Chapitre 21
Chaque culture est différente. Chaque espèce est unique. Cela représente un défi pour le guerrier qui doit souvent déterminer la stratégie, les objectifs et les tactiques d’un adversaire à partir d’un nombre d’indices limité.
Mais le danger de mal interpréter les intentions d’un adversaire est parfois plus grand en politique. Là, on ne dispose pas d’indices clairs comme l’activation d’une arme ou le mouvement d’un soldat pour prédire la survenue d’un danger imminent. Souvent, l’indice qu’un conflit se prépare n’apparaît qu’une fois la bataille déjà entamée.
Le sabord de la navette s’ouvrit, laissant entrer l’air chaud de l’après-midi.
Après toutes ces années, Arihnda était finalement rentrée chez elle.
Elle s’arrêta en haut de la rampe et prit un moment pour laisser errer son regard sur les immeubles de Capital City puis sur le paysage plus rustique qui s’étalait tout autour. Comparée au gigantisme du paysage urbain de Coruscant, la vue de la végétation sauvage lui faisait presque l’effet d’un choc.
— Bienvenue chez vous, Gouverneur, dit une voix depuis le bas de la rampe.
Arihnda baissa les yeux. C’était Maketh Tua qui se tenait là, vêtue des atours bleus et gris des Ministres impériaux, une mèche de sa chevelure blonde brillant sous son casque conique et étroit. Elle tenait un datapad dans la main et affichait un sourire légèrement nerveux.
— Merci, dit Arihnda en descendant la rampe pour la rejoindre. Cela faisait longtemps, n’est-ce pas ?
— Oui, Gouverneur, acquiesça la femme. Plus d’un an depuis votre accession au poste de Gouverneur, en fait.
Arihnda sentit ses lèvres se pincer. Et au cours de cette année, elle avait passé moins d’une semaine ici, jamais plus de quelques heures d’affilée généralement, dirigeant par procuration le monde qu’elle avait pourtant tout fait pour avoir. Elle avait passé la majeure partie de son temps sur Coruscant à se faire des amis, à renforcer la position de Lothal au milieu des milliers de mondes de l’Empire et à traquer la moindre petite information incriminante pour le compte du Grand Moff Tarkin.
Mais, enfin, enfin, elle allait pouvoir s’installer définitivement.
Après avoir vécu au cœur des lumières scintillantes de Coruscant, elle n’était pas encore sûre de savoir quoi en penser.
— Ce qui veut dire que cela fait également plus d’un an que vous avez été nommée superviseur de la production industrielle, dit Arihnda. Alors, dites-moi, comment s’en sort la production industrielle de Lothal ?
— Plutôt bien, Votre Excellence, plutôt bien. J’ai toutes les données pertinentes à votre disposition. Vous pourrez les étudier dès que vous serez installée.
Sans un mot, Arihnda tendit la main. L’expression réjouie de Tua s’estompa – très légèrement – et elle s’empressa de donner le datapad à la Gouverneur.
— Vous trouverez cela dans le premier dossier, Votre Excellence.
— Merci.
Arihnda ouvrit le dossier tout en observant Tua du coin de l’œil. Celle-ci avait été Ministre adjointe au cours des deux derniers mois de l’administration du Gouverneur Azadi. Le retrait soudain d’Azadi et son arrestation pour trahison avaient été un événement traumatisant pour tout le personnel gouvernemental et, même après tout ce temps, il était évident que Tua ne s’en était pas complètement remise.
Avec un peu de chance, les autres étaient dans le même état. Les subordonnés nerveux travaillaient généralement plus dur et avaient tendance à garder les mains très propres. En attendant qu’ils se sentent plus à l’aise avec leur nouveau supérieur, ils seraient polis, énergiques, et faciles à contrôler ou à intimider.
Ce qui était aussi bien, parce que l’intimidation allait commencer pour de bon.
— Qu’est-ce que c’est que cet effondrement de la production des raffineries ? demanda-t-elle en tournant l’écran du datapad vers Tua. Vingt pour cent au cours de ces quatre derniers mois ?
— C’est à cause des mines, Votre Excellence, répondit Tua. Leur exploitation a été si intensive ces dernières années que le minerai de qualité s’épuise.
— Tiens donc, dit Arihnda en baissant légèrement le ton de sa voix.
Tua sentit sa gorge se serrer.
