datacarte.

— Mais voilà qui devrait faire l’affaire, ajouta-t-elle.

— Et c’est… ?

— Tout ce que l’Empire désire savoir à propos de Lothal, répondit-elle. Vous saurez tout de ses gisements et de ses raffineries, y compris les mines cachées et secrètes dont on ne parle jamais et pour lesquelles aucun impôt et aucune taxe douanière ne sont versés. Vous avez tous les détails concernant les infrastructures, les usines avec les chiffres de production et les taux de rendement, le fonctionnement du système bancaire et la façon dont le capital est caché ou détourné. Vous trouverez un rapport sur sa population et son système social ainsi que sur les espèces qui parviennent à vivre ensemble ou non. Vous avez un résumé des études archéologiques menées dans les régions nord qui suggèrent la présence de ressources minérales inexploitées sur des territoires protégés et non protégés.

Arihnda se redressa sur son siège et posa la carte sur le bureau de Tarkin.

— L’Empire est en train de fédérer les mondes de la Bordure Extérieure. Autant que l’opération se fasse aisément et sans douleur. Pour tout le monde, conclut-elle.

— Intéressant, admit Tarkin sans esquisser le moindre geste pour prendre la carte. On pourrait considérer que votre action est une trahison envers votre planète natale.

— Je préfère la voir comme une marque de loyauté envers la nouvelle Lothal.

— Bien dit, approuva Tarkin. Et si je puis dire, votre proposition arrive fort à propos. Il se trouve que cette gouvernance pourrait bientôt être disponible.

— Le Gouverneur Azadi prend sa retraite ? demanda Arihnda en fronçant les sourcils.

Elle n’avait eu aucun écho à ce sujet.

— Oui. Contre son gré, semble-t-il.

— Surprenant, dit Arihnda.

Non pas qu’Azadi ne le mérite pas. Qu’il ait été personnellement impliqué dans l’arrestation de sa mère et la perte de leur compagnie ou qu’il ait simplement regardé ailleurs pendant que des membres de son bureau faisaient le sale boulot, il le méritait.

— Renking ? suggéra-t-elle.

— Peut-être. Ou peut-être qu’il y a d’autres raisons. En tout cas, le Sénateur Renking cherche bel et bien à obtenir la gouvernance.

Il haussa les sourcils et ajouta :

— Je me demande qui de vous deux désire le plus ardemment le poste ?

— Je vous ai donné les moyens d’abattre le Moff Ghadi, dit Arihnda en tentant de conserver son calme alors que la colère et la frustration montaient soudain en elle.

Elle refusait de perdre. Particulièrement face à Renking.

— J’ai des informations confidentielles au sujet d’autres Moffs, Gouverneurs et Sénateurs. Je vous ai donné Lothal. Je veux cette gouvernance, Votre Excellence. Que vous faut-il de plus pour me la donner ?

— Oh, beaucoup, beaucoup plus que ça, mademoiselle Pryce, lui assura Tarkin. Il y a de nombreuses personnes que j’aimerais mieux connaître. Heureusement, je vous ai, à présent.

Arihnda serra les dents. Elle avait débuté comme larbin d’un Sénateur et, maintenant, elle pourrait être au service d’un Grand Moff ?

— Votre Excellence…

— Bien sûr, en tant que Gouverneur, vous approcheriez bien plus facilement ces gens qu’en tant que militante d’un groupe de défense, poursuivit-il. Oui, je vois quels bénéfices nous pourrions tous deux tirer de cette nomination.

Arihnda laissa échapper un soupir silencieux. Cette sortie sur Renking n’avait été qu’une petite pique pour la titiller. Elle aurait dû le voir venir.

— Je suis heureuse que vous approuviez, Votre Excellence.

— Évidemment, passer de simple civile à Gouverneur d’une planète représente une sacrée marche à gravir. Néanmoins, vous avez une solide expérience et avez côtoyé des individus parmi les plus puissants de l’Empire. L’autre point positif est que vous êtes originaire du monde en question. Peut-être commencerons-nous par vous nommer Gouverneur intérimaire avant de vous installer définitivement à ce poste.

