Chapitre 8

Le leadership et l’obéissance sont les deux piliers sur lesquels la vie d’un guerrier trouve son équilibre. Que l’un d’eux vienne à manquer et la victoire reste hors de portée.

Le leadership s’appuie sur l’information et la compréhension. Ce n’est pas le cas de l’obéissance. Il arrive qu’un commandant décide de dévoiler les détails de son plan. Souvent, il n’en fait rien. Dans les deux cas, l’obéissance doit être immédiate et complète.

De telles réactions automatiques reposent sur la confiance qui existe entre le commandant et ceux qu’il commande. Et cette confiance ne s’obtient que si l’on fait preuve de leadership.

 

 

Eli s’était attendu à ce que le commandant Rossi prenne mal les recommandations de Thrawn. Il ne fut pas déçu.

— Une équipe d’intervention entière ? répéta Rossi, l’air incrédule. Est-ce qu’il a perdu l’esprit ?

— Commandant, la cargaison possède une valeur inestimable, lui rappela Eli en s’efforçant de contenir son irritation grandissante.

Rossi n’avait pas le droit de rejeter les suggestions du Chiss d’un revers de main sans même leur accorder un semblant de réflexion. Mais Thrawn, de son côté, n’aurait jamais dû placer Eli au milieu de tout ça. S’il voulait que quelqu’un vante les mérites de son plan, il n’avait qu’à s’en charger lui-même.

— Si nous parvenons à déplacer le vaisseau, ou le tibanna lui-même…, poursuivit-il.

— Et s’il croit que je vais le laisser faire joujou avec vingt citernes de tibanna alors que mon vaisseau se trouve dans le même système solaire, il se trompe lourdement ! l’interrompit Rossi.

— Oui, captaine, dit Eli en fixant son comlink d’un regard noir.

Et voilà que Rossi se mettait à dramatiser. Des explosions en chaîne de tibanna pouvaient faire de sérieux dégâts. Mais pas à ce point.

— Néanmoins, si le lieutenant Thrawn pense que cela est faisable, poursuivit-il, cela pourrait valoir le coup de le laisser essayer.

— Ce ne serait pas une grosse perte pour la Marine s’il devait être réduit à l’état d’atomes par une explosion, rétorqua Rossi avec sarcasme. Mais je ne risquerai pas la même chose pour mon équipage dans ces conditions. De toute façon, c’est un débat stérile. Un village ho’din sur Moltok a essuyé des tirs de la part du chef makurth local et une intervention musclée de l’Empire est nécessaire pour distribuer quelques gifles de part et d’autre avant que ça dégénère en guerre totale. Nous devons partir.

— Je comprends, commandant, dit Eli, animé par le désir de lâcher prise et de laisser à Rossi l’entière responsabilité des répercussions – bonnes ou mauvaises – de sa décision.

Mais Cygni avait besoin de protection et de justice, lui aussi. Tout comme la base impériale ou la force de défense planétaire locale qui avait commandé cette livraison de tibanna.

Et puis Thrawn comptait sur lui.

— Et si seuls le lieutenant Thrawn et moi-même restions sur place ? suggéra-t-il à Rossi. Avec, si possible, l’un des techniciens pour nous assister ? Nous pourrions essayer de redémarrer le vaisseau et peut-être de trouver un début de solution pour le tibanna. Vous n’auriez qu’à revenir nous chercher une fois réglé le problème sur Moltok.

Il y eut une courte pause, et Eli visualisait sans peine Rossi en train de tapoter son accoudoir du bout des doigts tout en considérant ses différentes options.

Si Eli était homme à parier – et si les jeux d’argent étaient autorisés à bord du Corbeau de Sang –, il aurait misé sur le fait que le commandant allait choisir l’option dans laquelle Thrawn avait le plus de chance de se faire sauter. Si ce n’était pas le tibanna qui s’en chargeait, le retour de la bande de pirates pourrait faire l’affaire.

— Très bien, aspirant, dit finalement Rossi. Informez le lieutenant Thrawn qu’il peut avoir tout le matériel dont il a besoin et jusqu’à trois membres d’équipage, si tant est qu’il trouve autant de volontaires. Vous resterez avec lui quoi qu’il en soit, bien sûr. Un officier d’une telle importance ne peut rester sans assistant.

Eli prit un air renfrogné. Il avait eu raison sur toute la ligne.

— Entendu, commandant, dit-il. Je transmets immédiatement votre réponse.

