M. Tipps raconte sa vie,
Puis-je me permettre ?…
Celui qui demandait la parole semblait rechercher la lumière, car il moucha soigneusement les chandelles et fit en sorte que la clarté avivée l’inondât de son chapeau à ses gracieux petits escarpins.
Ah ! le délicieux bonhomme ! Je ressentis à son endroit une sympathie aussi spontanée que grande.
Il portait un habit de taffetas tigré garni de pompons, de galons et de paillettes, un tonnelet en moire d’argent, peint en longues et étroites feuilles, et une culotte de satin feu.
Il me souvint qu’au temps de la guerre des Amoureux, de vains dignitaires français, appartenant à la suite de la célèbre Marguerite de Valois, s’accoutraient de semblable façon.
Quelques années plus tard, des faquins de Buckingham reprirent cette sotte et chatoyante mode pour leur compte et se firent tour à tour admirer et mépriser par le commun… Peu importe. Le nouveau venu me plut néanmoins par sa figure douce et poupine, sa voix fluette aux séduisantes inflexions et son évidente intention de vouloir faire preuve d’éducation et de courtoisie.
— Messieurs, continua-t-il en faisant courbette, je rends hommage au Seigneur Chat, qui fit justice à une sorcière de basse condition et en même temps grand honneur…
— En la croquant, murmurai-je, me souvenant d’une fable lue.
— J’espère que l’honorable digestion du Seigneur Chat ne souffrira pas d’un mets aussi grossier que chargé des pires venins de l’enfer ; à cette intention, je formule des vœux sincères et je mets, s’il devait en éprouver des incommodités, mon humble science à sa disposition. Personne de mes bons contemporains ne faisant partie de l’estimable assemblée, je me vois obligé de me présenter moi-même : Benjamin Tipps, que Sa Gracieuse Majesté faillit anoblir pour de multiples et dévoués services rendus pendant douze années entières de son auguste règne. D’aucuns m’ont nommé Sir Benjamin Tipps et même Sir Benjamin tout court, mais je n’oserais en demander autant à personne, bien que je sois sensible à cette considération. Chirurgien et barbier de Son Honneur Sir Billoughsby, je fus nanti de la charge de Bram Besnach, Seigneur de Tyburn, et exécuteur des hautes œuvres de justice de Sa Majesté, quand il décéda de mort triste et violente sur la route d’Upper-Kingston. La détestable magicienne – elle s’appelait Déborah Mapp et que son nom soit honni pour l’éternité dans l’esprit des hommes – déshonora Tyburn par d’odieux sortilèges. Qu’il me soit permis, Messieurs, de réhabiliter ce noble endroit de la cité de Londres qui, pendant des siècles, fut inondé de la gloire pure et sévère de la Justice, comme il le fut du sang des criminels, des hérésiarques, des sacrilèges et des ennemis de Sa Gracieuse Majesté.