Fin de la première partie des aventures de Quentin du Mesnil

Léonard se remit avec difficulté de son attaque. Sa main droite était devenue inerte. Il savait qu’il n’en retrouverait pas l’usage. Cette nouvelle preuve de son inexorable voyage vers la mort l’attrista, mais il déclara avec le peu de force qu’il lui restait :

— Je continuerai.

Il n’en dessinait pas moins, sa main gauche étant tout aussi habile que la droite. Le roi l’entoura d’encore plus d’égards, passa beaucoup de temps avec lui malgré la difficile négociation du concordat avec le Parlement. Le projet de Remorantin ramena Léonard doucement à la vie. Il conçut des portes s’ouvrant et se fermant automatiquement, un système d’évacuation des eaux usées, des jardins somptueux…

Duprat reçut l’ordre formel du roi de ne rien dévoiler de ce qui s’était passé lors de la fête. Le chancelier aurait pourtant adoré laisser planer le doute sur une éventuelle traîtrise de Léonard et le rôle équivoque de Quentin du Mesnil. Mais il avait bien compris que, si l’affaire était connue, François serait la risée de toute l’Europe. Même si l’innocence de Léonard ne faisait aucun doute, on raconterait que le roi s’était fait tirer les vers du nez par un peintre, reçu avec tous les honneurs et payé à ne rien faire. Henri d’Angleterre s’esclafferait devant l’imprudence de son cher cousin à confier ses secrets militaires. Charles d’Espagne1, qui avait la réputation, malgré son jeune âge, de faire preuve d’un sens de l’économie conférant à la radinerie, se moquerait de la folie des grandeurs du roi de France.

Catarina fut renvoyée sur-le-champ à Mantoue où, pour le plus grand plaisir d’Isabelle d’Este, elle raconta que Léonard était traité en valet par François Ier, et que le vieil homme en était si honteux qu’il appelait la mort de ses vœux.

Mathilde fut autorisée à rentrer en Normandie, ce qu’elle fit en toute hâte et avec soulagement. L’aide qu’elle avait apportée à Quentin pour confondre Catarina les rabibocha. Elle admit qu’elle avait exagéré, qu’elle s’était conduite comme une sotte et qu’on ne l’y reprendrait plus. Quentin la crut à moitié. Duprat prévint qu’il garderait un œil sur elle. À la moindre alerte, il la ferait enfermer dans un couvent. Bon prince, François lui souhaita de se trouver un époux au plus tôt et lui promit d’être le parrain de son premier enfant. Tous poussèrent un soupir de soulagement quand elle monta dans le carrosse de Marguerite qui retournait dans son duché d’Alençon.

François félicita Quentin de sa présence d’esprit et de son dévouement. La preuve était faite qu’il pouvait lui confier des missions délicates. Il s’en souviendrait en d’autres occasions. Quentin remercia le souverain de sa confiance, et en profita pour lui soumettre ses idées de rénovation des manières de table. François s’en montra fort réjoui. Il ne formula qu’un souhait : dorénavant l’usage des fourchettes serait réservé aux dames, car ces maudits engins qu’il avait le plus grand mal à manipuler lui coupaient l’appétit. Il conclut en prenant Quentin par l’épaule :

— Chambord sera le lieu rêvé pour mettre en pratique toutes tes nouvelles idées pour la plus grande gloire du royaume de France. Et la mienne !

1 Futur Charles Quint.