Étant donné les circonstances, Rossi pensait certainement que l’équipe de réparation ne serait constituée que de Thrawn et Eli. Ce fut sans doute une surprise pour elle – et pas une bonne – lorsque Barlin, Layneo et Jakeeb se portèrent tous immédiatement volontaires pour rester, eux aussi.

— Je suis content de voir que vous êtes tous prêts à aider, dit Cygni en observant avec les autres le Corbeau de Sang sauter en hyperespace depuis la passerelle du Dromedar. J’espère juste que les choses ne tourneront pas mal pour vous.

— Ce ne sera pas le cas, lui assura Thrawn. Aspirante Barlin, technicienne Layneo : commencez dès que vous serez prêtes.

— À vos ordres, lieutenant, dit Barlin en s’asseyant au poste de navigation. Layneo ?

— J’y suis presque, madame, répondit Layneo en tirant une chaise jusqu’au principal poste informatique. C’est parti !

— Que font-elles ? s’enquit Cygni, sa voix réduite à un murmure comme s’il craignait de les déranger.

— Elles vont tenter d’emprunter ce qu’on appelle une porte dérobée asymétrique, lui expliqua Thrawn. Il s’agit d’un code caché programmé dans de nombreux systèmes informatiques de vaisseaux dans ce but précis.

Cygni laissa échapper un léger sifflement.

— Je n’ai jamais entendu parler de ça. Pas mal.

Il jeta un coup d’œil en direction de Thrawn et ajouta :

— Jamais entendu parler non plus d’un officier impérial non humain. Vous êtes un genre de Pantorien, c’est ça ?

Prenant une inspiration, Eli s’apprêtait à lui faire remarquer que les Pantoriens n’avaient pas les yeux rouges…

— En quelque sorte, oui, répondit Thrawn. Lieutenant de la Marine Impériale, voilà ce que je suis.

— D’accord, dit Cygni. Désolé, je ne voulais pas être indiscret. C’était juste pour… Ne le prenez pas mal.

— Il n’y a pas de mal, répliqua Thrawn. Aspirant Vanto, rejoignez le technicien Jakeeb et ouvrez le colis que j’ai fait venir à bord. Nous vous rejoindrons dans un instant.

— À vos ordres, lieutenant, dit Eli en fronçant légèrement les sourcils.

Il y avait quelque chose d’étrange dans la façon dont se comportait le Chiss, mais il n’arrivait pas vraiment à mettre le doigt dessus. Était-il inquiet pour le vaisseau ? Pour le gaz tibanna ? À cause des pirates ? Ou du commandant Rossi ?

En fin de compte, à bien y réfléchir, il n’y avait rien d’étonnant à ce que Thrawn se sente préoccupé.

Le colis avait été laissé juste à l’extérieur de la soute, le long des citernes de tibanna. Eli jeta un coup d’œil dans la soute – Jakeeb se trouvait à l’intérieur, occupé à relever les données demandées par Thrawn – puis commença à ouvrir le colis.

Il sentit ses yeux s’écarquiller. Il ignorait totalement que Thrawn allait se faire envoyer…

— Bon sang, mais…, s’éleva la voix stupéfaite de Cygni derrière lui. Est-ce que c’est un droïde buzz ?

— En effet, répondit calmement Thrawn. Je suis étonné que vous sachiez en reconnaître un.

— Ça n’avait rien d’une arme secrète, dit Cygni en allant s’accroupir près d’Eli pour jeter un coup d’œil dans la caisse. C’est la toute première version, n’est-ce pas ? Rare. Il fonctionne ? Je vous en prie, dites-moi qu’il ne fonctionne pas.

— Bien sûr qu’il fonctionne, répliqua Thrawn. Il ne me serait pas d’une grande utilité autrement.

Le regard de Cygni fit la navette entre le Chiss et le droïde buzz.

— D’accord, je ne vous suis plus, là. Ces trucs ont été conçus pour ronger les vaisseaux, non ?

— Ils ont aussi d’autres usages. Venez, je vais vous expliquer.

Thrawn tourna les talons et franchit l’écoutille permettant d’accéder à la soute. Cygni le regarda s’éloigner, puis se tourna vers Eli.

— Il est sérieux ? Je veux dire : il a vraiment l’intention d’utiliser un droïde buzz là-dedans ?

— J’en ai bien l’impression, dit Eli.

— Vraiment ?

Cygni contempla à nouveau l’écoutille, haussa les épaules et fit un geste en direction d’Eli.

— Après vous. Il faut absolument que je voie ça.