— Combien de temps durera cette étape ? voulut savoir Arihnda.

— Oh, quelques mois, répondit Tarkin en haussant les épaules. Une année tout au plus. Techniquement, bien sûr, ces nominations doivent émaner du Palais, mais je ne vois aucune raison d’aller déranger nos bureaucrates. Vous devrez passer une partie de vos deux premières années en poste ici, sur Coruscant, pour apprendre les ficelles du métier.

— Tout en récoltant les données qui vous intéressent ?

— Vous absenter brièvement de Lothal ne devrait pas poser problème, poursuivit Tarkin. Plusieurs Ministres s’y trouvent. N’importe lequel d’entre eux peut gérer les affaires de la planète pendant que vous remplissez votre part du contrat. Vous n’aurez qu’à en choisir un avant de revenir sur Coruscant.

Arihnda sourit. La gouvernance de Lothal, la position parfaite pour abattre Renking et elle allait continuer de vivre au sein de l’élite de Coruscant pour quelque temps encore. Elle n’aurait pas pu rêver meilleures conditions.

— Je crois que nous avons un accord, Votre Excellence.

— Oui, dit-il en tendant la main. Le reste de vos données, s’il vous plaît.

— En voici la moitié, dit Arihnda en sortant deux autres datacartes de sa pochette. Je vous donnerai l’autre une fois nommée Gouverneur.

— Bien sûr, dit Tarkin. Vous vous intégrerez à merveille ici, mademoiselle Pryce. Ou devrais-je dire Gouverneur Pryce ?

— Merci, Votre Excellence, dit-elle en se levant. Si vous voulez bien m’excuser, à présent. Il me reste encore une chose à faire. Je suis certaine que vous souhaitez étudier ces datacartes, de toute façon, dit-elle en les désignant de l’index. Oh, et l’enregistrement du Moff Ghadi est sur la seconde. Prenez-en tout particulièrement soin.

*

Juahir traversait le tapis central du Dojo Yinchom, un sac en toile à la main, lorsque Arihnda entra dans la salle.

— Hé, Arihnda ! la salua-t-elle. Tu as fini plus tôt aujourd’hui ?

— Non, je suis juste entre deux missions, lui répondit son amie. Tu as eu une bonne séance ?

— Pas mauvaise. La Sénatrice Xurfel nous a confié l’entraînement de ses deux nouveaux gardes du corps. Je les ai un peu malmenés pour voir ce qu’ils avaient dans le ventre.

— Et ?

— Ils ont du potentiel mais ne correspondent pas aux standards de Coruscant. Peu importe, on les mettra à niveau ! C’est quoi, ces deux missions ?

— Eh bien, j’ai eu rendez-vous avec le Grand Moff Tarkin, hier, répondit Arihnda. Nous avons eu une petite conversation.

— Oui, j’ai entendu dire ça ! s’exclama Juahir, le visage radieux. Driller m’a dit qu’il t’avait arrangé un rendez-vous. Félicitations.

— Merci. Il ne se passe pas grand-chose, aujourd’hui, alors je me suis dit que je pouvais te rendre une petite visite.

— Génial. On s’entraîne ou on déjeune ?

— Rien de tout ça. On procède à une arrestation.

— De qui ?

— Toi.

Juahir dévisageait son amie, bouche bée, lorsque le colonel Yularen et ses agents entrèrent en silence dans le dojo.

— Arihnda, qu’est-ce que tu fais ? demanda Juahir, méfiante.

— Nous arrêtons une traîtresse, lui répondit Arihnda, une femme qui profite de sa position d’instructeur pour soudoyer ou faire chanter des gardes du corps de haut niveau afin qu’ils espionnent leurs patrons.

Elle haussa les sourcils et ajouta :

— Ou les assassinent, à l’occasion.

— Quoi ? souffla Juahir, le visage blême et les yeux écarquillés.

