CHAPITRE 7

Le même jour.

— Où est-elle ?

Kota le suivit en titubant dans le cockpit. Il était couvert de sang et de poussière. Il semblait sur le point de s’effondrer.

Starkiller s’en moquait.

— Où est-elle ?

— Je ne sais pas.

— Comment cela ? C’est son vaisseau.

— C’était son vaisseau. Ça ne l’est plus. Elle est passée à autre chose.

Kota se laissa tomber dans le siège et prit son visage couvert de cicatrices entre ses mains.

— La flotte de l’Alliance Rebelle est dispersée dans la Bordure Extérieure, elle se déplace sans cesse. Juno Eclipse pourrait être n’importe où maintenant.

Starkiller fronça les sourcils. Cela n’avait aucun sens.

— Elle n’était pas avec vous quand vous êtes venu ici ?

— Si, mais j’avais ma propre escouade au sol.

Kota leva ses yeux sans vie.

— Ils sont tous morts maintenant, bien sûr. Je suis le seul que le Baron Tarko ait « épargné » quand il nous a capturés. Puis tu es arrivé. Je te remercie.

Il prononça ces dernières paroles avec gravité et sincérité.

— Je ne sais pas combien de temps j’aurais tenu, ajouta-t-il.

Starkiller balaya ces propos d’un geste et vérifia les commandes. Maintenant que Juno ne pouvait plus apparaître, des considérations plus prosaïques devenaient prioritaires, comme s’assurer que le vaisseau n’était pas suivi par un des sous-fifres du Baron décédé.

Le Rogue Shadow était sorti du gouffre et se dirigeait vers l’orbite, où il attendrait de nouveaux ordres. Starkiller ne savait pas en quoi consisteraient ces commandements désormais. Et il n’était pas prêt à occuper le siège de pilote vide, c’est Juno qui aurait dû s’y asseoir.

Aurait dû. Dans sa vie précédente. À présent, Kota avait sa propre escouade et Juno « était passée à autre chose », quelle que soit la signification de cette expression. Les choses avaient changé d’une façon qu’il n’avait jamais envisagée.

— Racontez-moi ce qui s’est passé exactement.

Le général relata les circonstances de sa capture avec son économie de mots habituelle. Un raid officieux contre un despote local avait soudain mal tourné à cause de mauvaises informations au sujet de la taille et de la puissance de réaction des forces présentes sur Cato Neimoidia. Dans d’autres circonstances, cela aurait pu tourner au fiasco complet, ils l’avaient d’ailleurs frôlé, mais sans véritables renforts, si ce n’est une petite frégate en orbite, Kota et son escouade n’avaient pas eu de seconde chance.

— Elle a fait de son mieux, conclut Kota. Et je ne lui reproche pas d’être partie. Elle ne pouvait pas affronter l’Empire seule, même si je suis sûr qu’elle le voulait.

— Elle était ici ?

Kota hocha la tête.

— Elle était le capitaine de la frégate. Mon Mothma reconnaît le talent, même si elle n’en fait pas toujours bon usage.

Il se pencha en avant et poursuivit avec excitation :

— Maintenant que tu es de retour, il faudra quelle comprenne l’opportunité que cela représente. Nous devons capitaliser là-dessus immédiatement : jouer un coup majeur contre l’Empire pour contre-attaquer…

— Attendez.

Starkiller fut étonné de cette soudaine vigueur. Une minute, il était à moitié mort, la suivante, il voulait entrer en guerre contre toute la galaxie et souhaitait que Starkiller mène la charge. La foi que Kota manifestait envers lui était touchante mais elle devait être tempérée d’un peu de réalisme.

— Vous ne voulez pas savoir d’où je viens ?

— Pourquoi ? Tu es de retour, c’est l’essentiel.

— Mais je ne suis pas de retour. Je ne suis pas lui.

Kota secoua la tête avec emphase.

— Je suis peut-être aveugle mais je suis toujours connecté à la Force. Je sais ce que je sens.

— Je ne suis pas Starkiller.