— Leur exploitation a été très intensive, répéta-t-elle. C’est aussi de plus en plus difficile de trouver des mineurs qualifiés. Beaucoup de jeunes gens vont à l’Académie – le commandant Aresko a mis en place toute une série de mesures incitatives en ce sens. Ils ne veulent plus travailler dans les mines dorénavant. Comme c’est l’Empire qui les administre maintenant et plus les anciennes familles minières…
— Dans ce cas, faites venir des mineurs d’autres planètes, la coupa Arihnda.
Elle avait déjà remarqué que c’étaient les mines dirigées par l’Empire qui enregistraient les pertes d’ouvriers les plus nombreuses.
— Mes parents…
Elle s’interrompit, l’œil attiré par un chiffre sur la liste.
— Ce filon de doonium est déjà épuisé ? C’est impossible, s’étrangla Arihnda.
— Je suis désolée, Votre Excellence, mais c’est la vérité. Je suis moi-même descendue dans la mine. Tout le doonium a été extrait.
— Je vois, dit Arihnda en ouvrant toutes les données rattachées aux Mines Pryce.
Le fait que Renking ait gardé son nom de façon éhontée l’irritait d’autant plus.
— Dans ce cas, reprit-elle, les Mines Pryce ne valent plus la peine d’être exploitées. Faites-les fermer.
Tua écarquilla les yeux.
— Excusez-moi, Votre Excellence ?
— N’ai-je pas été claire ?
— Si, Votre Excellence, répondit précipitamment Tua. Est-ce que vous voulez que… Devons-nous les fermer immédiatement ?
— Immédiatement, lui confirma Arihnda. Dès que l’équipe en service aura terminé son temps de travail. Veillez-y personnellement, Ministre Tua.
— Bien, Votre Excellence.
Elle se retourna pour partir…
— Ministre Tua ?
Tua pivota sur place.
— Oui, Votre Excellence ?
Arihnda lui tendit son datapad.
— J’ai compris que le Sénateur Renking était actuellement sur Lothal, dit-elle alors que Tua récupérait l’appareil à la hâte. Envoyez quelqu’un lui dire que je l’attends dans mon bureau dès que possible.
Son bureau dans le bâtiment gouvernemental était tel qu’elle l’avait laissé : ordonné, mais décoré de façon spartiate. Les soutiens d’Azadi avaient vidé la pièce de ses effets personnels après son arrestation et Arihnda n’avait pas pris la peine de les remplacer.
Elle n’en avait pas non plus l’intention. Elle était ici pour travailler, pas pour se détendre entourée de babioles sentimentales.
Elle passa le reste de l’après-midi et le début de la soirée à lire les données accumulées depuis le dernier rapport qu’Azadi avait envoyé à Coruscant. L’industrialisation de Lothal avançait à un rythme encourageant, mais il subsistait quelques déficiences à régler.
Il faisait presque nuit quand le droïde posté à l’extérieur du bureau vint lui annoncer l’arrivée du Sénateur Renking.
Comme Arihnda s’y était attendue, le Sénateur se précipita dans son bureau sans attendre la permission d’entrer.
— Soyez la bienvenue, Votre Excellence, dit-il sans la moindre chaleur dans la voix. Combien de temps resterez-vous ici, cette fois ?
— Avec un peu de chance, de façon permanente.
— Merveilleux.
Il s’arrêta tout contre son bureau, le visage assombri.
— Maintenant, qu’est-ce que c’est que ce bordel au sujet de ma mine ?
— Votre mine ? rétorqua calmement Arihnda. Pardonnez-moi, mais je n’avais pas réalisé que vous possédiez une mine. Je croyais que toutes les mines de Lothal appartenaient ou étaient dirigées par l’Empire.
— Vous savez très bien de quoi je parle. De votre ancienne exploitation, les Mines Pryce. J’avais un accord avec l’Empire qui me donnait dix pour cent des bénéfices.
— Voilà qui m’aurait donné une raison de plus de la faire fermer, rétorqua Arihnda. Mais ne prenez pas la grosse tête. J’ai décidé cette fermeture pour des raisons purement commerciales. Le filon de doonium est épuisé, et il ne reste pas assez de mineurs expérimentés pour qu’on gâche leur potentiel sur un sous-sol qui est en dessous de ses capacités. D’où la fermeture des Mines Pryce et le transfert de ses employés.