Thrawn se trouvait face à Jakeeb et tous deux discutaient à mi-voix lorsque Eli et Cygni les rejoignirent.

— Le technicien Jakeeb vient de confirmer mes hypothèses, annonça Thrawn. Le verrouillage statique bloque bel et bien les citernes de tibanna, mais uniquement de ce côté.

— Je vous demande pardon ? dit Cygni, l’air encore plus perplexe. Qu’est-ce que vous voulez dire par « ce côté » ?

Thrawn esquissa un geste.

— Technicien Jakeeb ?

— Le verrou se trouve uniquement sur le côté de la citerne donnant sur la soute, expliqua Jakeeb. Regardez, elles sont fixées directement à la coque par des barres d’étayage de cinquante centimètres. C’est une distance trop courte pour que le verrouillage puisse faire tout le tour – au risque de se court-circuiter ou de se vider de toute son énergie. Donc le verrouillage se limite aux surfaces donnant sur la soute.

— Mais il s’étend aussi aux deux extrémités de la rangée de citernes, j’imagine, nota Eli.

Il comprenait ce que Thrawn avait en tête, maintenant.

— Exact, confirma Jakeeb. Tout sauf l’arrière. Donc si vous voulez y accéder, la meilleure façon de vous y prendre, c’est de passer à travers la coque.

— D’où la présence des droïdes buzz, dit Cygni, l’air impressionné. Ben ça alors… Pourquoi personne n’y a jamais pensé avant ?

— Oh, c’est arrivé, supposa Jakeeb. Le truc, c’est que ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air.

— Parce que ?

— Premièrement, vous devez vous procurer un droïde buzz et sans doute le retaper entièrement, expliqua Jakeeb en montrant son pouce du doigt. Deuxièmement, les coques des gros vaisseaux sont plus épaisses et résistantes que celles des vieux chasseurs stellaires. Il y a de fortes chances pour que votre droïde rende l’âme avant même d’arriver à la moitié de son forage. Troisièmement…

Il regarda Thrawn et haussa les sourcils.

— Troisièmement, vous devrez nécessairement vider l’une des citernes dans l’espace en découpant la coque, poursuivit le Chiss. Ce qui représente une perte que beaucoup ne sont pas prêts à accepter.

— Même si en perdre une sur vingt, ce n’est pas si mal, en termes de pourcentage, considéra Cygni. Surtout si l’alternative, c’est perdre la totalité. Donc j’imagine qu’une fois que vous avez vidé cette citerne, vous la découpez en morceaux et vous vous en débarrassez à travers la brèche, ce qui vous donne accès aux autres par l’arrière. Alors il ne vous reste plus qu’à remonter la rangée en découpant toutes les barres d’étayage et en les libérant une par une ?

— Exactement, dit Jakeeb. Ça prend du temps, mais une fois la première extraite, ce n’est plus que de la manipulation mécanique.

Il regarda de nouveau Thrawn et ajouta :

— Il y a un autre petit problème, bien sûr. Évacuer le tibanna hors du vaisseau se fait sans souci, en théorie. Mais si la moindre étincelle entre en contact de la vapeur… eh bien, ça pourrait causer des complications.

— Comme l’explosion du vaisseau ? demanda Cygni.

— Pas à ce point, pondéra Jakeeb, mais ça ferait du grabuge.

— Par chance, ça ne sera pas nécessaire finalement, annonça Thrawn.

Sa tête était légèrement penchée sur le côté, remarqua Eli, comme s’il écoutait quelque chose.

— Pourquoi ça ? voulut savoir Cygni.

En guise de réponse, Thrawn sortit son comlink.

— Aspirante Barlin ? Ai-je bien entendu l’hyperdrive se réactiver ?

— En effet, lieutenant, répondit la voix étouffée de Barlin dans le comlink. J’ai pu déverrouiller le système et nous sommes quasi prêts à y aller. Cygni a-t-il les coordonnées de la destination ? Ou nous contentons-nous de conduire le vaisseau sur Ansion ?

— Ni l’un ni l’autre, je le crains, dit doucement Cygni.

Eli se tourna vers lui, les sourcils froncés.

Puis il se figea. Le membre d’équipage misérable, nerveux et infortuné avait disparu. À sa place se trouvait quelqu’un d’autre : quelqu’un de discret, calme et extrêmement sûr de lui.

Il tenait un petit blaster d’une main ferme.

— C’est quoi, ce bordel ? souffla Jakeeb.

Cygni ne prêta pas attention au commentaire. Il sortit un comlink de sa main libre et l’activa.

