La clergesse parle

Une voix cria :

— À vous la clergesse !

Une silhouette se détacha du fond rouge du foyer, où elle s’était tenue jusqu’alors, les pieds sur les contre-hastiers.

Je fus très étonné de voir que c’était une femme ; il est vrai que le bon Chaucer en avait admis naguère parmi ses pieux pèlerins. Comme elle s’approchait du candélabre, je lui reconnus un visage lourd et chagrin. Elle était vêtue d’une robe de futaine à petit collet de canepin, de bien séante apparence, et un bonnet à quartiers qui emprisonnait complètement sa chevelure.

Elle porta une main longue – aux doigts diantrement aigus, à ce qu’il me sembla – à sa puérile coiffure et dit :

— Au fait, j’aurais droit au bonnet carré… Vous en jugerez bientôt par vous-mêmes !

— Au diable les femmes savantes ! s’écria quelqu’un dans l’ombre.

— Vous m’auriez rencontrée certes avec bonheur, ricana la femme, dont le regard se fit soudain féroce, si vous aviez vécu au temps où le quartier de Tyburn était le plus horriblement célèbre de tous les quartiers de Londres.

Murr se tassa plus fort sur mes genoux et de longs frissons lui parcoururent l’échine. Je l’entendis doucement gémir :

— Das Grauen… Das Grauen…

— Je suis née à Epping-Forest, où mes parents gagnaient péniblement leur vie en fabriquant du charbon de bois. Tout mon savoir me vint de l’étude que je pus faire ainsi de la mystérieuse plante que l’on nomme funaire et qui croît à l’endroit où se sont éteintes les meules de charbon.

À l’âge de vingt ans, je connaissais suffisamment le secret de cette herbe, née du feu, pour parcourir le pays comme guérisseuse. Je n’aimais pas guérir, car la souffrance des hommes me laissait indifférente, mais les malades payaient cher mes conseils et mes remèdes, et j’amassai assez d’argent pour m’établir à Londres, dans une belle maison à l’angle de Spite-street et de Tyburn Place. Or, sur Tyburn Place, on dressait tour à tour échafaud, gibet, bûcher, roue et pilori.

Je pus ainsi jouir, de mes fenêtres, des dernières souffrances des hommes que la justice envoyait à la mort.

Mais je m’ennuyai un jour de ces sanglantes pantalonnades et, l’esprit de la funaire m’aidant, je découvris bientôt le moyen de m’en divertir autrement.