— Le garde du corps du Sénateur Evidorn, Kaniki, indiqua froidement Yularen en avançant vers elle. Il a attenté à la vie du Sénateur, ce matin. Votre endoctrinement visant à dénoncer les méfaits de l’Empire a porté ses fruits de façon très efficace.

— Nous ne leur avons jamais demandé de tuer qui que ce soit ! protesta Juahir. Ils étaient simplement chargés d’obtenir des informations pour…

Elle se tut, puis elle se tourna vivement vers Arihnda, une étincelle de compréhension dans les yeux.

— C’est exact, confirma Arihnda. C’est moi qui ai récupéré les données qu’avaient rassemblées Driller et Stratosphère pour les remettre au BSI. Driller et tous ses complices sont en ce moment même en train de se faire embarquer. Mais compte tenu de l’incident avec Kaniki, le colonel Yularen a souhaité te mettre aux arrêts personnellement.

— Arihnda…

— Il n’y a qu’une chose que je souhaiterais savoir, dit Arihnda, la gorge subitement serrée par l’émotion qu’elle s’efforçait de contenir. As-tu jamais été mon amie ou t’es-tu servie de moi du début à la fin ?

Juahir fixa Arihnda tandis que les agents du BSI se plaçaient derrière elle, menottes à la main.

— Oui, tu étais mon amie, dit-elle d’une voix sourde. Je n’étais pas impliquée… dans tout ça… avant que le Sénateur Renking te renvoie. C’était si horriblement injuste. J’ai alors compris à quel point le système était corrompu. C’est un peu plus tard que Driller m’a approchée et…

— Driller et Nightswan ? l’interrompit Yularen.

Juahir tourna les yeux vers lui.

— Driller a mentionné quelqu’un portant ce nom. Mais nous n’avons parlé que de ce que nous pouvions faire pour améliorer les choses. Pour faire que l’Empire soit meilleur pour tous.

— C’est alors que tu t’es dit que tu pourrais te servir de moi, dit Arihnda. Cette pauvre petite Arihnda Pryce, abandonnée à la dérive dans la fange de Coruscant. La nigaude parfaite.

— Ce n’est pas comme ça que ça s’est passé !

— Mais on n’en est pas loin, rétorqua Arihnda avant de se tourner vers Yularen. J’en ai terminé, merci.

— Attends, implora Juahir alors que les agents du BSI commençaient à l’escorter vers la porte. Arihnda, j’étais ton amie. Je t’ai aidée quand tu en avais besoin. Est-ce que tu ne peux pas m’aider à ton tour ?

Arihnda leva la main. Yularen l’imita et les agents s’immobilisèrent.

— Voilà ce que je vais faire, Juahir, dit-elle. Le colonel Yularen va t’interroger. Si tu lui dis tout ce que tu sais – et je dis bien tout –, il t’enverra en prison, tu ne seras pas exécutée.

Juahir blêmit encore davantage.

— Arihnda !

Mais Yularen avait déjà ordonné à ses hommes de se remettre en marche. Arihnda resta là où elle était, sans se retourner, jusqu’à ce que la porte se referme dans son dos.

— Et elle ? demanda Yularen.

Arihnda se retourna, clignant des yeux pour chasser ses larmes. H’sishi se tenait en silence dans l’embrasure de la porte, les yeux rivés sur eux.

Yularen venait-il de lui demander son avis ?

Oui, bien évidemment. Tarkin et lui étaient en contact au sujet de Stratosphère. Et s’il n’y avait pas encore eu d’annonce officielle concernant la nomination d’Arihnda, le colonel en avait probablement été informé.

— Le commandant Thrawn a assuré qu’elle est innocente, n’est-ce pas ?

— Il en est arrivé à cette conclusion, en effet, répondit Yularen.

— Avez-vous trouvé dans les dossiers un élément qui viendrait contredire son analyse ?

— Non.

— Alors je suppose que nous pouvons la laisser partir.

