Histoire d’un fantoche
Je suis Mayeux… Eh ! que dis-je ? Je suis Uriah Chickenhead !
Un ridicule polichinelle, haut comme trois pommes, gibbeux et bancal, odieusement accoutré à la mode de 1830, avait pris soudainement la parole.
— Citoyens, reconnaissez le Bonhomme Mayeux, né en France, à l’ombre du Louvre… Oho ! c’est-il du saumon mariné que vous voulez ?… Pardon, vous ne pourriez me comprendre ! J’ai bien dit « Mayeux », ayant par émigration forcée acquis droit de cité en Angleterre ! Si parfois je mêle à mon discours de mesquines offres de service, pour vous vanter l’excellence de certaines denrées délectables, veuillez n’y prendre garde ! C’est là justement le mystère de ma personne.
… La voix douce murmura une formule de bienvenue et ajouta :
— Parlez donc, Monsieur Mayeux. J’ai bien dit « Monsieur Mayeux » et non « Uriah Chickenhead »…
— Ah ! s’écria le nabot, vous êtes certainement un grand magicien, monsieur, car voici que je sens une étrange légèreté régner sur mes esprits et une lumière pure les baigner ; je vais enfin pouvoir parler comme je l’entends.
» Il faut que je vous fasse un cours d’histoire.
» 1830 ! Année éternelle et prodigieuse ! Un trône chancelle : Charles X tombe de cheval et Louis-Philippe apparaît, un parapluie sous le bras. C’est un bon et solide bourgeois, tout comme moi !
» Car je suis le bourgeois de France, le citoyen au bon sens, à l’esprit en bel et juste équilibre. Atlas en redingote, je charge une partie du monde sur mes épaules dévouées.
» Et pour se venger de toutes ces vertus, les malicieux et les factieux me firent ainsi que vous me voyez : bossu, bancal, chassieux, ridicule et repoussant dans ma chair comme dans mes habits. Car je ne fus qu’une caricature, qu’un être immobile à deux dimensions, consigné dans l’opprobre et la risée, sur du méchant papier à trente sous la rame et né de la haine et du mépris.
Ainsi je restai jusqu’au jour où le roi, faible devant la multitude, s’enfuit en Angleterre en l’année 1848.
Mais il en fut de la forme comme du Verbe qui devint chair.
— Oyez, citoyens, comment de caricature bafouée, je devins homme de mérite mais de vie décevante.