— Et je suppose que c’est également vous qui déciderez de leur affectation ? demanda Renking, suspicieux.
— Je laisse cette tâche à la Ministre Tua. Mais il semble juste que les employés possédant le plus d’ancienneté se voient proposer les meilleures postes.
— Ceux qui restent de l’époque où vous dirigiez la mine, j’imagine.
— C’est le principe de l’ancienneté.
— Rien ne me force à donner mon accord, vous savez, siffla-t-il, les dents serrées. Je peux faire venir mes propres experts et vous prouver que la production de la mine est au moins aussi élevée que toutes les autres de Lothal.
— Vous pourriez, mais vous ne le ferez pas. Vous voulez savoir pourquoi ?
— Je meurs d’envie de l’entendre, lâcha-t-il, sarcastique.
— D’un : parce que les Mines Pryce sont trop petites pour en valoir la peine, dit-elle en comptant sur ses doigts. Vous possédez d’autres intéressements qui paient bien mieux, surtout maintenant qu’il n’y a plus de doonium. De deux : parce que chaque faveur que vous demanderez pour sauver une mine sans valeur est une faveur que vous ne pourrez pas demander pour une autre occasion. Je connais vos méthodes de travail. Vous ne pouvez pas vous permettre de perdre des faveurs par fierté.
L’expression d’Arihnda se durcit.
— Et de trois : si j’ai réussi à obtenir une telle position aussi jeune, c’est uniquement parce que je dispose d’amis et de protecteurs influents. Très influents… et malgré toutes vos recherches, je crois pouvoir dire que vous n’avez toujours aucune idée de qui il s’agit. Jusqu’à ce que cela change, n’essayez même pas de lever le petit doigt sur moi.
Ils restèrent un long moment à se toiser sans rien dire. Puis, sifflant de nouveau entre ses dents, Renking baissa la tête.
— Dans ce cas, j’imagine que cette conversation est terminée.
— Je crois qu’elle l’est, Sénateur, acquiesça Arihnda. Bonsoir.
Elle attendit qu’il quitte son bureau et que les droïdes de surveillance lui aient confirmé qu’il avait quitté l’immeuble. Puis, allumant l’holo de son bureau, elle entra un numéro qu’elle connaissait bien.
L’écran s’éclaira en affichant le visage triangulaire, les yeux brillants et l’imposante crête d’une Anx.
— Bonjour Eccos. C’est Arihnda Pryce. Comment allez-vous ?
L’espace d’un instant, la patronne de la mine anx fit les yeux ronds. Puis, d’un seul coup, elle se mit à déblatérer un flot de paroles en shusugaunt.
— Du calme, Eccos, du calme, l’interrompit Arihnda. En basic si vous le voulez bien… Mon shusugaunt est plutôt sommaire. Oui, je suis de retour, et oui, je suis toujours Gouverneur. Mais ça ne veut pas dire que nous devons arrêter de collaborer. Si vous êtes toujours intéressée à la perspective de faire de l’argent, bien entendu.
— Bien sûr, répondit Eccos avec un accent prononcé.
— Bien. Vous savez que les Mines Pryce disposaient d’un filon de doonium qu’elles exploitaient. Je suppose que vous êtes également au courant que ce filon est épuisé.
— Oui, je suis au courant pour les deux, dit Eccos, la voix pleine de regret. C’est très triste.
— Pas vraiment, puisque nous savons toutes les deux que c’est faux, fit calmement Arihnda. J’ai vu le rapport et je sais que le bloc de granit qui marque soi-disant la fin de la veine n’est rien d’autre qu’un corps intrusif. Le doonium continue de l’autre côté.
— Vraiment ? dit Eccos, l’air surpris. En êtes-vous sûre ?
— Évidemment que j’en suis sûre, rétorqua Arihnda. Puisque vous l’exploitez.
Le visage ridé de l’Anx se plissa de désarroi.
— Gouverneur Pryce…
— Ne vous fatiguez pas, l’interrompit Arihnda. Parce que j’ai également vu vos chiffres. Je vous appelle pour vous informer que j’ai ordonné la fermeture des Mines Pryce. Ce qui veut dire qu’à partir de demain matin vous pouvez mettre le paquet sur ce filon sans vous préoccuper des larbins de Renking. Ils n’entendront pas vos machines derrière le granit.
