CHAPITRE 19

Une minute à peine après le début du plongeon, Starkiller comprit qu’il devait bouger. Les frégates Nébulon-B n’étaient pas conçues pour une pénétration rapide. Une vitesse supérieure à 800 kilomètres/heure risquait d’arracher les vannes de contrôle et les senseurs externes – et le Salvation avait déjà pris bien plus de vitesse.

Le vaisseau était secoué et hurlait. Il était parcouru d’étranges grincements de la proue à la poupe, comme s’il risquait de se déchirer à tout moment. Il tiendrait le coup assez longtemps. Starkiller en était sûr, mais les contrôles de la passerelle de commandement étaient déjà pratiquement inutiles. L’écran principal était couvert de parasites. Impossible de distinguer la planète et encore moins la destination qu’il voulait atteindre.

Il avait besoin d’un meilleur point de vue s’il voulait réussir.

Il tenta d’oublier qu’il était à bord d’un cercueil de métal géant.

Le vaisseau pouvait avancer seul pendant un petit moment. Starkiller avait connecté le navordinateur sur les restes des ordinateurs de visée. Il était donc probable que la machine puisse viser et progresser efficacement sans personne aux commandes. Mais le temps était compté. Il sortit donc à toute vitesse du poste de commandement et monta aussi vite que possible. Il emprunta les cabines des turbo-ascenseurs et les passages pratiqués par le chasseur de primes. Il ne prêtait pas attention aux cadavres, au matériel hors d’état, aux feux… à tout ce qu’il croisait dans sa course. Quand des portes ou des cloisons lui barraient le passage, il les arrachait par télékinésie et continuait à courir.

Le vaisseau tangua sous ses pieds tandis qu’il atteignait les ponts supérieurs. Cela signifiait sans doute que le canon laser principal de la proue venait d’être arraché par les forces de friction atmosphériques sans cesse croissantes. Son centre de gravité perturbé, le vaisseau commença à rouler d’un bord sur l’autre.

Starkiller essaya de ne pas imaginer l’air surchauffé qui bouillonnait dans le sillage du vaisseau. Il serait exposé à cette même chaleur bien assez tôt.

Il atteignit les réservoirs d’eau fraîche et commença à progresser à l’horizontale, vers l’arrière plutôt que vers l’avant. Quand il atteignit l’infirmerie – dans un état pire encore que celui qu’il avait noté plus tôt –, il reprit son ascension pour rejoindre l’endroit où la batterie de communication dépassait d’un renflement, sur la section supérieure de la proue du vaisseau.

Il entendait l’air vrombir devant lui à mesure qu’il approchait de la coque extérieure. On aurait dit le cri désespéré d’un géant fou de rage.

Le vaisseau tangua à nouveau, mais moins bruyamment cette fois. Les dégâts étaient plus distants… les vannes de décharges statiques à l’arrière avaient sans doute lâché. Cette nouvelle perte réduirait encore la stabilité du vaisseau.

Au moment-même où il pensa cela, le Salvation commença à balancer d’un côté à l’autre.

— Tiens bon, dit-il au vaisseau. J’arrive.

Il dénicha une échelle de maintenance qui menait à un sas de décompression et y grimpa en deux bonds, faisant sauter l’écoutille intérieure pendant son escalade. Il entendait quelque chose tambouriner fortement de l’autre côté de la porte extérieure. Le vaisseau se déplaçait si vite à présent que de la chair exposée ne durerait pas une microseconde. Il devrait trouver refuge derrière un bouclier de Force pour se protéger. Un simple relâchement de sa concentration signifierait sa fin.

Il prit une seconde pour rassembler ses esprits.

Pour Juno.

Puis il leva une main et, d’un saut de Force, jaillit à l’extérieur par l’écoutille.

Instantanément, le monde ne fut plus que feu. L’air autour du vaisseau était un plasma aveuglant, plus chaud que n’importe quelle flamme ordinaire. Starkiller força un passage au travers puis s’appuya sur les échelons de métal qui étaient rougis par la chaleur au dehors. Il plissa les yeux pour deviner le contour des objets les plus proches. Il arrivait à peine à distinguer les doigts devant son visage.

Mais il n’avait pas besoin de voir. La Force le guidait, geste après geste, le long de la coque, où il s’arc-bouta contre la batterie à courte portée et se retourna pour être dans le sens de la marche. Comme Kota, il voyait sans yeux.

Une forme tremblante à sa gauche choisit ce moment pour céder, arrosant d’une pluie de fragments fondus l’épine dorsale du vaisseau. La batterie principale n’était pas une grande perte : il n’aurait rien entendu de toute façon avec un tel raffut dans les oreilles. Mais les turbolasers de la proue et l’unité de senseurs principale, les deux morceaux suivants qui cédèrent sous la pression, étaient plus problématiques. Le vaisseau était complètement déséquilibré. Il tremblait sous les pieds de Starkiller, tirant dans différentes directions en même temps. S’il voulait l’empêcher de glisser vers une chute incontrôlable ou de se déchirer, il devait agir vite et avec précision.