— C’est bon. Trois avec le tibanna ; deux sur la passerelle.

Il haussa les sourcils en direction de Thrawn et ajouta :

— Je vous serais gré d’ordonner à Barlin et à Layneo de se rendre sans résister.

— Pourquoi les priverais-je du droit – et du devoir – qui sont les leurs de défendre leur vie ? rétorqua Thrawn.

— Parce que si elles se rendent, aucun mal ne leur sera fait, assura Cygni. Je vous en donne ma parole.

— Et ceux-là ? demanda Thrawn en inclinant la tête en direction d’Eli et de Jakeeb.

— On ne fera de mal à aucun de vous. Seul le tibanna nous intéresse.

Il fonça le nez et ajouta :

— Enfin, le vaisseau aussi. J’imagine que cela va sans dire.

Avant que Thrawn puisse répondre, une douzaine de grands gaillards à la mine revêche franchirent l’écoutille et envahirent la soute. L’un d’eux, un homme mince à la barbe tressée, brandit son blaster…

— Baissez les armes ! ordonna sèchement Cygni. Ils se sont rendus. On ne tire pas. Angel, j’ai dit de baisser ton arme.

L’homme à la barbe tressée l’ignora.

— Bon sang, c’est quoi, ça ? exigea-t-il de savoir en pointant son blaster sur Thrawn.

— Ça, répondit Cygni, c’est un lieutenant de la Marine Impériale. Maintenant, baisse ton arme.

Il regarda Thrawn et ajouta :

— Lieutenant ?

Thrawn l’observa quelques instants puis porta son comlink à ses lèvres.

— Aspirante Barlin, un groupe de pirates se dirige vers la passerelle. Ils ont reçu l’ordre de ne pas vous faire de mal si vous n’opposiez aucune résistance. Et c’est ce que vous allez faire.

— Lieutenant ?

— Rendez-vous, aspirante. C’est un ordre.

Thrawn rangea son comlink puis reprit :

— Souhaitez-vous recevoir personnellement ma reddition, monsieur Cygni ?

— Allons, lieutenant, dit Cygni sans esquisser un geste. Je ne prends pas spécialement de plaisir à vaincre mes ennemis. Angel ? Désarme-les, s’il te plaît.

— Ouais, répondit Angel avec un sourire carnassier. Parce que moi, ça me fait plaisir. Alors ne jouez pas aux plus malins.

Il fit signe à trois de ses soldats de s’avancer.

Du coin de l’œil, Eli vit Jakeeb se tendre comme pour se préparer à passer à l’action.

— Repos, Jakeeb, murmura-t-il. Vous avez reçu un ordre.

Le technicien poussa un soupir de frustration.

— Oui, monsieur.

L’instant d’après, les Impériaux étaient désarmés.

— Bien, dit Cygni.

Eli se fit la remarque qu’il avait l’air plus détendu maintenant que le risque de combat était passé.

— Tu ferais mieux d’appeler ton vaisseau, Angel, ajouta-t-il.

— Déjà fait. J’imagine que tu veux que je mette ces gars-là avec les autres ?

— C’était notre accord, lui rappela Cygni. Aucun mort ni blessé. Oh, et au cas où je ne l’aurais pas mentionné, j’ai déjà une équipe à terre au point de rendez-vous qui veillera à ce que tu déposes tout le monde sans encombre.

— Eh bien, tu sais ce que c’est, les choses ne se déroulent pas toujours comme on le souhaiterait, le mit en garde Angel.

Ses yeux, remarqua Eli, n’avaient pas quitté Thrawn depuis plus d’une minute.

— Parfois, ajouta Angel, il peut y avoir un accident. Parfois, ça se complique. Il peut y avoir…

— Parfois, il y a des conséquences qu’on n’a vraiment pas envie de subir, le coupa Cygni.

Il n’avait pas élevé la voix, mais quelque chose dans le ton employé fit naître un frisson dans le dos d’Eli.

— Arrête un peu ton cirque, poursuivit-il. Tu as les deux autres Impériaux ? Bien. Fais-les venir ici. Dès que ton vaisseau arrive, on les transfère à bord. J’espère que tu as déjà choisi les hommes qui m’aideront à conduire le Dromedar à destination ?

— Oh oui, j’ai ton équipe, dit Angel sans cesser de dévisager Thrawn. À commencer par moi.

Cygni fronça les sourcils.

