CHAPITRE 18

Juno, sentant que les moteurs du vaisseau-prison changeaient d’intensité, se mit debout en un instant. Les hyperpropulseurs étaient arrêtés. Une seconde plus tard, les moteurs ioniques prenaient le relais. Il y en avait trois, montés à la base du vaisseau. C’était une configuration inhabituelle, qui lui permettrait peut-être d’identifier le vaisseau plus tard. Il n’y avait aucun hublot pour regarder au-dehors et son geôlier ne lui rendait pas visite. Elle n’avait donc aucune idée de ce qui se passait au dehors. Mais elle pouvait le deviner. Ils devaient avoir atteint leur destination et accéléraient en suivant une trajectoire d’insertion équatoriale pour préparer l’atterrissage.

Cette théorie se confirma quand elle entendit les répulseurs se mettre en route.

Le vaisseau fut secoué à plusieurs reprises et trembla de la proue à la poupe. Le trajet était accidenté.

Elle ne bougea pas pendant le court trajet vers la surface, elle sentit un nœud dans son estomac qui n’avait rien à voir avec le mal des transports. Elle n’avait plus croisé Dark Vador depuis son arrestation, la première fois que Starkiller était « mort ». L’opinion que le Seigneur Noir avait d’elle ne devait guère s’être améliorée depuis.

Le vaisseau se stabilisa. Juno imagina qu’il survolait un aéropad et ralentissait pour l’atterrissage. La gravité changea légèrement tandis que le champ artificiel du vaisseau cédait la place aux niveaux ambiants locaux. Elle fut déséquilibrée deux fois de suite.

Le vaisseau se posa presque sans aucune secousse. Les répulseurs se calmèrent et les autres bruits du vol disparurent progressivement. La coque ne laissait filtrer pratiquement aucun son de l’extérieur vers sa petite cellule. Elle entendit un léger sifflement qui n’était pas produit par le système de survie et un gémissement incessant qui aurait pu être du vent. Une porte qu’elle n’avait pas remarquée s’ouvrit en coulissant sur sa droite. Un rai de lumière naturelle fit irruption dans la zone d’emprisonnement. Elle ferma les paupières et leva une main pour protéger ses yeux. Dans la lumière éblouissante, elle aperçut le cockpit et le paysage extérieur au travers de la large baie vitrée de pilotage. Le ciel était couvert d’une épaisse couche nuageuse. Un ruban d’éclairs stria l’horizon de gauche à droite. Il fut suivi d’un coup de tonnerre, assourdi au point d’être quasiment inaudible.

Le pilote du vaisseau – qui était aussi le seul membre d’équipage, elle en avait à présent la certitude – franchit la porte et s’approcha de sa cage. Il portait sa carabine à l’épaule. Elle ne doutait pas qu’il pouvait la pointer sur elle en un fragment de seconde.

— Les mains, lui ordonna le chasseur de primes en lui montrant comment faire.

Elle passa les avant-bras entre deux barreaux. Il lui entrava les poignets, pas au point de lui faire mal mais suffisamment pour qu’elle ne puisse pas se détacher. Une fois qu’elle fut attachée, il appuya sur un bouton dans le mur et les barreaux se rétractèrent.

Elle ne tenta ni de s’échapper ni de l’attaquer. Cela ne servait à rien. Elle préférait garder son énergie pour quand elle en aurait besoin. Si elle faisait mine de résister, elle s’en tirerait avec une nouvelle blessure, voire pire.

Le chasseur de primes appuya sur un autre bouton, qui ouvrit la porte intérieure d’un petit sas de décompression, probablement celui par lequel ils étaient arrivés dans le vaisseau. Il était juste assez grand pour deux personnes.

— Où sommes-nous ? demanda-t-elle.

— Kamino, répondit-il en lui faisant signe de passer devant lui.

Cela lui disait quelque chose.

— Les usines de clonage Impériales ?

Il haussa les épaules et ferma le verrou intérieur derrière eux. Un instant plus tard, le verrou extérieur s’ouvrit et la pluie s’engouffra à l’intérieur.

Il la saisit par le bras et la poussa au-dehors sans ménagement. Elle comprit que cela faisait partie de son numéro. Le client devait voir qu’il en avait pour son argent.