Mais les choses se compliquèrent encore. Il devait maintenir le bouclier de Force pour se protéger de cette chaleur, proche de celle qu’on rencontre dans les couches extérieures des étoiles. Mais il devait aussi garder en tête la cible qu’il avait devant lui – une cible qu’il ne distinguait pas à travers le plasma mais qu’il devait frapper de plein fouet, sans quoi les générateurs de bouclier planétaire ne lâcheraient pas. Il devait voler droit à tout prix.

Starkiller inspira profondément. L’air frais coincé derrière le bouclier tiendrait encore quelque temps, espérait-il. Il s’était tellement inquiété à l’idée de brûler vif qu’il n’avait pas envisagé qu’il pourrait mourir par suffocation.

Il leva sa main et étendit ses doigts. Il ferma les yeux de toutes ses forces pour éviter la clarté aveuglante du plasma. À chaque ruade et secousse du vaisseau sous ses pieds, il se laissait porter au lieu de résister. Il n’était pas un passager, il faisait partie du vaisseau. Il n’était pas un pilote kamikaze qui guidait le vaisseau vers sa destruction, il était le vaisseau.

Son esprit s’insinuait dans le métal et le plastoïde de la frégate jusqu’à atteindre chaque joint et soudure, de la même manière qu’il pouvait sentir ses doigts et ses orteils. Tous les hublots et les ponts faisaient partie de lui. Il n’y avait pas de lien entre Starkiller et le Salvation. Ils n’étaient plus qu’un seul être au regard de la Force.

Starkiller leva son bras droit et le vaisseau suivit le mouvement, s’inclina lentement et lourdement vers tribord.

Une partie des frictions dues à la vitesse diminua, comme si le vaisseau était rassuré de sentir quelqu’un à la barre. Même les hurlements du vent semblaient se calmer.

Quelque chose se déchira à la poupe et Starkiller plia un peu les genoux pour encaisser le choc.

Le Salvation se stabilisa, trouva un nouveau centre de gravité et poursuivit sa course.

Sentant que la masse de métal était maintenant sous contrôle, Starkiller concentra son esprit sur l’extérieur. Il fut impressionné quand il réalisa à quel point il était tombé bas. Le Salvation devait avoir percé le bouclier planétaire depuis un certain temps sans qu’il ne s’en rende compte, tant les turbulences étaient violentes. La couverture nuageuse se trouvait maintenant à moins de cent mètres sous le vaisseau et approchait à toute allure. Derrière le Salvation, une longue traîne embrasée s’étendait dans le ciel, suivie par un déploiement de chasseurs stellaires et, plus loin, de vaisseaux-capitaux des deux bords qui se précipitaient dans l’orifice dégagé dans le bouclier. Les générateurs au sol ne tarderaient pas à colmater le trou si Starkiller ne guidait pas son projectile correctement. Les vaisseaux Rebelles seraient alors à l’intérieur, piégés comme lui.

À condition qu’il survive…

Pour Juno.

La frégate percuta les nuages dans un fracas déchirant. À cette vitesse, les plus petites gouttes d’eau le heurtaient avec la force de détonateurs thermiques.

Les boucliers du Salvation tenaient le coup mais de justesse. Le vaisseau perdait tout de même de la masse par friction et par érosion. Plusieurs ponts inférieurs s’arrachèrent et furent balayés, y compris la passerelle de commandement.

La plupart des batteries à courte portée s’envolèrent, lui laissant juste le corps principal pour s’accrocher. Il serra les poings et ordonna au vaisseau de continuer sa course.

Quelque chose succomba au plasma avec un éclair. Une étincelle brillante tourbillonna dans son sillage : c’était le réacteur secondaire, qu’il s’était escrimé à sauver du droïde géant. Il n’y prêta pas attention. Le bas de la couche de nuage approchait et il allait enfin apercevoir les générateurs de bouclier.

L’air devint immobile et relativement calme quand le Salvation traversa les nuages. La friction supplémentaire avait quelque peu ralenti la frégate, ce qui la rendait plus maniable. Starkiller ouvrit les yeux et devina sa destination par-delà le renflement des ponts avant. Peut-être qu’une partie de la coque avait été arrachée là aussi.

L’usine de clonage s’étendait droit devant lui. S’il l’avait voulu, il aurait pu la frapper en plein cœur et la rayer de la surface de Kamino. Si Juno n’avait été à l’intérieur, il aurait été tenté. Il ne sentait aucune attache pour le lieu de sa renaissance et s’il y avait une chance de se débarrasser de Dark Vador par la même occasion, c’était encore plus tentant.

Cependant, sa véritable cible était les bâtiments qui abritaient le générateur de bouclier. Il les vit enfin, aussi clairement que quand il était sur la passerelle, juste devant lui.