— Ce n’est pas nécessaire que tu sois là en personne. Récupérer les citernes va prendre pas mal de temps, que ce soit en forçant le verrouillage statique ou, comme nous l’a conseillé le lieutenant Thrawn, en découpant la coque. Assez longtemps pour que tu déposes les prisonniers et que tu nous rejoignes.

— Je sais, dit Angel. C’est juste que j’aime ta compagnie, c’est tout.

Il désigna Thrawn d’un signe de tête et ajouta :

— Je disais juste que les accidents sont des choses qui arrivent. Pas que ça allait forcément arriver, juste que c’était possible.

Cygni le fixa, le visage totalement impassible. Il regarda Thrawn puis revint à Angel. Eli retint son souffle…

— Laisse-moi mettre un peu de beurre dans tes lamtas, proposa Cygni. Tu as remarqué cette caisse dans la coursive en venant ici ?

— Ouais, dit Angel. Est-ce que c’est un droïde buzz ?

— En effet. Prends-le en guise de bonus. Ça vaut probablement, quoi… ? ajouta-t-il en tendant une main vers Thrawn.

— Deux cents crédits en l’état, dit Thrawn.

Cygni gloussa, amusé.

— Vous êtes loin du compte, lieutenant. C’est la toute première version, Angel. Selon les cours actuels, ça vaut probablement mille crédits rien que pour la carapace en doonium du noyau.

Angel décocha un regard surpris au droïde.

— Il a une carapace en doonium ?

— Raffinée, cémentée et prête à être retirée par le bon acquéreur pour être placée sur le marché noir, confirma Cygni. Mille crédits. Deux cents pour chacun de ces cinq Impériaux qui, à côté de ça, n’ont aucune valeur. Juste pour les garder en vie.

Angel fronça le nez.

— C’est bon, dit-il avec réticence. C’est pas faux. J’imagine.

— Et si ça ne suffit pas encore, repense un peu à ça : si je ne les avais pas persuadés de se rendre, ils se seraient battus et certains de tes hommes seraient morts à l’heure qu’il est. Toi aussi, peut-être.

— J’ai dit c’est bon, insista Angel avec mépris. Qu’ils se tiennent à carreau, et je les déposerai en même temps que les autres. Content ?

Cygni inclina la tête.

— Tu ne le réalises peut-être pas, Angel, mais ça finit par payer de se faire une réputation de quelqu’un qui tient ses promesses.

— Non, pas pour les gars avec qui je bosse, rétorqua Angel d’un ton acerbe. C’est bon. Finissons-en.

*

— Alors tu penses qu’on ne peut pas se fier à moi quand je fais une promesse ?

Angel jette un regard par-dessus son épaule en direction de ses prisonniers et des autres pirates. Ses yeux sont plissés, le coin de ses lèvres tordu vers le bas. Les muscles de son cou et de son dos sont contractés.

— Pas du tout, dit Cygni.

Sa voix est calme, ses paroles conciliantes. Ses mouvements sont mesurés et précis. Son visage reste relativement impassible, mais un muscle de sa joue est contracté.

— Mais puisque je suis là, poursuivit-il, je me suis dit que j’allais passer voir les autres prisonniers. Tes hommes se sont montrés un peu brutaux avec deux d’entre eux.

— Hé, quand tu lances un uppercut à un Sankane, il te revient avec des intérêts, gronda Angel. Ils ont de la chance que je ne les aie pas abattus sur place.

— Oui, murmura Cygni, je suppose que c’est vrai.

— Qu’est qu’un Sankane ? demanda Thrawn.

— Quoi ? s’exclama Angel.

Il plisse les yeux. Sa voix est chargée de méfiance et d’une colère soudaine, signe qu’il regrette peut-être d’en avoir trop dit.

— C’est un mot que je n’avais jamais entendu auparavant, expliqua Thrawn. Aspirant Vanto ?

— Je ne le connais pas non plus.

Sa voix est prudente, mais intéressée.

— Ça doit être une sorte d’argot, j’imagine. Un synonyme d’« idiot », sans doute, ajouta Eli.

Angel fait un pas en direction de Vanto. Son visage affiche soudain une expression furieuse. Il serre les poings.

— Écoute-moi bien, mon mignon…

— Ça suffit, intervint Cygni. Bouge-toi, Angel. On a un planning serré.

L’équipage du Dromedar était enfermé dans une grande cage à barreaux en métal qui avait été construite dans la soute située dans la poupe du vaisseau pirate. Ils étaient dix : sept humains dont l’âge, la taille et la couleur de peau étaient variés ; deux Grans, chacun doté des trois yeux et du museau caprin spécifiques à leur espèce ; et une Togruta, dont les montrals – des cornes en forme de cône – et les appendices crâniens rayés la faisaient sortir du lot de prisonniers.

