CHAPITRE 26

Lorsqu’elle entendit s’activer près d’elle une arme d’énergie qu’elle ne connaissait pas, Juno Eclipse leva les yeux de son travail et saisit le pistolet blaster à sa ceinture. Elle reposa le fer à souder, désengagea la sécurité de son pistolet et sortit de sous le vaisseau en toute discrétion. Deux hommes armés de sabres laser bondissaient et retombaient avec une agilité inhumaine à travers le hangar. Quand ils faisaient des gestes, des murs de métal se déformaient et des pièces de moteur volaient dans l’air comme des missiles. Un des combattants enfonça son sabre laser pourpre dans la poitrine de son adversaire et les choses devinrent vraiment étranges. Bras, jambes, torse et visage de l’homme abattu crachotèrent et disparurent, laissant place à la forme d’un droïde bipède qui tomba en avant dans un cliquetis de métal entrechoqué.

— Ah, Maître. Encore un excellent duel.

Le droïde essaya péniblement de se lever et de rester debout.

— Doucement, PROXY. Tu ne fonctionnes plus correctement.

— C’est ma faute, Maître. J’espérais que l’utilisation d’un module de formation plus ancien vous déconcerterait et me permettrait enfin de vous tuer. Je suis désolé de vous avoir encore déçu.

— Je suis certain que tu essaieras encore.

— Bien sûr, Maître. C’est ma programmation primaire.

Le droïde et son Maître se mirent en marche à travers le labyrinthe de débris qui jonchaient le hangar.

— PROXY, qui est ce ?

— Ah oui ! Votre nouveau pilote est enfin arrivé, Maître.

— Tu sais pourquoi tu es ici !

— Le Seigneur Vador m’a donné ma mission en personne, dit-elle. Je dois maintenir votre vaisseau en état et vous conduire là où vos missions l’exigent.

Starkiller n’avait l’air ni content ni mécontent.

— Le Seigneur Vador t’a dit qu’il avait tué notre dernier pilote ?

— Non. Mais je suppose qu’il ou elle avait donné à Dark Vador une bonne raison de le faire. Ce ne sera pas mon cas.

— On verra. J’en ai assez, de former de nouveaux pilotes.

Pour chaque fin, il y avait un début. Et pour chaque début, un milieu.

Dans la cellule de l’Empirique, ses yeux manifestaient la surprise non seulement de le voir, mais aussi d’observer les dégâts qu’il avait infligés aux stormtroopers.

— Juno…

Elle avait du mal à trouver les mots. La dernière fois qu’elle l’avait vu, il flottait dans l’espace, mort, selon toute vraisemblance.

— C’est… vraiment toi !

PROXY interrompit leurs retrouvailles.

— Maître, dépêchez-vous. Elle appartient à votre passé maintenant. Vous devez l’abandonner, comme le Seigneur Vador l’a ordonné !

— Je ne peux pas.

Starkiller détruisit la contention magnétique qui la gardait captive. Affaiblie par des mois d’emprisonnement, elle s’effondra sur le sol et il dut l’aider à se remettre debout.

— Je t’ai vu mourir. Mais tu es revenu.

— J’ai des choses à terminer.

— Vador ?

— Ne te tracasse pas pour lui, dit-il.

Plus facile à dire qu’à faire, pensa-t-elle, même si elle réalisait lentement la réalité de son sauvetage.

— On m’a déclarée traîtresse à l’Empire, lui expliqua-t-elle. Je ne peux aller nulle part, je ne peux rien faire…

— Je me fiche de tout cela. L’Empire, je le laisse où il est.

Il afficha une expression qui aurait pu être un sourire.

— Et j’ai besoin d’un pilote.

— J’espère que tu as un plan.

Il hocha la tête.

— Je veux deux choses et je ne peux les obtenir seul. La première, c’est me venger. Pour y arriver, nous devons rallier les ennemis de l’Empereur.

— Continue.

— La seconde, c’est que je veux apprendre tout ce que Vador n’a pas pu – ou pas voulu – m’apprendre au sujet de la Force.

— Si on n’y prête pas garde, avait-elle dit, on risque de retrouver notre ancien boulot… la chasse aux Jedi.

C’était une blague.

Après l’Empirique était venu Kashyyyk, et après Kashyyyk il y avait eu Felucia.

— Juno, attends, ce n’est pas ce que…

— Bien sûr que si, répliqua-t-elle sèchement en s’écartant de lui.

— Tu es toujours loyal à Vador. Après tout ce qu’il nous a fait – me faire passer pour traîtresse à l’Empire et essayer de te tuer –, tu es toujours son… son…

— Son esclave.

— Oui. Mais, si c’est le cas… pourquoi ? Pourquoi as-tu défié ton Maître pour me sauver ?

— Je ne suis pas ici parce que tu as besoin d’un pilote.

Il ne nia ni n’admit la vérité de son accusation.

Elle s’avança vers la porte mais, sur le seuil, se retourna.

— Je ne sais pas qui – ou ce que – tu es vraiment, dit-elle. Peut-être ne le saurai-je jamais. Mais, très bientôt, tu vas devoir décider du sort de la rébellion. Toi, pas ton Maître. C’est quelque chose qu’il ne peut pas t’enlever. Et quand le moment sera venu de décider, n’oublie pas que moi aussi j’ai dû abandonner tout ce qui faisait ma vie.

Après Felucia, Raxus Prime et Corellia.

Elle observait à l’œil nu sa peine se transformer en colère à mesure qu’il se rendait compte à quel point il s’était fait rouler par son Maître.