Il était vital que Kota comprenne au moins cela. Le général n’était pas son Maître et ne pourrait le devenir tant qu’il ignorait qui il était. Ils ne pouvaient pas simplement recommencer là où ils s’étaient arrêtés.

— Pas le Starkiller original, en tout cas. Je suis un clone que Dark Vador a cultivé dans une cuve pour qu’il reprenne la place de l’ancien Starkiller à ses côtés. Cela devrait vous inquiéter, non ?

Kota se pencha en avant et gratta sa barbe crasseuse.

— Je pense que je sais déjà le pire dont tu es capable, dit-il en tapotant le coin de l’un de ses yeux morts. Mais j’ai connu aussi le meilleur, alors je suis prêt à prendre le risque.

Starkiller ne répondit pas. Il se demandait si Kota faisait allusion à sa cécité ou à quelque chose de plus grave.

— Je voulais que vous sachiez que Shaak Ti est morte, entendit-il Bail Organa dire dans le passé. Elle a été tuée par Dark Vador ou l’un de ses assassins.

— Probablement le même que celui qui m’a mis dans cet état, avait répondu Kota en faisant pratiquement le même geste qu’aujourd’hui.

Il avait deviné juste. Juno le lui avait-elle dit ? Avait-il également lié la mort de Shaak Ti à la disparition de Kazdan Paratus, que Starkiller avait également assassiné ? Kota avait pardonné à Starkiller de l’avoir rendu aveugle mais la mort de deux Jedi – dont l’un était un ancien Maître Jedi siégeant au Grand Conseil – était bien plus grave. Était-ce même pardonnable ?

— Lumineux, obscur, avait dit Shaak Ti, ce sont juste des directions. Ne sois pas dupe : tu n’es pas porté par autre chose que tes deux pieds.

Même depuis sa tombe, elle avait quelque chose à lui apprendre, comme Kota de son vivant. Il n’était plus une créature du Côté Obscur ou du Côté Clair. La seule direction qui lui importait était celle qui menait à Juno. Là où le menaient ses émotions.

Kazdan Paratus, qui pourrissait sur Raxus Prime tel un ermite pourrissant au milieu des déchets, était un autre exemple instructif pour lui, surtout grâce à une de ses victimes. S’il voulait éviter de vivre entièrement dans le passé, il allait devoir se concentrer sur ce qui comptait vraiment.

— Aidez-moi à trouver Juno. C’est tout ce que je vous demande.

Kota l’examina avec d’autres sens que la vue.

— Mets le cap sur le système Athega, finit par dire le général. C’était le dernier lieu de rendez-vous. Quand nous y serons, nous trouverons peut-être une indication d’où ils sont partis.

— Ils pourraient toujours s’y trouver, non ?

Kota secoua la tête.

— Même s’il y avait eu la moindre chance que moi-même ou un membre de mon escouade survive, la flotte devait bouger. Même Mon Mothma l’aurait compris.

C’était la deuxième fois que Kota minimisait l’importance du rôle de Mon Mothma dans l’Alliance Rebelle. Starkiller classa l’information pour y réfléchir plus tard.

— Je vais au rafraîchisseur, annonça Kota, tandis que Starkiller se tournait vers les contrôles et commençait à préparer le saut. Puis je vais dormir. Réveille-moi quand nous serons arrivés.

— D’accord.

Kota s’arrêta avant de quitter le pont.

— Je suis content que tu sois de retour, mon garçon.

Avant que Starkiller ait eu le temps de préciser qu’il n’était pas de retour, le général tourna les talons et s’éloigna en boitillant.

Le Rogue Shadow avait été modifié depuis qu’il l’avait piloté la dernière fois, et pas nécessairement en mieux. Sa protection était plus lourde, il réagissait différemment sous la poussée et certains compartiments avaient été agrandis pour faire de la place à l’escouade de Kota. Par conséquent, plusieurs composants essentiels étaient serrés les uns contre les autres de façon inconfortable et le risque de surchauffe était permanent. Starkiller ne quitta pas les instruments du regard tandis que le vaisseau effectuait le saut dans l’hyperespace. Il s’attendait à tout moment à ce qu’une lumière d’avertissement se déclenche.