Arihnda pointa néanmoins un doigt en direction de la Togorienne, en guise d’avertissement :

— Mais je vous conseille de quitter Coruscant au plus vite. Votre ancienne employée pourrait essayer de vous faire porter le chapeau. C’est ce qu’elle fait généralement, avec ses amis.

— Merci, dit gravement H’sishi. Maîtresse Arihnda, colonel Yularen.

Elle tourna les talons et disparut dans son bureau.

Arihnda sourit. Maîtresse Arihnda. Un titre insignifiant, un simulacre de respect qui dissimulait un mépris désinvolte. Le titre des petites gens et des faibles.

Mais elle en avait fini avec ça, désormais. Pour toujours.

Gouverneur Pryce. Oui, c’était mieux. Beaucoup, beaucoup mieux.

*

À chaque semaine sa mission, avait pris l’habitude de se dire Eli.

Il était cette fois question de contrebandiers qui opéraient dans d’obscurs systèmes. Le Sphex d’Orage s’était avéré particulièrement efficace pour préserver le commerce impérial de tels fléaux et Coruscant n’avait pas manqué de le remarquer.

Bien sûr, Thrawn devait ce succès au moins en partie au talent qu’avait Eli d’identifier et de suivre les flux de livraisons et d’approvisionnement. Quatre opérations de contrebande avaient ainsi été déjouées dont trois concernant la vente de doonium au marché noir.

Nightswan était apparemment impliqué dans deux d’entre elles.

Eli grimaça. Cette histoire de Nightswan commençait à leur échapper. Le Sphex d’Orage était intervenu à temps pour démanteler l’un des trafics repérés par Eli, mais la seconde combine avait brusquement échoué avant même qu’ils puissent entrer en scène. Pire encore, Vanto avait identifié au moins cinq autres opérations qui correspondaient aux méthodes de Nightswan, mais comme elles étaient situées en dehors du secteur de patrouille du Sphex d’Orage, Thrawn n’avait pas pu intervenir.

Ce dernier alertait toujours les commandants des secteurs concernés. Mais les communications étaient souvent trop lentes ou les vaisseaux déjà sur d’autres missions et parfois on ne le croyait tout simplement pas. Le BSI était certes plus coopératif mais seul le colonel Yularen prenait au sérieux leurs rapports.

Thrawn continuait de parler de ses motifs, de ses schémas récurrents et de ses connexions. Au bout de presque quatre années de service à ses côtés, Eli commençait tout juste à repérer certains de ces motifs. Certains dans la Marine n’étaient manifestement pas aussi astucieux, et ne le seraient probablement jamais.

La seule énigme que ni Thrawn ni lui n’étaient parvenus à résoudre consistait à savoir pourquoi Nightswan tenait tant à prendre tout le doonium des mains de l’Empire et dans quel but l’Empire lui-même récoltait tout ce métal.

Il ne l’utilisait pas pour construire des vaisseaux. Chaque fois qu’Eli faisait des estimations, la quantité de doonium amassée par l’Empire excédait de très loin ses besoins. Le stockait-il dans l’hypothèse où il lui faudrait construire de nouveaux vaisseaux ? Et puis, il y avait ces fréquentes visites de Thrawn au Palais – était-il possible que l’Empereur prépare quelque chose de spécial ? Des expéditions vers les Régions Inconnues, peut-être ? Il y avait trop de questions auxquelles Eli n’avait pas de réponses.

Mais ces questions n’étaient rien comparées à celle qui les préoccupait aujourd’hui : pourquoi Thrawn et lui avaient-ils soudain été invités à revenir sur Coruscant ?

Il ne pouvait pas s’agir de l’incident qui s’était produit sur Cyphar. Thrawn avait déjà été totalement blanchi. Yularen avait-il de nouveaux éléments concernant Nightswan dont il voulait les informer personnellement ? Ou le Haut Commandement en avait-il assez de l’obsession de Thrawn pour cet homme et allait-il lui ordonner d’arrêter de harceler les autres commandants sous prétexte qu’il estimait qu’ils ne faisaient pas leur travail ?