Le visage de l’Anx se plissa à nouveau, cette fois pour exprimer de la satisfaction.
— Je… ne sais pas quoi dire.
— Alors ne dites rien, dit Arihnda. Contentez-vous d’extraire ce doonium et de le transformer.
Elle jeta un rapide coup d’œil à la carte qu’elle avait affichée sur son datapad.
— À en croire la direction que prend le filon, nous risquons d’avoir besoin de déplacer un fermier ou deux pour pouvoir l’extraire. Faites-moi savoir si je dois m’en occuper.
— Oui, Gouverneur Pryce, dit Eccos. Puissiez-vous reposer cette nuit dans la chaleur de vos rêves.
— Le puissiez-vous aussi.
Elle coupa la communication et grimaça, horripilée par la banalité lourdaude des adieux traditionnels. Elle avait toujours considéré Lothal comme terriblement rustique, mais sa vie sur Coruscant avait accentué le contraste. Elle se tourna vers son ordinateur.
Et s’immobilisa. De l’autre côté de la fenêtre donnant plein ouest, le soleil terminait sa course.
Elle regarda la scène un instant, repensant au soir où sa mère avait été arrêtée et où leur vie avait basculé. À l’époque, elle s’était fait la réflexion que les habitants des grandes villes ne devaient probablement jamais voir l’horizon ni de coucher du soleil et s’était demandé s’il leur arrivait de penser à ce genre de choses. Ou si cela avait une quelconque importance pour eux.
Arihnda avait vécu sur Coruscant, dans la ville la plus gigantesque de la galaxie.
Et tandis qu’elle regardait par la fenêtre, elle réalisa que cela n’en avait absolument aucune à ses yeux.
Elle actionna la commande de fermeture des stores, tourna le dos à l’horizon lointain et se remit au travail.
*
Les mois qui suivirent consistèrent en un désagréable mélange de travail effréné, d’interactions irritantes avec les locaux et d’ennui mortel continu. Lothal était exactement comme Arihnda s’en souvenait : envahie d’humains arriérés, de non-humains arriérés plus nombreux encore, de cas de népotisme qui nuisaient souvent aux intérêts commerciaux de l’Empire, et dotée d’une structure sociale qui n’offrait absolument aucune source de divertissements de qualité.
Le népotisme était ce qu’il y avait de pire. Au cours des années qu’elle avait passées dans la capitale, l’Empire n’avait eu de cesse de développer les industries de Lothal, d’étendre les mines, et avait progressivement amené plus de soldats pour superviser le tout. Mais la nouvelle direction que prenait la planète n’avait pas plu à tout le monde. Les anciens dirigeants et les vieilles familles avaient mal vécu la lente érosion de leur pouvoir et se prévalaient de réunir amis, associés et tous ceux faisant partie de leur réseau d’influence pour dénoncer le Nouvel Ordre. La réaction impériale avait été prévisible : répression de la liberté d’expression et restriction des libertés, et les conséquences habituelles.
Parmi ces conséquences figurait l’expropriation de fermiers, parfois pour construire un nouveau complexe militaire ou une nouvelle usine, le plus souvent pour étendre une exploitation minière. Naturellement, les fermiers se plaignaient des relocalisations forcées et poussaient leurs amis à résister, parfois même dans la violence.
Tout ceci n’avait aucun sens. Lothal avait largement assez de cultures pour ses usages et exportait d’ailleurs toujours des denrées alimentaires.
Mais les fermiers expropriés ne le voyaient pas de cet œil, et les offres d’emploi dans les usines ou les mines étaient généralement rejetées d’emblée.
Pourtant, malgré les plaintes d’une petite minorité, l’Empire continuait de progresser. Ceux qui avaient affirmé que les nouveaux développements créeraient des emplois et entraîneraient la prospérité furent reconnus. Ceux qui avaient contesté la présence accrue de l’Empire et annoncé une fin tragique furent discrètement réduits au silence.
Mais les menaces n’étaient pas toutes internes. Arihnda était sur Lothal depuis trois mois lorsqu’un danger inattendu fit discrètement surface.
*
— Oui, Votre Excellence, j’ai remarqué ce rapport il y a quelques jours, dit la Ministre Tua, l’air perplexe devant la page qu’Arihnda avait affichée sur son ordinateur. Je ne vois pas en quoi c’est un problème.
