XIII
Le 11 vendémiaire
Une des résolutions prises à l’agence royaliste de la rue des Postes, après le départ de Cadoudal, c’est-à-dire à la fin de la séance que nous avons racontée, avait été de se réunir le lendemain au Théâtre-Français.
Dans la soirée, un flot de peuple, conduit par une cinquantaine de membres de la jeunesse dorée, s’était porté, comme nous l’avons vu, à la Convention ; mais leur chef Coster de Saint-Victor, ayant disparu comme s’il avait passé par une trappe, peuple et muscadins vinrent se briser aux portes de la Convention, prévenue au reste par le général Barras du mouvement que l’on tentait contre elle.
Au point de vue de l’art, il eût été à déplorer que les deux tableaux contre lesquels s’irritait la 639
foule, fussent détruits.
L’un de ces tableaux surtout, La Mort de Marat, est un des chefs-d’œuvre de David.
Cependant la Convention, voyant de quels dangers elle était entourée, et comprenant qu’à toute heure un nouveau volcan pouvait s’ouvrir dans Paris, la Convention se déclara en permanence.
Les trois représentants Gillet, Aubry et Delmas, qui, depuis le 4 prairial, avaient reçu le commandement de la force armée, furent mis en demeure de prendre toutes les mesures nécessaires pour la sûreté de la Convention.
Ce fut surtout lorsque l’on apprit, par le rapport d’un de ceux qui avaient assisté aux préparatifs du lendemain, qu’une réunion de citoyens armés devait avoir lieu au Théâtre-Français, que l’inquiétude fut à son comble.
Le lendemain, 3 octobre, c’est-à-dire 11
vendémiaire, était consacré par la Convention à une fête funèbre qui devait avoir lieu dans la salle même de ses séances en l’honneur des girondins.
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Plusieurs proposaient de la remettre à un autre jour ; mais Tallien prit la parole et déclara qu’il était indigne de l’Assemblée de ne point, même au milieu des périls, vaquer à ses travaux comme en pleine tranquillité.
Séance tenante, la Convention rendit un décret ordonnant à toute réunion illégale d’électeurs de se séparer.
La nuit se passa au milieu de rixes de toute nature dans les quartiers les plus retirés de Paris ; des coups de fusil furent tirés, des gens assommés. Partout où conventionnels et sectionnaires se rencontraient, des horions étaient échangés à l’instant même.
Les sections, de leur côté, en vertu du droit de souveraineté qu’elles s’étaient arrogé, rendaient des décrets.
C’était en vertu d’un décret de la section Le Peletier que la réunion avait été fixée pour le 11
au Théâtre de l’Odéon.
On apprenait à tout moment les nouvelles les plus désastreuses des villes environnant Paris, et 641
dans lesquelles l’agence royaliste avait des comités. Il y avait eu des mouvements insurrectionnels à Orléans, à Dreux, à Verneuil et à Nonancourt.
À Chartres, le représentant Tellier avait voulu empêcher l’émeute, et, n’ayant pu y réussir, il s’était brûlé la cervelle.
Les chouans avaient coupé partout les arbres du 14 juillet, glorieux symboles du triomphe du peuple ; ils avaient traîné la statue de la Liberté dans la boue, et, en province comme à Paris, on assommait les patriotes dans la rue.
Pendant que la Convention délibérait contre les conjurés, les conjurés agissaient contre la Convention.
Dès onze heures du matin, les électeurs s’acheminaient vers le Théâtre de l’Odéon ; mais les plus aventureux seuls s’y étaient rendus.
Si les électeurs se fussent comptés, à peine fussent-ils arrivés au chiffre de mille.
Au milieu d’eux, quelques jeunes gens faisaient grand bruit et, lançant force bravades, 642
allaient et venaient avec de grands sabres, dont ils raclaient le parquet et heurtaient les banquettes.
Mais le nombre des chasseurs et des grenadiers envoyés par toutes les sections ne dépassait pas quatre cents.