— Oui, tu as fait ce qu’il voulait. Cela ne sert à rien de te voiler la face… Maintenant le sort de l’Alliance pèse sur tes épaules. La question est : que vas-tu en faire ? Il lutta avec ses émotions et ses pensées. Quand il releva la tête, il était déterminé.

— On va suivre Vador. Et les Rebelles !

— Où ?

— Je ne sais pas, admit-il. Pas encore.

— Est-ce que tu sais comment tout ceci va se terminer ?

Il hésita puis secoua la tête.

— Non.

Mais il devait y avoir une fin. La seule question était : quand ?

— Juno…

— Ne le dis pas. Ne dis rien.

Elle le regarda.

— Dis-moi simplement que tu es toujours sûre. C’est bien ça qu’on doit faire, non ?

— Oui.

— Très bien.

L’air au dehors était froid mais respirable. Quand la rampe s’ouvrit, il s’engouffra autour d’eux. Elle frissonna. La vue sur la surface de l’Étoile Noire donnait le tournis mais Juno était incapable de détourner le regard.

— J’ai un très mauvais pressentiment.

— Alors, ça veut dire qu’on fait ce qu’il faut.

Elle leva les yeux vers lui.

— Est-ce que je vais te revoir ?

— Probablement pas, non.

— Alors, je n’aurai jamais besoin de me faire pardonner ceci.

Elle l’attira vers elle et l’embrassa sur les lèvres avec fougue.

Cela ressemblait à une fin. Ça donnait vraiment une impression de fin.

— Il ne fait plus qu’un avec la Force, maintenant, dit Kota.

Et quand les choses étaient finies, elles étaient finies à tout jamais.

— Il nous faut un symbole de ralliement, dit Leia.

— Je suis d’accord, déchira Garni Bel Iblis.

La Princesse essuya la poussière de la table, ce qui révéla des armoiries familiales gravées dans le bois : un élégant rapace stylisé, les ailes fièrement levées.

— Un symbole d’espoir, ajouta Leia.

C’est du moins ce qu’on pensait.

Juno regarda le Rogue Shadow quitter Corellia le cœur gros, même si elle savait que le vaisseau était entre de bonnes mains avec Kota et Bail Organa. Mais tant de souvenirs y étaient associés. Le laisser partir, c’était comme perdre une part d’elle-même. Malheureusement, elle ne perdait pas la part qui souffrait toujours à cause de lui. Celle-là restait exactement où elle était, au centre de sa poitrine, et résonnait comme un tambour en berne…

— Je ne te vois presque jamais sourire, lui dit Shyre en tapotant sa botte avec une de ses jambes en métal. Tu envoies des vannes et des piques à tout le monde mais tu ne ris pas. Il y a une raison ?

Juno regretta d’avoir bu ce dernier Eyeblaster. Il lui donnait mal à la tête mais ne l’aidait pas à oublier.

— C’est pas nouveau, dit-elle tout en se demandant si, plutôt qu’un verre en trop, elle n’en avait pas simplement bu trop peu.

Elle se demandait même s’il pourrait jamais y en avoir un de trop.

— Félicitations, capitaine, dit le commodore Viedas sur la passerelle lors de sa première mission. Le Salvation est un beau vaisseau. Il vous servira bien et je sais que vous lui rendrez la pareille.

— Merci, monsieur.

Elle essaya de ne pas regarder de tous côtés avec un air émerveillé. Elle se sentait à la fois fière et intimidée. Elle était loin des escadrilles de chasseurs TIE et des missions secrètes pour Dark Vador.

Son expression s’assombrit, comme à chaque fois qu’elle pensait à lui.

— Ne vous inquiétez, pas, dit le commodore en se rapprochant pour lui chuchoter des paroles rassurantes. Tout le monde est nerveux la première fois.

Il avait mal interprété son changement d’humeur mais elle ne le détrompa pas. Il valait mieux qu’il croie ce qu’il avait envie de croire et qu’elle cache ses souvenirs douloureux.

— Ne soyons pas aveuglés comme l’était Kota par le rêve d’une victoire facile. Nous avons appris à nos dépens que ce ne sera jamais notre destin.

— Vous ne diriez pas ça si Starkiller était ici.

L’expression de Mon Mothma se durcit.

— Il n’est pas ici, votre argument est donc déplacé.

Juno, abasourdie, regarda une silhouette entièrement vêtue de noir surgir d’un nouveau trou dans le sol, faisant tournoyer dans les airs deux lames bleues brillantes. Le chasseur de primes tira trois coups précis en rafale. Les tirs d’énergie furent déviés vers les murs, où ils se déchargèrent avec des éclairs brillants. Dans leur lumière, Juno aperçut le visage de l’homme qui courait à présent vers elle.

La mâchoire en mouvement, Juno regarda le clone dans le tube. Malgré l’angoisse et la confusion, elle comprenait que l’origine ou la nature de Starkiller n’avait pas d’importance tant qu’il était l’homme qu’elle avait aimé. Elle comprendrait qui il était dès quelle le verrait. Rien dans l’univers ne pouvait lui cacher cette vérité.

Vador s’écarta sur le côté. Juno vit Starkiller et il la vit. À ce moment-la, elle sut.

Elle sut qu’elle avait raison et que Dark Vador avait tort. Shyre avait tort. Mon Mothma avait tort.

Tous ceux qui affirmaient que l’histoire de Starkiller était terminée avaient tort.

— Tes sentiments pour elle ne sont pas réels, affirma Vador.

— Pour moi, ils le sont.

Même la mort ne pouvait l’empêcher de l’entendre prononcer son prénom.

— Juno… reviens.