— Vous ne voyez pas, dit Arihnda en prenant une mine sombre.
Malgré l’expertise dont Tua faisait preuve dans la direction de l’infrastructure industrielle de Lothal, elle était complètement aveugle dans certaines matières.
— Le Gouverneur de Kintoni propose d’étendre ses débarcadères et ses installations de maintenance, et vous ne voyez pas en quoi c’est un problème ?
— Non, Votre Excellence, dit Tua, l’air plus perplexe que jamais. Je pensais qu’il fallait justement accroître la présence navale dans la région. Avec tous les pirates et les contrebandiers…
— Nous ne voulons pas d’une présence navale accrue dans cette région, s’énerva Arihnda.
Cette femme ne comprenait-elle vraiment rien ?
— Nous voulons une présence navale accrue sur Lothal. Vous comprenez ? Sur Lothal uniquement.
Tua se ratatina dans son fauteuil, les yeux ronds de peur et de surprise.
— Votre Excellence…
— Nous voulons que Lothal soit le centre de cette zone de la Bordure Extérieure, dit doucement Arihnda.
Pour une raison qu’elle ignorait, Tua semblait encore plus effrayée lorsque Arihnda s’adoucissait.
— Cela implique l’industrie, l’exploitation minière, le commerce, les académies militaires, les centres de formation… et une présence navale puissante pour maintenir tout ça, poursuivit-elle. Si Kintoni se met à éloigner nos vaisseaux, tout le reste suivra.
Elle haussa les sourcils avant d’ajouter :
— Vous voulez retrouver Lothal comme c’était autrefois, Ministre Tua ? Ou avez-vous déjà oublié comment c’était ?
Tua dut faire un effort manifeste pour retrouver sa voix :
— Je comprends, Votre Excellence. Mais…
— Mais vous ne savez pas ce qu’on peut y faire, termina Arihnda, subitement dégoûtée.
Malgré toutes ses années passées hors-monde, Tua pensait encore comme une native. C’est-à-dire très peu.
— Je pars immédiatement pour Coruscant, annonça-t-elle en éteignant l’écran et en se levant.
Tans pis pour sa décision de s’installer de façon définitive.
— Vous serez responsable jusqu’à mon retour, ajouta-t-elle.
— Bien, Votre Excellence, dit Tua en se levant à son tour. Oh… puis-je vous demander combien de temps vous serez partie ?
— Jusqu’à ce que tout ceci soit réglé, répondit Arihnda. D’une façon ou d’une autre.
*
— Je suis navrée, mais le Grand Moff Tarkin n’est pas sur Coruscant pour le moment, indiqua la réceptionniste d’une voix polie, mais monocorde. Si vous le souhaitez, je peux lui faire parvenir un message.
— Ce ne sera pas nécessaire, répondit Arihnda.
Elle ne s’était pas vraiment attendue à trouver Tarkin dans son bureau, mais cela avait valu la peine d’essayer.
— Ajoutez simplement, lors de votre prochain envoi à son intention, une note indiquant que la Gouverneur Arihnda Pryce de Lothal lui transmet ses salutations.
— Bien, Gouverneur.
Donc, elle n’avait reconnu Arihnda, ni de nom ni de visage. Cela n’avait rien de surprenant, en même temps. Il y avait des milliers de Gouverneurs dans l’Empire, et personne ne pouvait espérer retenir ne serait-ce qu’un dixième d’entre eux.
Et pourtant, Arihnda avait espéré.
Un voyant clignotait sur l’holocom de son airspeeder lorsqu’elle retourna à son véhicule. Elle jeta un coup d’œil à l’identité de la personne qui l’avait appelée en son absence, sourit intérieurement et entra son numéro.
— Ici la Gouverneur Arihnda Pryce, annonça-t-elle à l’homme en uniforme qui répondit. Je rappelle le commodore Thrawn.
— Un instant, Gouverneur.
L’écran s’éteignit. Une minute plus tard, le visage et les yeux rouges familiers de Thrawn apparurent.
— Mademoiselle Pryce, dit-il en la saluant d’un signe de tête. Ou devrais-je dire Gouverneur Pryce.
— Je vous remercie de m’avoir rappelée, commodore, dit Arihnda en décidant de lui pardonner cet oubli.