Étonnamment, aucune ne s’alluma. Celui qui avait réarrangé les systèmes avait poussé le bouchon mais pas trop loin. Il s’agissait sans doute d’un expert en ingénierie du champ de bataille. Il supposait aussi que cette personne était morte avec l’escouade de Kota sur Cato Neimoidia : il ne pourrait donc jamais lui demander comment il avait procédé.

Au bout du compte, cela n’avait pas d’importance. Ils étaient en route, c’était l’essentiel.

Il disposait de temps pour réfléchir, même si cela ne lui faisait pas spécialement plaisir.

Son bref échange avec Kota avait réveillé une masse d’angoisses qu’il ignorait porter en lui.

Je pense que je sais déjà le pire dont tu es capable… jouer un coup majeur contre l’Empire pour contre-attaquer… Je suis content que tu sois de retour.

Il n’avait pas réfléchi à ce qui pourrait arriver après avoir retrouvé Juno. Est-ce que les autres Rebelles étaient au courant pour Shaak Ti et Kazdan Paratus ? Lui avaient-ils pardonné le piège qu’il avait tendu sans le savoir sur Corellia. Est-ce qu’on oublierait qu’il avait eu Dark Vador comme Maître ?

Il empeste le Sith, ça c’est sûr, avait dit Kazdan Paratus.

Tu dégages la même puanteur que ce lâche de Vador, avait acquiescé Shaak Ti. Seul Kota avait senti de la bonté en lui. La sentait-il vraiment maintenant ou était-ce juste son espoir aveugle qui parlait ? Starkiller devrait attendre que Kota se réveille pour le lui demander. La question de ce qui allait suivre était inévitablement liée à ce pour quoi il avait été créé. Jusqu’à ce que Vador le pousse à bout, il pensait que son but était de servir aux côtés de son ancien Maître pour tuer ses ennemis et peut-être un jour l’aider à s’emparer du trône Impérial. C’est pour cela qu’il avait été formé dans sa vie antérieure après tout, et il était facile de revenir par défaut à ce statut.

Mais, à mesure que ses souvenirs se remettaient peu à peu en place et que la vie de l’ancien Starkiller devenait de plus en plus claire, il commençait à mettre en doute cette idée. Dark Vador avait des plans à l’intérieur de ses propres plans, ce qui les rendait plus difficile à déjouer.

La première résurrection de Starkiller avait eu lieu à bord de l’Empirique, après que l’Empereur avait ordonné à Vador de tuer son apprenti secret la trahison dont Starkiller s’était souvenu sur Kamino, quand Vador avait déclaré qu’il était un échec qui méritait le même sort que les autres clones. Starkiller se souvenait de l’obscurité presque totale, qui ressemblait très fort à la mort, puis du réveil sur une table d’opération pour recevoir de nouvelles instructions. Vador lui avait expliqué qu’il avait mis en scène la mort de Starkiller pour faire de lui un électron libre – libre de cibler l’Empereur plus directement. Cela lui avait semblé plausible car, d’après Shaak Ti, les Sith se trahissaient toujours. Mais ensuite, sur Corellia, Vador lui avait révélé sa véritable intention, celle de l’Empereur : l’utiliser pour rassembler tous les ennemis de l’Empereur en un seul lieu afin de les détruire une fois pour toutes. Ensuite, avait laissé entendre Vador, il serait temps de s’attaquer à l’Empereur, mais pas avec Starkiller.

J’ai menti, comme je l’ai fait depuis le tout début, avait dit Vador.

Vador mentait toujours, Starkiller le comprenait désormais, mais quelque part, sous ce mensonge, devait se cacher une part de vérité. Un Starkiller cloné devait servir un but, sinon ça n’avait aucun sens de le fabriquer ? Avait-il été créé pour poursuivre l’un des plans précédents de Vador ou un autre, entièrement nouveau ? Vador suivait-il toujours les ordres de l’Empereur ? Ou inventait-il ses plans au fur et à mesure ? Cela semblait peu probable. Starkiller connaissait bien la nature de son ancien Maître. Dark Vador était méticuleux et autoritaire. Il ne laissait rien au hasard. Ses mobiles et ses intentions étaient peut-être cachés pour le moment mais ils deviendraient clairs un jour. Peut-être qu’en y réfléchissant assez, le clone de son ancien apprenti pourrait les deviner.