L’étrange vaisseau-prison était posé sur une plateforme d’atterrissage rattachée à des bâtiments sophistiqués montés sur pilotis, directement au-dessus d’un océan. Les flots s’étendaient aussi loin que son regard. Une large allée reliait la plateforme à une série de hautes habitations construites dans un style typiquement Impérial. Juno en avait vu des centaines, partout sur les planètes occupées. À l’extrémité la plus proche de la passerelle se trouvait le comité d’accueil : dix stormtroopers. Leurs armures blanches luisaient sous la pluie. Le bâtiment derrière eux semblait avoir été construit ou réparé récemment. Une grande porte s’ouvrit sur le côté et Dark Vador en sortit.

Elle se crispa sans le vouloir et le chasseur de primes le sentit. Redoutant peut-être qu’elle ne tente de sauter du bord de la plateforme pour plonger dans la mer, il la serra plus fort et la tira vers lui.

— Vous êtes de retour plus tôt que je ne l’attendais, chasseur de primes, dit Vador quand ils furent à portée de voix.

— Je suis plus rapide que la plupart des autres.

Le chasseur de primes poussa Juno devant lui.

— Elle est à vous.

— Et Starkiller ?

— C’est votre problème. Seigneur Vador. Je connais mes limites.

— Notre accord n’est pas conclu tant qu’il n’est pas dans le système Kamino.

— Je ne pense pas que vous devrez l’attendre longtemps.

Juno ravala sa peur tandis que Vador portait son attention sur elle.

— Capitaine Eclipse, vous et vos compagnons de l’Alliance Rebelle m’avez causé beaucoup de dérangement. Je devrais vous exécuter immédiatement pour trahison mais il y a un dernier service que j’aimerais que vous me rendiez.

— Je ne vous servirai jamais de mon plein gré.

— Votre collaboration n’est pas nécessaire.

Vador leva la main droite mais arrêta son mouvement en entendant des bruits de pas. Un officier de transmission venait de faire irruption dans l’embrasure de la porte et avançait en hâte le long de la rampe d’accès. Ses semelles glissaient de temps à autre à cause de la pluie.

— Seigneur Vador, dit-il. Nous détectons les signatures de plusieurs gros vaisseaux qui pénètrent dans le système Kamino. Ils n’ont pas de transpondeurs Impériaux et ne répondent pas à nos sollicitations.

La main de Vador se referma pour former un poing.

— Parfait. Avertissez Touler, le commandant de la flotte, et dites-lui que le moment est venu.

Il se tourna vers l’homme à côté de Juno.

— Vous avez bien travaillé. Vous serez récompensé une fois cette affaire conclue.

— Mais vous aviez dit que…

— Emmenez-la.

Vador s’éloigna sans écouter les objections du chasseur de primes. Des stormtroopers l’écartèrent et encerclèrent Juno. Des mains gantées la saisirent aux épaules et aux coudes. Des silhouettes en armure l’escortèrent devant et derrière. Elle put à peine voir le sommet de l’antenne à haut débit du chasseur de primes qui tournait les talons et retournait d’un pas lourd vers son vaisseau.

Vador se déplaçait vite. Les stormtroopers poussaient Juno pour essayer de le suivre, ce qui la faisait parfois trébucher. Elle n’avait pas bien regardé l’usine avant d’y pénétrer mais le bâtiment semblait immense, la structure entière avait la taille d’une ville et couvrait une vaste partie de l’océan. Ils passèrent devant des espèces non-humaines au long cou qui s’éloignaient au passage de Dark Vador, par respect ou par crainte, sans doute les deux. Des natifs de Kamino, supposa-t-elle. Ce devait être les généticiens à l’origine de l’armée de clones qui avait donné à l’Empereur un avantage majeur pour renverser la République.

Elle n’aimait pas la rapidité avec laquelle ils progressaient. Vador avait quelque chose en tête. Plus elle pouvait l’en distraire, mieux ce serait.

— Il arrive, vous savez, lança-t-elle dans le dos de Vador. Ça ne vous inquiète pas ?

Le Seigneur Noir poursuivit sa route sans lui prêter attention.

— Je veux dire… il vous a déjà battu une fois. Vous le savez mieux que moi. Un homme de moins d’envergure vous aurait tué sur-le-champ. Voulez-vous vraiment lui donner l’occasion de changer d’avis ?

Rien. Juste le bourdonnement désagréable du respirateur, aussi implacable que le bruit de ses pas lourds.

— Quand vous ne serez plus là, quelle chance restera-t-il à l’Empereur ? C’est vous que tout le monde craint. Mais peut-être que l’Empire importe peu à vos yeux ? Vous voulez juste protéger vos biens, c’est-à-dire les miettes que l’Empereur laisse tomber de la table pour que vous continuiez à collaborer.

Toujours rien. À regrets, elle admit que la provocation n’était pas une stratégie efficace. Vador n’était pas du genre à perdre facilement le contrôle. Mais ce n’était pas la seule raison qu’elle avait de continuer à le houspiller.