Habituée au manque de manières de Thrawn en matière politique et sociale, elle savait que ce n’était pas une insulte délibérée. De plus, ce n’était jamais une bonne idée de réprimander quelqu’un qui – avec un peu de chance – allait se montrer utile.
— Avez-vous eu l’occasion d’étudier les propositions que je vous ai envoyées ? lui demanda-t-elle.
— Oui, dit Thrawn en baissant les yeux. Si je comprends bien, vous souhaitez que je vous dise quelle planète, de Lothal ou de Kintoni, serait le meilleur emplacement pour l’expansion de la présence navale dans cette partie de la Bordure Extérieure.
— C’est exact, répondit Arihnda.
Elle croisa les doigts dans sa tête. En dépit de son instinct naturel, elle avait renoncé à suivre son plan initial consistant, dans la présentation des données et des propositions, à faire subtilement pencher la balance en faveur de Lothal. Thrawn pourrait être capable de détecter une telle manipulation, et elle perdrait toute chance de l’avoir de son côté.
— Évidemment, j’ai mon intérêt dans cette affaire, reprit-elle, mais j’ai essayé de vous présenter le choix de la façon la plus juste possible.
— Je l’ai noté, Gouverneur, admit Thrawn, les yeux toujours rivés hors champ. J’ai pris la liberté de comparer vos notes et vos cartes avec les archives de la Marine. Votre présentation était remarquablement impartiale.
— Merci, dit Arihnda.
Un frisson lui parcourut l’échine. Elle avait bien fait de ne pas biaiser son rapport.
— Votre conclusion ? voulut-elle savoir.
— Les deux systèmes ont leurs avantages, dit Thrawn en levant enfin les yeux vers elle. Mais si je devais en choisir un, je choisirais Lothal.
Arihnda poussa un soupir de soulagement silencieux.
— Merci, commodore. Puis-je vous citer lors de ma présentation au Haut Commandement ?
— Inutile, Gouverneur. J’ai rédigé une analyse complète dans laquelle apparaissent mes conclusions. Je peux vous l’envoyer immédiatement, si vous le souhaitez.
— C’est d’accord. Je vous remercie.
— Ne me remerciez pas. Je suis toujours prêt à assister la Marine Impériale, de quelque manière que ce soit. Y a-t-il autre chose ?
— Pas pour l’instant, commodore. Avec un peu de chance, nous nous recroiserons prochainement. Au revoir.
— Au revoir, Gouverneur.
Le rapport mit quelques instants à charger, d’abord vers l’ordinateur de l’airspeeder, puis sur une datacarte. Arihnda observait les progrès en résumant le tout dans sa tête. Avec la bénédiction de Thrawn, elle n’avait plus qu’une personne à voir avant de présenter le cas au Haut Commandement.
Et ce n’était pas pour rien qu’elle avait mis cette rencontre à la fin de sa liste. Elle glissa la datacarte à l’abri, dans sa poche, se prépara mentalement quelques instants, puis rejoignit le flot de la circulation. Elle prit ensuite la direction du centre du District Fédéral puis celle d’un endroit familier. Bien trop familier.
Le bureau du Sénateur Domus Renking.
*
— Je ne m’attendais pas tout à fait à vous voir ici aujourd’hui, commenta sèchement Renking en faisant signe à Arihnda de s’asseoir.
Il avait encore la perte des Mines Pryce en travers de la gorge, songea Arihnda, mais il n’était pas encore prêt à tenter quoi que ce soit contre elle.
— J’ai entendu dire que vous étiez sur Coruscant, mais j’ai supposé que vous passeriez votre temps entourée de tous ces amis influents et protecteurs avec lesquels vous m’avez menacé.
— La mondanité peut attendre, répliqua Arihnda en sortant sa datacarte. Je suppose que vous êtes au courant de la requête de Kintoni d’étendre la présence navale dans son système ?
— Bien sûr, répondit Renking, qui s’assit derrière son bureau, les sourcils froncés. Eh bien ?
— Eh bien même la Marine n’a pas de ressources infinies, dit Arihnda aussi patiemment qu’elle le put.
Elle aurait dû se douter que Renking serait trop préoccupé par ses petites intrigues politiques pour se pencher sur la signification réelle du jeu de puissance de Sanz.
— Ce qui signifie que chaque crédit dépensé sur Kintoni est un crédit que la Marine ne dépense pas sur Lothal, poursuivit-elle. Ce qui signifie que nous devons y mettre un terme.