La Togruta observe les nouveaux prisonniers s’approcher. Ses mains glissent lentement le long des barreaux de leur prison. Elle regarde brièvement chacun des Impériaux puis reporte son attention sur Angel.

Ils atteignirent la cage. Angel ôta une clé suspendue à son cou et ouvrit le verrou qui maintenait la porte fermée. Le verrou était de type mécanique et n’avait ainsi rien à craindre des attaques électroniques. La clé elle-même avait une forme ondulée sophistiquée avec de multiples bosses et crans vraisemblablement difficiles voire impossibles à reproduire.

Trois des pirates pointèrent leurs blasters sur les prisonniers dans la cage tandis qu’Angel retirait le verrou. Il ouvrit la porte en grand et indiqua l’intérieur d’un geste.

— Entrez, ordonna-t-il.

Angel attendit que les cinq Impériaux aient franchi la grille pour la refermer derrière eux et réenclencher le verrou.

— Satisfait ? demanda-t-il à Cygni.

Angel tendit la clé à l’un des autres pirates qui la suspendit à son propre cou avant de la glisser sous le col de sa chemise.

— Pour le moment. N’oublie pas : ils doivent être déposés comme convenu. Sains et saufs.

Il hausse les sourcils en guise de défi silencieux.

— Zéro accident, ajouta-t-il. Veille à ce que tes hommes s’en souviennent.

— Ne t’inquiète pas, grommela Angel. Allez les lourdauds : retournez à vos postes ! Je vous veux au Condé dans six jours.

Il regarde à nouveau Cygni et plisse les yeux.

— Et fais gaffe à ne pas leur faire de bobos au moment de les déposer, ajouta-t-il. Allez, on s’en va.

Il quitta la soute et se rendit à l’avant, suivi de ses hommes.

Cygni adresse aux prisonniers un dernier regard, plisse les lèvres puis leur emboîte le pas.

— Je présume que vous êtes l’équipe venue à notre secours ? demanda une humaine dans la cage.

Sa lèvre se tord en une grimace, par mépris ou par sarcasme, peut-être.

— On peut dire ça, dit Vanto. Voici le lieutenant Thrawn ; je suis l’aspirant Vanto. Êtes-vous le capitaine Fitz ?

— Ouais, dit la femme. Alors il vous a entubés, vous aussi ?

— Qui, Cygni ?

— Yep. Il est monté à bord du Dromedar avec un faux laissez-passer, puis il s’est débrouillé pour manipuler tout le monde et prendre le contrôle du vaisseau.

— Il n’a pas eu tout le monde, corrigea Layneo. Il a dit que vous aviez verrouillé l’hyperdrive.

— Mouais, dit Fitz. Pour ce que ça nous a avancés. Donc il a réussi à vous convaincre de le redémarrer pour lui ?

— Plus ou moins, dit Vanto.

Fitz poussa un juron.

— Donc ça y est. On a perdu le vaisseau, on a perdu le tibanna, et on est foutus. Ils pourraient tout aussi bien nous flinguer.

— Je ne perdrais pas espoir si vite, déclara Vanto. Lieutenant ?

— Pas encore, aspirant, répondit Thrawn. Patience.

— Pas encore quoi ? voulut savoir Fitz. Hé, p’tit malin aux yeux de braise, c’est à toi que je parle.

— Il doit être en train de réfléchir à ce qu’il va mettre dans son rapport, dit l’un des autres prisonniers. Faut bien qu’il trouve un moyen de sauver les apparences dans ce gros foutoir.

— Surveillez votre langage, les mit en garde Vanto. C’est d’un officier de la Marine Impériale dont vous parlez.

— Ouais, je tremble de trouille…

— J’ai dit : surveillez votre langage !

Vanto n’élève pas la voix. Mais l’effet sur les prisonniers est immédiat. Fitz lui jette un regard à la dérobée, puis baisse les yeux.

— Désolée, souffla le capitaine.

— Merci, dit Vanto. Et si vous pensez que le lieutenant Thrawn est du genre à perdre son temps à se trouver des excuses, vous vous trompez lourdement. Lieutenant ?

— Encore un moment, dit le Chiss.

— Écoutez, lieutenant…, commença Fitz.

— Il a dit d’attendre, lui rappela Vanto.

— Mais quoi ?

Fitz serre les dents puis fait un effort pour décontracter les muscles de sa mâchoire.