— Pour être honnête, dit-elle, je suis un peu déçue. M’utiliser comme appât montre à quel point vous êtes poussé à bout. Comment savez-vous que cela fonctionnera ? S’il vient ici, ce n’est pas pour moi, c’est pour vous. C’est vous qu’il veut.

Elle attendit un moment avant d’ajouter :

— C’est étonnant, d’ailleurs, quand on y pense. Plus vous le chassez, plus il revient à la charge. Vous pouvez le punir tant que vous voulez, le trahir si ça vous chante, il revient et en redemande. Je commence à me demander s’il n’est pas de votre côté depuis le début, sans le savoir.

Ils pénétrèrent dans une nouvelle section de l’usine qui contenait de vastes dômes remplis de corps en cours de croissance : les futurs stormtroopers pour l’armée de l’Empire. Cela la poussa à changer d’angle d’attaque.

— Vous voulez probablement que je pense que vous l’avez ramené à la vie, dit-elle. Eh bien, je ne le crois pas. Vous savez ce que je crois ? Je pense qu’il est revenu à la vie tout seul, que vous l’avez trouvé alors qu’il était faible, que vous l’avez convaincu qu’il vous devait la vie, en espérant avoir le pouvoir sur lui. Vous auriez dû comprendre la première fois que personne n’a de pouvoir sur lui. Ni vous, ni moi, ni même l’Empereur. Vous perdez votre temps à essayer de le contrôler. Mais, si c’est une stratégie que vous avez choisie pour mettre fin à tout, faites à votre aise.

Sans se retourner, Vador leva une main et dressa deux doigts en direction du stormtrooper qui ouvrait la marche. Le petit groupe s’arrêta. Juno recula, s’apprêtant à nouveau à se faire assommer. Elle avait horreur de cela. Le stormtrooper ouvrit un compartiment dans sa cuisse et en sortit une rustine qu’il plaça fermement sur la bouche de la jeune femme.

Je l’ai bien cherché, pensa-t-elle. De toute façon, elle commençait à en avoir assez de l’indifférence du Seigneur Noir. Au moins, elle avait une certitude désormais : il la voulait vivante.

Puis la marche interminable reprit. Au pied d’un des dômes de clonage, ils s’arrêtèrent pour attendre un turbo-ascenseur. Quatre des stormtroopers entrèrent avec Vador, y compris celui qui avait bâillonné Juno. Les autres restèrent là, ce qui augmentait ses chances mais de peu.

L’ascension fut rapide. Ses oreilles se bouchèrent. Seul le respirateur de Vador bruitait leur trajet vertical. Elle se demanda, et ce n’était pas la première fois, ce qui se cachait sous ce masque noir sans expression. Elle espérait ne jamais le savoir.

L’ascenseur ralentit et l’escorte l’accompagna dehors. Ils étaient peut-être à mi-hauteur de la tour de clonage, dans une section gardée par des stormtroopers. Les tubes autour d’elle étaient différents : plus grands, plus sombres, connectés à plus de fils et de tuyaux que ceux d’en dessous. Les silhouettes à l’intérieur baignaient dans l’ombre.

L’une d’elles bougea quand Juno fut poussée vers un deuxième turbo-ascenseur, de l’autre côté de la tour. La silhouette battit des jambes, à l’aveugle. Une main frappa contre le verre incurvé. Puis elle s’immobilisa et reprit sa croissance.

Ils atteignirent la base du deuxième ascenseur, où ils attendirent que la cabine descende. Juno eut le temps d’examiner en détail le tube le plus proche. Le clone qu’il contenait était plus grand qu’un stormtrooper normal, et plus svelte. Lui aussi s’agitait, comme s’il sentait qu’elle le regardait. Il se retourna comme un fœtus dans le ventre de sa mère.

Son visage s’approcha du verre incurvé et elle sursauta en apercevant ses traits. Ils étaient plus jeunes, moins définis, pas tout à fait achevés, mais ils étaient humains.

C’étaient ceux de Starkiller.

Elle poussa un cri de surprise et recula d’un pas, refusant de croire ses yeux, même si elle était bien forcée d’admettre la réalité et ses implications. La seule alternative était celle qu’elle avait offerte à Vador : Starkiller était si puissant dans la Force qu’il était capable de repousser la mort. Elle ne pouvait l’accepter. Comme l’avait dit Bail Organa, un tel pouvoir était trop grand pour qu’on puisse lui faire confiance. Si jamais l’Empereur mettait la main dessus, la galaxie n’aurait plus aucun espoir.