— Très bien. Vous marquez des points. J’imagine que vous avez des idées à proposer ?
— Évidemment. C’est un plan en trois parties. Premièrement, j’ai une proposition qui montre de quoi Lothal serait capable en termes d’installations de débarquement et de maintenance. Voici les détails, dit-elle en lui tendant une datacarte. Deuxièmement, j’ai une analyse et une recommandation en faveur de Lothal provenant du commodore Thrawn. Troisièmement…
— Thrawn ? la coupa Renking en fronçant à nouveau les sourcils. Ce lieutenant à la peau bleue que nous avions rencontré à cette fête de la Semaine de l’Ascension ?
— Oui, sauf qu’il est commodore à présent. Et qu’il est très respecté par le Haut Commandement. Son opinion est capable de peser dans la balance. Et troisièmement…
Elle haussa les sourcils avant d’ajouter :
— Je veux que vous vous occupiez de la Gouverneur Sanz.
— M’occuper d’elle… comment ?
— Je ne sais pas, répondit impatiemment Arihnda. Parlez-lui, argumentez, convainquez-la, tout ce que vous voulez. Mais débrouillez-vous pour qu’elle retire sa proposition.
— Je peux essayer. Combien de temps ai-je devant moi ?
— Les propositions seront entendues dans six jours. Je vais consacrer ce temps à peaufiner la mienne et à rechercher des alliés au Sénat. Je suggère que vous le consacriez à Sanz.
— C’est compris, dit Renking. J’ai carte blanche ?
Arihnda leva une main.
— Faites ce que vous savez faire le mieux, Sénateur.
*
— Levez-vous ! tonna l’adjudant qui se tenait debout près de la petite table.
Assise dans la tribune des requérants parmi la foule, Arihnda se leva, Renking à ses côtés, quand un officier et deux civils entrèrent les uns derrière les autres. De l’autre côté de l’allée étroite, elle aperçut la Gouverneur Sanz qui se levait parmi l’assistance de son côté de la tribune. Son dos lui semblait étonnamment raide.
Les membres du comité prirent place, et alors que les requérants s’asseyaient, la civile au centre prit le datapad posé sur la table devant elle.
— Le comité restreint du Haut Commandement impérial a étudié les différentes propositions qui lui ont été présentées, dit-elle. Nous sommes réunis ici pour vous faire part de leurs décisions.
Elle pianota sur le datapad puis reprit :
— Premièrement : dans l’affaire de Lothal contre Kintoni concernant un contrat d’expansion d’installations navales. Le contrat est accordé à Lothal.
Arihnda sentit une vague de soulagement l’envahir. Elle jeta un coup d’œil de l’autre côté de l’allée, et il lui sembla voir Sanz se détendre.
Étrange, étant donné qu’elle venait de perdre. Peut-être ne voulait-elle pas le contrat autant qu’elle le prétendait, après tout ?
— Nous pouvons y aller à présent, souffla doucement Renking tout en lui tapotant l’avant-bras.
— Allez-y, murmura-t-elle en étudiant son datapad. Les prochaines requêtes concernent également la Bordure Extérieure. J’aimerais voir comment cela se passe.
Renking poussa un grognement.
— Bon, dit-il avant de tomber dans un silence boudeur.
Arihnda avait suivi les différentes requêtes, et aucune des décisions du comité n’était une surprise. Finalement, après vingt minutes, elle hocha la tête et fit signe à Renking de se diriger vers l’allée. Il se leva et se faufila entre les gens de leur rangée, Arihnda dans son sillage.
— C’est un succès, commenta Renking lorsqu’ils sortirent de la salle d’audience pour se diriger vers la sortie de l’immeuble. J’imagine que les félicitations sont de rigueur.
— Merci, dit Arihnda.
Du coin de l’œil, elle distingua une femme vêtue de la tunique blanche du BSI s’approcher d’eux depuis l’entrée.
— Mais je n’aurais pas pu y arriver sans vous.
— Je suis heureux d’avoir pu jouer mon rôle…
— Sénateur Domus Renking ? demanda la femme.
Renking se tourna vers elle et afficha un léger rictus en voyant son uniforme.
— Oui ? dit-il prudemment.
— Major Hartell, BSI, se présenta la femme. J’ai besoin que vous me suiviez, Sénateur.
