M. Kupfergrün reprend la parole
Un souffle de lassitude passa.
On sentait que les pensées étaient détachées des paroles et des images, les attentions relâchées, et que les sempiternelles incompréhensions, les plus redoutables ennemies des histoires, pesaient sur les cerveaux.
Et, tout à coup, naquit un tumulte de cabaret dans ce coin du diable où se devinaient tant de présences.
— Moi qui vous parle, j’ai vu de mes yeux, ce qui s’appelle vu, sur le parvis de Saint-Paul, un homme qui n’avait pas de pomme d’Adam. Il vendait un remède souverain contre le haut mal…
— La mer des Algues ! Hérodote en parle, mais sans connaissance de cause. En 1375, quand parut l’Atlas Catalan, qui est peint sur bois de cèdre et se replie comme un volet…
Bertram le chevalier feri et assena
Sur l’escu de son col, oultre le transperça
Et le haubert aussi et l’auqueton creva
Mais adont nullement la char n’entama.
— Si l’homme de Tyburn était encore ici, il en témoignerait certainement. Trois poules noires et un coq borgne avaient été condamnés pour crime de sorcellerie. Quand on les brûla vifs, ils éclatèrent comme grenades, et cent douze personnes furent tuées !
— Si c’était mon tour de prendre la parole, je raconterais l’histoire de Peterkin Heaven qui avait fait cuire une mandragore pour la manger.
— On la connaît. Son estomac et ses boyaux furent changés en or et, sous leur poids, son ventre se déchira.
— Le fantôme de Greystoke-Manor avait sept têtes, une pour chaque nuit de la semaine. Six vilaines à faire peur et une très belle, qu’il réservait aux dimanches.
M. Kupfergrün réapparut alors et, dans la louable intention de faire battre chamade aux vains bavards, reprit la parole.