Ou se pouvait-il qu’Eli ait franchi une limite en effectuant des recherches sur Nightswan ? Le fait qu’il ait été sommé d’accompagner Thrawn était plus que troublant.

— Savez-vous de quoi il s’agit, commandant ? murmura-t-il alors que des officiers supérieurs pénétraient dans la pièce.

— Non, répondit Thrawn. Mais je trouve intéressant le fait que vous ayez également été convoqué.

Thrawn avait lui aussi noté cela. Ce qui n’était pas bien surprenant.

— Essayez de lire sur leurs visages, murmura-t-il.

Eli réprima une grimace. Il essayait. Il essayait même depuis l’arrivée des officiers. Il concentra son attention sur l’amirale située en tête, essayant de déchiffrer l’expression et le langage corporel de cette femme…

Et s’interrompit brutalement, le souffle coupé, lorsque le dernier officier supérieur passa le seuil de la pièce.

Le Grand Moff Tarkin.

Et soudain, tous les paris furent ouverts. Tarkin avait techniquement un titre civil, son rang lui donnant autorité sur une large portion de la Bordure Extérieure. Mais il portait également un uniforme de la Marine Impériale, ce qui faisait que ses devoirs comme ses responsabilités pouvaient porter sur des affaires autant militaires que civiles.

Eli se demanda quelle autorité il représentait aujourd’hui.

L’amirale qui était placée au centre attendit que tout le monde soit assis. Puis elle se leva.

— Nous sommes réunis ici ce matin pour honorer deux d’entre nous.

Eli cligna des yeux. Honorer ? Ce n’était donc pas une autre commission d’enquête ou une cour martiale ?

— Jamais un officier de la Marine Impériale n’avait remporté autant de victoires en si peu de temps, poursuivit l’amirale.

Eli sentit un soupçon de soulagement, teinté de mélancolie. C’était donc ça. Thrawn avait été convoqué pour recevoir une nouvelle promotion.

Eli n’était pas jaloux de la reconnaissance dont il était l’objet. Thrawn l’avait amplement mérité. À part cette épine dans le pied qu’était Nightswan, ses états de service n’étaient qu’une série de victoires contre les ennemis de l’Empire.

— Par conséquent, c’est avec un grand plaisir que ce conseil élève le commandant Thrawn au rang de commodore. Félicitations, commodore Thrawn.

Et voilà. Eli sourit et essaya d’avoir l’air heureux – et il l’était. Sincèrement – en se joignant aux applaudissements. Faire le chemin jusqu’à Coruscant paraissait excessif pour ce qui était une cérémonie plutôt banale. Mais au moins, allaient-ils pouvoir repartir dans l’espace. Alors que l’amirale s’avançait vers Thrawn pour lui remettre son nouvel insigne, Eli passa mentalement en revue les dossiers qui devraient les mener vers le prochain repaire de contrebandiers…

— C’est également un honneur et un privilège, poursuivit l’amirale, pour ce conseil de rectifier une situation qui n’a que trop longtemps duré.

Eli fronça les sourcils. Les images mentales de listes et de manifestes de marchandises s’évanouirent. Thrawn s’était-il attiré des ennuis dont il n’avait pas entendu parler ?

— Par conséquent, c’est avec un plaisir tout aussi grand que le conseil élève l’aspirant Eli Vanto…

Eli reprit son souffle. Le jour était arrivé. Enfin ! Après tout ce temps, ils le nommaient lieutenant.

— … au rang…

Lieutenant Vanto. La façon dont cela résonnait dans sa tête lui faisait l’effet d’un verre d’eau fraîche après une session au dojo. Lieutenant Vanto

— … de lieutenant-colonel !

Eli sentit tout son corps se raidir. Qu’avait dit l’amirale ? Lieutenant-colonel ?

C’était impossible. On n’avait jamais vu un aspirant sauter autant de grades d’un seul coup. Il avait dû mal entendre.

— Félicitations, lieutenant-colonel Vanto, conclut l’amirale.