Prudemment, craignant de mettre trop de pression sur un châssis déjà surmené, il poussa la proue du Salvation vers le bas. S’il arrivait en rase-mottes et touchait d’abord l’océan, il pourrait concentrer les dégâts sur le point d’impact. S’il déviait ne fût-ce que d’un degré, il risquait de rater l’océan et de creuser une longue ligne enflammée à travers l’usine.

Le Salvation résista. Il poussa plus fort. Le nez descendit et résista pendant dix secondes. L’effort se faisait sentir dans tout le vaisseau. Il n’était pas conçu pour cela. Aucun vaisseau plus gros qu’un chasseur stellaire n’était conçu pour ce type d’approche. Starkiller non plus d’ailleurs.

Avec un craquement d’une violence inouïe, l’épine dorsale qui reliait la section avant et la section arrière de la frégate se rompit d’un coup sec. Starkiller invoqua la Force pour tenter coûte que coûte de maintenir les deux morceaux ensemble, mais il n’y avait rien à faire. Ils s’écartaient déjà, chacun dans une direction légèrement différente. De l’air et des débris jaillirent de la grande crevasse qui les séparait, ce qui provoqua une poussée complètement imprévisible.

Traversée de secousses, grondant, la section de l’avant commença à prendre de l’altitude. Starkiller ne chercha pas à s’y opposer. Elle avait déjà perdu tellement de masse que les dégâts qu’elle causerait en tombant seraient minimes. La priorité, c’était l’arrière. Les lourds moteurs et le réacteur principal continuaient à pousser cette partie dans la direction initiale. Était-ce la bonne trajectoire ou pas ? Starkiller examina la chute avec angoisse en se projetant du mieux qu’il pouvait à l’aide de la Force.

L’impact se présentait plutôt bien. Starkiller était confiant. Tout en gardant à l’œil la section de l’arrière qui passait sous l’avant du vaisseau, il se prépara à l’impact. Il restait moins d’une minute maintenant. S’il survivait au crash, il saurait vite si ses calculs étaient corrects.

Devant lui, une série de tours de clonage approchaient à toute vitesse, aussi droites et hautes que des arbres wroshyrs sur Kashyyyk. La section avant, sur laquelle il se tenait toujours, allait s’écraser entre les tours, causant pas mal de dégâts. Cela lui était égal. Jusqu’à ce que leur mémoire soit activée, les clones n’étaient pas vraiment en vie ; ils étaient à peine plus que de la viande réfrigérée. Et les techniciens qui s’occupaient d’eux étaient des serviteurs de l’Empire, donc des cibles pertinentes. Certains d’entre eux étaient peut-être responsables de sa naissance, s’il était un clone, et coupable en tout cas de soumission aux plans tordus de Vador.

Il sourit tandis que son coursier enflammé descendait dans leur direction. Il les imaginait fuir devant la météorite qui grossissait dans le ciel. Il voyait même de petites silhouettes au long cou courir dans le complexe, des stormtroopers en armure blanche refuser de quitter leur poste et une silhouette vêtue de noir au-dessus de la scène le regarder approcher.

Vador.

Plus bas, juste devant, les moteurs frappèrent la surface de la mer, ce qui projeta une vague de vapeur ultra brûlante au sommet des vagues.

Starkiller n’arrivait pas à détacher les yeux de son ancien Maître. Celui-ci se tenait en plein sur sa trajectoire et ne bougeait pas ! Starkiller ne comprit pas pourquoi, jusqu’à ce qu’il aperçoive, à côté de Vador, retenue par des fers et si petite qu’il ne l’avait pas remarquée :

Juno.

Une énorme éruption signala que les moteurs venaient de frapper le flanc du générateur de bouclier. Le ciel et la mer furent pris de convulsions. Une onde de choc parcourut l’usine, faisant osciller les tours de clonage. La section avant du Salvation roula à tribord mais pas suffisamment pour rater les tours de clonage. Le terminus était proche. Il ne restait que quelques secondes avant que la deuxième partie du Salvation ne s’abatte sur Kamino. L’usine s’étendait devant lui et il imagina les yeux de Juno s’écarquiller en le voyant, entouré du halo de son bouclier de Force, au sommet du précieux vaisseau. Savait-elle que c’était lui ou s’interrogeait-elle sur cette étrange apparition ? Croyait-elle voir la mort descendre du ciel plutôt que sortir du vaisseau de Dark Vador ?

Starkiller ferma les yeux. Il n’avait pas le temps de s’interroger. Il devait trouver une solution, très vite, ou Juno allait mourir.

Il n’y avait qu’une solution et, même s’il savait qu’il risquait de ne pas survivre, il n’hésita pas. Qu’était la mort quand l’amour de son ancienne vie était en jeu ? Tout était possible. La mort, comme il l’avait déjà constaté, semblait faire ressortir ce qu’il avait de meilleur en lui.

Concentrant tout son esprit et toutes les ressources de la Force qu’il pouvait rassembler, Starkiller embrassa les restes de la frégate en dessous de lui… et la fit exploser en milliards de morceaux.