— Sans moi, vous ne serez jamais libre, avait-il dit à Vador sur Corellia. Sur l’Étoile Noire, il avait pressenti que seule la mort libérerait son Maître de la servitude car l’Empereur lui-même avait très profondément imprégné l’esprit de Vador par le Côté Obscur. Il y avait même eu un moment où la vie du Seigneur Noir avait littéralement été entre les mains de Starkiller. Il aurait pu libérer son Maître de ses tourments s’il avait choisi la vengeance plutôt que de sauver la vie de ses amis Rebelles. S’il l’avait fait, il ne serait peut-être pas mort pour renaître en clone. Ou il serait mort pour toujours.

Il ne savait pas ce qui aurait été préférable.

N’oublie pas que tu es toujours à mon service, lui avait dit Dark Vador.

Dans un coin de son cerveau, la crainte que ce soit toujours le cas était omniprésente. Que toute apparence de liberté ne soit qu’une illusion. Qu’à n’importe quel moment, son Maître puisse revenir dans sa vie, comme il l’avait fait sur Corellia, et détruire tout ce qu’il avait construit.

Il se promit que cela n’arriverait jamais. Il espérait pouvoir tenir cette promesse.

Si seulement il pouvait oublier. Son esprit était occupé par tant de choses…

Les commandes se mirent à sonner. Le temps avait passé à une vitesse incroyable pendant qu’il était assis et méditait en silence. Le Rogue Shadow devait arriver dans le système Athega d’un moment à l’autre. Starkiller songea à réveiller Kota mais il décida finalement de le laisser dormir. Après s’être battu pendant sept jours d’affilée, le vieil homme avait mérité le repos.

Les lignes bleues – presque blanches – de l’hyperespace disparurent. Une radiation jaune aveuglante prit leur place, faisant trembler le vaisseau. Les mains de Starkiller pianotèrent sur les commandes, levant des boucliers et scannant les environs avec frénésie. Il avait l’impression d’avoir atterri en pleine explosion. Qu’est-ce qui pouvait dégager une telle puissance sans décliner en intensité ? Ce n’était pas une explosion isolée. C’était une fusion soutenue.

La réponse était simple : un soleil. Le soleil au centre du système Athega, pour être précis. Il était énorme et très actif, il jetait des boucles coronales plus longues que la plupart des systèmes coronaux et était criblé en profondeur de taches solaires. La température de la coque montait vite. Malgré les protections supplémentaires, le Rogue Shadow ne tiendrait pas longtemps.

Les senseurs indiquaient deux planètes rocheuses. Un groupe de petits points se trouvait derrière l’un d’eux. Il sourit et entra les coordonnées aussi vite que possible, persuadé d’avoir trouvé la flotte Rebelle.

Le calme relatif de l’hyperespace l’enveloppa. Ses oreilles bourdonnèrent dans le silence soudain. Il prit un moment pour retrouver son souffle tandis que le vaisseau cliquetait et grésillait autour de lui, dégageant lentement la chaleur excessive dans le vide intersidéral infini.

Il regardait le compte à rebours sur le chrono, sûr que les conditions seraient plus tempérées à l’ombre de la planète. Sinon, pourquoi la flotte Rebelle s’y cacherait-elle ?

Le saut fut bref. Une minute à peine s’était écoulée quand le vaisseau émergea à nouveau de l’hyperespace et cette fois la pénétration se fit plus en douceur. Les boucliers du vaisseau étaient suffisants pour le protéger du pire. Il scanna les vaisseaux autour de lui, espérant trouver la frégate dont avait parlé Kota : le Salvation, le vaisseau de Juno.

Mais aucun des transpondeurs ne correspondaient à ce nom et une nouvelle évidence s’imposa : aucun des vaisseaux n’appartenaient à la flotte Rebelle. Ils émettaient les signaux standards de transpondeurs de l’Empire. Les chasseurs qui grouillaient autour de lui correspondaient : il s’agissait de dizaines de chasseurs TIE.