Mais le clonage était un processus dangereux et peu fiable. Il était impossible d’imaginer ce qui traversait l’esprit du Starkiller qu’elle avait vu. Par le passé, les crises d’identité avaient rendu fous de nombreux clones. Pourquoi Starkiller serait-il différent ?

Les épaules de Juno s’affaissèrent quand une nouvelle pensée lui vint. Le clone dans le réservoir devait provenir des cellules du véritable Starkiller. Des cellules de son cadavre. Elle n’avait pas du tout envie de penser à cela.

Mais quelle différence, au fond ? Clone ou pas, Starkiller était de retour. Il était venu la chercher. Il suivait sa piste à présent. De quel droit imaginait-elle que ses sentiments n’étaient pas sincères ? Et qui était son geôlier pour lui faire croire qu’elle n’aurait pas l’opportunité de mettre ces sentiments en action ?

Derrière le bâillon, les mâchoires de Juno s’agitaient. Elle remarqua que Vador observait sa réaction et se reprit.

Elle devait croire que Starkiller était lui-même jusqu’à ce qu’on lui prouve le contraire. Peu importe d’où il venait, s’il était le même ou pas au bout du compte. Elle en aurait le cœur net dès qu’elle le verrait, à la seconde même où ils seraient face à face.

Vous pouvez clouer son corps, avait-elle envie de dire au Seigneur Noir, vous pouvez le torturer autant que vous voulez mais vous ne le transformerez jamais en monstre.

Le second turbo-ascenseur menait à une section bien plus haute que les tubes de clonage et le Starkiller qu’elle venait d’observer. Une série de terrasses irrégulières s’élevait depuis la plateforme la plus haute et elle se demanda si le bâtiment était inachevé. Ce serait logique, supposa-t-elle, si les expériences de clonage de Vador en étaient à leurs balbutiements. À sa connaissance, Starkiller n’était qu’un sujet test. Les plans à long terme de Vador pouvaient consister à créer une armée entière basée sur une copie de lui-même.

Elle frissonna à cette pensée. Un seul, c’était déjà bien assez de problème – et il était endommagé pourtant. Une copie de Dark Vador, parfaite en tous points, serait une force du mal impossible à contrer. Même l’Empereur ne pourrait lui résister.

Ils continuèrent l’ascension à pied à partir du dernier turbo-ascenseur et en direction de la plateforme au sommet. Le dôme de l’usine était ouvert et laissait entrer la pluie. Juno, seule à ne porter ni armure ni casque, sentait l’effet de la tempête. Cela lui faisait du bien en un sens. La pluie glacée et le vent tourbillonnant détournaient ses pensées de son triste sort.

— Attachez-la, ordonna Vador en montrant un harnais de sécurité installé sur un des côtés de la plateforme.

Les stormtroopers s’exécutèrent, attachèrent d’abord ses jambes, détachèrent ses liens puis mirent ses bras dans des fers.

Quand ils eurent terminé, elle pouvait à peine bouger.

Vador se tenait au bord de la plateforme et regardait le ciel couvert. On aurait dit qu’il attendait un événement précis.

Juno suivit son regard et crut entrevoir de faibles lignes et des éclairs de lumière à travers les nuages, comme si un phénomène d’une taille énorme se produisait à l’autre bout, quelque chose de bien plus lumineux qu’un éclair.

Une bataille spatiale.

Tout à coup, Vador se retourna et se dirigea vers elle à grandes enjambées, sa cape mouillée alourdie par la pluie. Il leva une main gantée comme s’il voulait la frapper et elle ne bougea pas. Elle ne pouvait pas se battre contre lui, elle le savait parfaitement. Mais elle ne reculerait pas non plus.

— Je sens votre peur, dit-il.

D’un mouvement étonnamment rapide, il lui arracha le bâillon.

— Votre doute aussi est clair pour moi.

La pluie était rafraîchissante sur ses lèvres rouges irritées.

— Quel doute ? demanda-t-elle en essayant de défier sa lecture télépathique.

Il fit un pas vers la droite et se tourna pour scruter à nouveau le ciel. Devant eux, dans les nuages, apparaissait une tache de lumière jaune. Ce n’était pas un soleil, ni même une lune brillante. Cela changeait légèrement de taille et augmentait d’intensité à chaque seconde. Un météore, se dit-elle, qui se dirigeait droit sur elle.

— Est-ce que c’est… ?

Vador posa les mains sur ses hanches et hocha la tête d’un air satisfait.

— Il est presque arrivé.