Et l’insigne qu’elle lui tendait était effectivement celui d’un lieutenant-colonel.

— Félicitations ! répéta Thrawn à ses côtés.

— Merci, commodore, parvint à balbutier Eli. Et merci, amirale.

Puis ils eurent droit à quelques courts discours d’autres membres du conseil, à des félicitations maintes fois répétées… autant d’émouvantes prémisses du glorieux avenir qui les attendait.

Mais Eli n’entendit presque rien de tout ça.

Il constata avec un certain étonnement que Tarkin s’attardait dans la pièce après le départ des officiers de la Marine.

— Félicitations, commodore, dit le Grand Moff Tarkin à Thrawn avec un signe de tête. Et à vous aussi, lieutenant-colonel, ajouta-t-il à l’attention d’Eli.

— Merci, Votre Excellence, répondit Thrawn.

— Merci, Votre Excellence, dit Eli en écho.

— C’était une belle cérémonie, poursuivit Tarkin. Je suis content d’y avoir assisté. La Gouverneur Arihnda Pryce vous salue et vous adresse également ses félicitations.

— Je me demandais si elle le ferait, commenta Thrawn.

Eli nota le ton particulier de sa voix. Y avait-il une sorte de plaisanterie que seuls Tarkin et lui pouvaient comprendre ?

— J’imagine qu’elle va bien ? ajouta Thrawn.

— Très bien, répondit Tarkin. Elle est impatiente de prendre ses nouvelles fonctions.

— Je suis heureux de la tournure que prend sa carrière.

— Moi de même.

Tarkin tendit le bras et toucha le nouvel insigne de commodore sur la poitrine de Thrawn.

— Considérez ceci comme un bonus, dit-il.

— Merci, Votre Excellence. Remerciez la Gouverneur de ma part la prochaine fois que vous la verrez.

— Je n’y manquerai pas, répondit Tarkin. Maintenant, je crois savoir qu’il vous reste des ennemis de l’Empire à traquer. Bonne chasse à tous les deux !

Saluant Thrawn d’un signe de tête, il tourna les talons et quitta la pièce.

— Encore toutes mes félicitations, lieutenant-colonel Vanto, dit Thrawn. J’imagine que l’attente en valait la peine.

— Oui, commodore, répondit Eli.

Il se demanda distraitement ce qu’allait dire le lieutenant Gimm en découvrant son nouveau grade.

Probablement rien. En tout cas rien qu’il soit autorisé à dire à un supérieur.

Mais la tête qu’il ferait vaudrait assurément le coup d’œil.

— Nous ferions bien de rejoindre notre nouveau vaisseau, maintenant, dit Thrawn en se dirigeant vers la porte. Nous allons avoir beaucoup de choses à apprendre.

Eli fronça les sourcils.

— Notre nouveau vaisseau ?

Thrawn se tourna vers lui en se fendant d’un sourire mi-amusé, mi-complice.

— Je vois que vous étiez distrait sur la fin. C’est ce qu’il m’avait semblé. Nous sommes transférés, commandant. Je commande désormais le DSI Chimaera.

Eli reprit son souffle. Thrawn s’était vu confier un Destroyer Stellaire impérial ?

— Non, je… Félicitations, commodore.

— Merci, commandant, répondit Thrawn, l’air encore plus amusé. Nous y allons ?

— Oui, commodore.

Ils se dirigèrent vers la porte.

— Que sous-entendait le Grand Moff Tarkin en disant que votre promotion était un bonus ? demanda Eli.

— Je pense que c’était une simple plaisanterie.

— Ah.

Commander un Destroyer Stellaire était une des meilleures affectations possibles. C’était presque le summum d’une carrière dans la Marine Impériale. Ce serait en effet un honneur et un privilège de servir à bord de l’un de ces vaisseaux. Et avec le grade de lieutenant-colonel, qui plus est.

C’était décidé : avant de quitter le Sphex d’Orage, il allait mettre un point d’honneur à saluer le lieutenant Gimm.