— Que devons-nous attendre ? ajouta-t-elle.

— Que Cygni et les autres soient retournés à bord du Dromedar et sautent en hyperespace, expliqua Thrawn. Je suis en train de compter le temps que ça leur prend.

— Vous voulez qu’il file avec notre vaisseau ?

— Silence, capitaine, dit Vanto.

— Mais…

— Silence, répéta Vanto.

Là encore, sa voix reste ferme et contrôlée. Mais sa confiance et sa détermination suffisent une fois de plus à museler Fitz.

— C’est la dernière fois que je vous le demande, ajouta-t-il.

Le silence tomba sur la cage. Thrawn continua de compter.

Puis ce fut le moment.

— Technicienne Layneo, les commandes des vaisseaux de ce type vous sont-elles familières ? demanda Thrawn.

— Pas de ce type en particulier, lieutenant, répondit Layneo.

Elle regarde l’entrée de la soute à travers les barreaux.

— Mais j’ai jeté un œil à la configuration des commandes moteur en venant ici, et ça m’a semblé assez standard. Que voulez-vous que je fasse ?

— Si on isole la passerelle, peut-on faire voler le vaisseau depuis ici ?

Un murmure bruisse parmi les prisonniers.

— Probablement, répondit Layneo. Aspirante Barlin ?

— Je pense qu’on peut y arriver, lieutenant, acquiesça Barlin. Ça nécessitera quelques recâblages malgré tout. Si les pirates sont assez rapides, ils pourraient être capables de désactiver certains circuits avant qu’on parvienne à les neutraliser.

— Je pense qu’il y a moyen de les occuper, dit Thrawn.

— Tout ça, c’est bien beau, intervint le capitaine Fitz. Sauf que ces circuits sont là-bas, et nous, nous sommes ici.

— Plus pour longtemps, j’imagine, capitaine, dit Vanto. Lieutenant, souhaitez-vous que nous vous laissions un peu d’espace ?

— Pas du tout, aspirant, répondit Thrawn en retirant son insigne. Vous m’avez demandé un jour ce que je comptais faire de la deuxième plaque que le commandant Deenlark m’avait donnée à l’Académie.

Vanto se rapproche, le front plissé. Il observe l’insigne ainsi que les composants électroniques et les micro-interrupteurs visibles à l’arrière. Son front redevient lisse.

— C’est une balise d’appel, n’est-ce pas ?

— En effet, confirma Thrawn.

— Attendez une seconde, dit Fitz. Vous êtes en train de dire que votre vaisseau est assez proche pour l’appeler ? Non, ça n’a aucun sens.

— Notre vaisseau est parti depuis longtemps, lui indiqua Vanto.

Il sourit.

— Mais ce n’est pas ce qu’il appelle, ajouta-t-il.

— Alors quoi ? voulut savoir Fitz.

La réponse lui parvint cinq secondes plus tard.

Les holos de l’époque de la Guerre des Clones montrant des droïdes buzz s’attaquer à des chasseurs stellaires de la République étaient déjà impressionnants en tant que tels. Mais ces combats s’étaient déroulés dans le vide de l’espace, ce qui avait terriblement assourdi l’ensemble des bruits de la bataille. Le droïde qui se frayait à cet instant un chemin vers eux en creusant et en perforant la cloison de la soute était bien plus bruyant que ce à quoi Thrawn s’était attendu.

— Reculez ! cria-t-il tandis que le bord des lames, les mèches de la perceuse et le jet flamboyant de la torche à plasma apparaissaient à travers la cloison de métal. Une fois le droïde passé de l’autre côté, il n’y aurait plus d’obstacle jusqu’à la balise d’appel à l’exception de la cage elle-même. Le timing s’avérerait alors crucial pour lui permettre de découper les barreaux sans le laisser pour autant continuer jusqu’à la commande à distance.

Le droïde émergea de la cloison dans une ultime projection d’éclats de métal. Il poursuivit sa trajectoire à travers la soute en volant sous sa forme sphérique. Il percuta la cage et se redéploya aussitôt, ses appendices en forme de crochets s’agrippant à un barreau tandis que la scie circulaire et la torche s’attaquaient à deux autres. Un segment d’un mètre de long de l’un des barreaux tomba avec fracas sur le pont, et la lame qui l’avait sectionné passa au barreau suivant.

— Cela va prendre trop de temps, s’inquiéta Vanto.

Thrawn avait déjà évalué la vitesse de progression du droïde. Vanto avait raison.