Il est vrai que plus de dix mille personnes environnant le monument, lieu du rendez-vous, encombraient les issues de la salle et les rues environnantes.
Si dès ce jour-là la Convention, bien renseignée, eût voulu agir avec rigueur, elle se fût rendue maîtresse de l’insurrection ; mais, une fois encore, elle voulut user des moyens conciliants.
Elle ajouta, au décret qui déclarait la réunion illégale, un article portant que ceux qui rentreraient immédiatement dans le devoir seraient exemptés de poursuites.
Aussitôt ce décret rendu, des officiers de police, escortés de six dragons, partirent des Tuileries, siège de la Convention, pour aller faire les sommations.
Mais les rues étaient encombrées de curieux.
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Ces curieux voulurent savoir ce qu’allaient faire les officiers de police et les dragons ; ils les enveloppèrent et les obsédèrent de telle façon que, partis vers trois heures du palais, ce ne fut que vers sept heures qu’au milieu des cris, des huées et des provocations de toute espèce ils arrivèrent à la place de l’Odéon.
De loin, on les avait vus venir sur leurs chevaux, par la rue de l’Égalité, qui faisait face au monument
; ils semblaient des barques
soulevées au-dessus de la foule, et naviguant sur un océan orageux.
Ils gagnèrent enfin la place. Les dragons se rangèrent devant les marches du théâtre ; les huissiers chargés de la proclamation montèrent sous les portiques, des porte-flambeaux les entourèrent et la proclamation commença.
Mais, aux premiers mots sortis de leur bouche, les portes du théâtre s’ouvrirent avec fracas, les souverains (c’était le nom qu’on donnait aux sectionnaires) sortirent brusquement, entourés des électorales ; ils précipitèrent les huissiers du haut en bas des degrés, tandis que les gardes 644
électorales marchaient aux dragons, la baïonnette en avant.
Au milieu des huées de la populace, les huissiers disparurent, engloutis dans la foule, les dragons se dispersèrent, les torches s’éteignirent, et, du milieu de ce chaos immense, s’élevèrent de grands cris de « Vivent les sectionnaires ! mort à la Convention ! »
Ces cris, se prolongeant de rue en rue, eurent leur écho jusque dans la salle des séances. Et, tandis que les sectionnaires victorieux rentraient à l’Odéon, et, enthousiastes comme on l’est après un premier succès, faisaient serment de ne déposer les armes que sur les ruines de la salle des Tuileries, les patriotes, ceux mêmes qui avaient à se plaindre de la Convention, ne doutant plus du danger que courait la liberté dont l’Assemblée était le dernier tabernacle, accoururent en foule pour offrir leurs bras et demander des armes.
Les uns sortaient des cachots, les autres venaient d’être exclus des sections ; un grand nombre étaient des officiers rayés par le chef du 645
Comité de la guerre ; Aubry se joignit à eux. La Convention hésitait à accepter leurs services.
Mais Louvet, cet infatigable patriote, qui était resté debout au milieu des ruines de tous les partis, Louvet, qui, depuis longtemps, voulait réarmer les faubourgs et rouvrir le Club des Jacobins, insista tellement, qu’il emporta le vote.
Alors on ne perdit plus une minute, on réunit tous les officiers sans emploi, on leur donna le commandement de ces soldats sans chefs, et, officiers et soldats, on mit le tout sous les ordres du brave général Berruyer.
Cet armement se fit dans la soirée du 11, au moment où l’on apprenait la déroute des huissiers et des dragons, et où la Convention décidait que l’on ferait évacuer l’Odéon par la force armée.
En vertu de cet ordre, le général Menou fit avancer une colonne et deux pièces de canon du camp des Sablons. Mais, en arrivant, à douze heures du soir, sur la place de l’Odéon, elle la trouva vide, ainsi que le théâtre.
Toute la nuit se passa à armer les patriotes et à recevoir défi sur défi de la section Le Peletier, 646
des sections de la Butte-des-Moulins, du Contrat-Social, de la Comédie-Française, du
Luxembourg, de la rue Poissonnière, de Brutus et du Temple.
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