— Pour quelle raison ? demanda Renking, le visage subitement sombre. De quoi s’agit-il ?
Des passants ralentissaient, et des têtes commençaient à se retourner.
— Voulez-vous vraiment avoir cette discussion ici, Sénateur ? demanda Hartell.
— Je vais vous dire ce que je ne veux pas, rétorqua Renking en haussant le ton. Je ne veux pas qu’une ratée du BSI mette mon nom sur une liste juste pour qu’un autre raté du BSI puisse jouer à des jeux de pouvoir avec le Sénat Impérial. J’exige de connaître le chef d’accusation, s’il y en a un, et le nom du demandeur.
— Comme vous voudrez, Sénateur, dit Hartell. Le demandeur, dans cette affaire, est le Bureau de la Sécurité Impériale lui-même. Vous êtes accusé de corruption.
Renking eut le souffle coupé.
— Quoi ? protesta-t-il en pinçant les lèvres.
— N’ayez pas l’air si surpris, dit Hartell. Il y a quatre jours, vous vous êtes rapproché de la Gouverneur Sanz de Kintoni pour lui proposer un pot-de-vin conséquent si elle retirait sa requête devant le Haut Commandement. La Gouverneur Sanz a refusé, argumentant qu’un retrait si tardif aurait l’air suspect, mais elle a ensuite accepté votre contre-proposition de saboter délibérément sa présentation contre le double de la somme originale.
Renking avait l’air d’un animal aux abois.
— C’est un mensonge, insista-t-il. Toute cette histoire n’est qu’un mensonge !
Mais le ton qu’il employait était plus un ton d’inquiétude que de défi.
— Quoi que Sanz vous ait dit…, balbutia-t-il.
— La Gouverneur Sanz ne nous a rien dit, l’interrompit Hartell sur un ton égal. Mais elle ne tardera pas à le faire. Elle est déjà en garde à vue pour son rôle dans cette conspiration.
Renking retint sa respiration et tourna la tête en direction d’Arihnda.
— Pryce ?
— Vous ne devriez vraiment pas discuter d’affaires criminelles avec la datacarte d’un tiers dans votre sacoche, dit-elle, impassible.
— Mais…
Il lança un regard à Hartell, puis à nouveau à Arihnda.
— C’est vous qui m’avez dit de le faire !
— Je vous ai dit de discuter, d’argumenter ou de la convaincre, le corrigea Arihnda. Je n’ai jamais suggéré ni même laissé entendre que vous deviez la soudoyer, dit-elle avant de faire un geste vers Hartell. Ce qui est également sur l’enregistrement.
— En effet, acquiesça la femme. Merci de votre aide, Gouverneur Pryce. Vous pouvez y aller. Sénateur Renking, je vous prie de me suivre.
Renking adressa un dernier regard à Arihnda, où l’on pouvait lire un mélange de surprise et de haine. Puis, sans un mot, il tourna les talons et suivit Hartell vers la sortie.
Tout autour d’eux, le drame terminé, les badauds de Coruscant retournèrent vaquer à leurs occupations.
*
— Je partirai pour Lothal demain dans la matinée, annonça Arihnda à la réceptionniste de son bureau de Coruscant en rassemblant les datacartes qu’elle avait oublié de récupérer plus tôt dans la journée. Je ne devrais pas être partie longtemps. Il y a quelques réunions auxquelles j’aimerais participer le mois prochain. Le Grand Moff Tarkin m’a invitée à visiter Eriadu, et je veux être de retour pour la Semaine de l’Ascension. Donc gardez bien le bureau ouvert et restez vigilante.
— Bien, Gouverneur, dit la réceptionniste. Oh, et vous avez reçu un message d’une certaine Juahir Madras, il y a environ deux heures.
Arihnda se figea.
— Juahir Madras ?
— Oui, Gouverneur, du centre de détention d’Oovo IV. Elle a déjà écrit, eh bien, environ vingt messages au cours de l’année dernière. Je les ai envoyés à votre bureau de Lothal, mais ils m’ont toujours été retournés. Souhaitez-vous en prendre connaissance ?
Arihnda prit une profonde inspiration. Juahir Madras. Sa vieille amie. Sa vieille traîtresse d’amie.
— Non, gardez-les pour le moment. Je vous ferai savoir quand je serai prête à les lire.