— Je suis d’accord.

Il se déplaça de deux pas sur la droite pour placer la balise d’appel à l’autre extrémité de la porte. Le droïde se tourna vers lui. Thrawn repositionna la balise de façon à l’attirer droit sur la porte. Un dernier ajustement et la scie du droïde se mit à entamer le verrou.

Thrawn regarda vers l’entrée de la soute. Encore quelques secondes seulement et les pirates de cette partie du vaisseau allaient certainement venir voir ce qui se passait.

Il reporta son attention sur la porte de la cage, jaugeant une fois encore la progression du droïde. Le timing allait être serré.

— Attention ! s’écria l’un des prisonniers.

Trois pirates apparurent brusquement dans l’encadrement de l’écoutille.

Leur démarche se fait hésitante puis leurs yeux s’écarquillent et leur bouche s’entrouvre de stupéfaction lorsqu’ils voient le droïde buzz en train de découper la cage.

Une seconde plus tard, ils se ressaisirent et dégainèrent leurs blasters, le geste encore quelque peu maladroit suite au choc reçu.

L’expression de leur visage passe de la surprise à la colère.

Thrawn tendit le bras à travers les barreaux de la cage et lança la balise d’appel par-dessus leurs têtes de façon à ce qu’elle atterrisse sur le pont de la salle des machines derrière eux. Aussitôt, le droïde buzz rétracta ses instruments coupants, se décrocha de la cage et fonça à travers la soute en direction des pirates.

Leurs yeux s’arrondissent à nouveau.

Ils tenaient les prisonniers en joue avec leurs blasters, mais ils choisirent finalement de le pointer plutôt en direction du droïde en approche et d’ouvrir le feu.

Même avec une coque en doonium pour protéger le noyau du cerveau, le mécanisme interne du droïde buzz restait vulnérable aux tirs de blaster. Toutefois, la carapace sphérique externe était beaucoup plus résistante. Les décharges des trois pirates firent mouche, mais aucune ne parvint à la transpercer. Les pirates ouvrirent de nouveau le feu et les trois tirs manquèrent leur cible. Deux des hommes se jetèrent au sol dans l’espoir d’échapper au droïde. Le troisième ne fut pas assez rapide et, percuté sur le côté, partit en vrille.

Près de Thrawn, Jakeeb s’avança d’un pas, se suspendit aux barreaux du plafond de la cage et, dans un mouvement de balancier, frappa des deux pieds contre la porte. Ce qui restait du verrou sauta sous le choc. Le technicien se laissa retomber au sol et, baissant la tête, fonça hors de la cage. Barlin, Layneo et le reste des prisonniers étaient juste derrière lui.

Il y eut un bref combat au corps à corps. Quand ce fut terminé, les trois pirates étaient inconscients.

— Bon travail, les félicita Thrawn. Aspirant Vanto, technicien Jakeeb, capitaine Fitz : prenez leurs blasters et protégez l’accès à cette zone. Aspirante Barlin et technicienne Layneo : le système de commande.

— Oui, lieutenant, dit Barlin.

Elle se précipita vers les tableaux de bord, Layneo et trois membres de l’équipage du Dromedar derrière elle.

— Il va nous falloir plus d’armes si on veut avoir une chance de leur tenir tête, estima le capitaine Fitz.

— Il est fort possible que ce ne soit pas nécessaire, indiqua Thrawn. Les pirates qui se trouvent au-delà de l’écoutille d’entrée ne nous rejoindront pas.

— Qu’est-ce qui va les en empêcher ? voulut savoir Fitz.

— Le verrouillage de sécurité de l’écoutille interne, indiqua Thrawn en pointant des voyants rouges qui clignotaient au loin. À l’instant où nous parlons, le vestibule et la partie centrale du vaisseau sont exposés au vide de l’espace.

— Quoi ? s’exclama Fitz.

Ses muscles se contractent sous la surprise et l’étonnement.

— Comment diable… ?

— Détendez-vous, capitaine, dit Vanto.

Il sourit avec satisfaction et une pointe d’humour noir.

— Tout est toujours sous contrôle avec le lieutenant Thrawn, lui assura-t-il. Il se trouve qu’il possède également un deuxième droïde buzz.

Fitz reste silencieuse pendant deux secondes. Puis un large sourire s’épanouit sur son visage.

— Ce n’est vraiment pas de chance pour nos pirates, dit-elle. Lieutenant Thrawn, je crois que le vaisseau est à vous. Quelle trajectoire devons-nous suivre ?