Il était tombé en plein milieu d’une flotte Impériale !

— Identifiez-vous, vaisseau inconnu, ordonna une voix dans la console de communication. Ralentissez et préparez-vous à être abordé.

Starkiller n’avait pas l’intention de laisser prendre son vaisseau sans réagir. Il se dirigeait déjà vers le bord de l’ombre projetée par la planète. Les moteurs du Rogue Shadow rugirent tandis que les chasseurs TIE se lançaient à sa poursuite. Il pilota avec frénésie tout en calculant le saut suivant.

Il atteignit la lumière brûlante à l’instant même où le vaisseau sautait dans l’hyperespace.

Puis tout fut calme.

— Je te l’avais dit, murmura Kota derrière lui. Ils nous retrouvent toujours, où qu’on se cache.

Starkiller se tourna vers lui.

— Des espions ?

— Des informateurs, des traîtres, des coups de chance… La Force, même, si Vador nous cherche.

Kota se laissa tomber dans le siège du copilote avec un soupir las. Son armure était déjà un peu plus propre mais elle était toujours endommagée et griffée, au point d’être méconnaissable.

— Nous ne sommes en sécurité nulle part.

Le vaisseau voyagea en douceur jusqu’à sa nouvelle destination : l’ombre vide derrière la deuxième lune. Là, Starkiller effectua un balayage plus complet du système. Il ne trouva pas trace d’une bataille spatiale prolongée, ce qui le soulagea. La flotte Rebelle devait s’être déplacée avant l’arrivée des Impériaux. Mais il n’y avait pas d’indication non plus d’où ils avaient pu filer.

— La flotte ne laisse pas ses coordonnées derrière elle, dit Kota. Elles pourraient être décodées trop facilement. La seule façon de la retrouver une fois que tu l’as perdue c’est de t’adresser à des contacts Rebelles.

— Cela prendra trop longtemps.

— Pourquoi es-tu si pressé ? L’Empire n’ira nulle part.

Starkiller ne savait pas comment lui expliquer. Si Kota ne comprenait pas encore, peut-être ne comprendrait-il jamais.

Il préféra fermer les yeux et invoquer la Force.

Juno.

Il la voyait dans son esprit aussi clairement que si elle se trouvait devant lui. Ses cheveux blonds, ses yeux bleus, sa mâchoire forte, son nez fier : il garderait son visage avec lui jusqu’à la fin de ses jours maintenant qu’il avait échappé à la terrible influence de Dark Vador. Quand ils seraient à nouveau ensemble, ils ne se quitteraient plus. Il fallait juste réduire l’espace qui les séparait. Et qu’était la distance, sinon une illusion de l’esprit ? Pour la Force, toutes les choses ne faisaient qu’un.

Faiblement, il entendait les craquements et les tintements du Rogue Shadow mais il ne se laissa pas distraire. Il était parmi les étoiles, il cherchait, fouillait. Il y avait des milliers de billions d’esprits dans la galaxie et il n’en cherchait qu’un. Il sentait de la peur et de grandes tragédies, de la cruauté et de la haine mesquine. Il voyait la mort partout, et la vie aussi, qui allait et venait dans cette marée interminable. La Force affluait en lui, primaire, puissante, forte, telle une bête que personne n’avait jamais, entièrement domptée. Il sentait la présence de Kota à côté de lui, bouillonnant de colère et d’impatience.

Il sentit…

Une ébauche de Juno traversa son esprit.

Je me méfie de ce genre de pouvoir. Une leçon apprise à ses dépens est difficile – peut-être impossible – à désapprendre.

Il ne s’agissait pas de ses paroles, ni de sa voix mais elle était proche de la source, qui était elle-même une présence cruellement familière.

De l’eau.

L’urgence de Kota s’embrasa, ce qui eut pour effet de sortir Starkiller de sa méditation.

Une dizaine d’objets flottants tombèrent au sol avec fracas.

— Qu’est-ce que c’est ?

Il regarda par le hublot à la recherche de traces des Impériaux, mais il ne vit rien.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Je n’ai rien dit, répondit le général. Je n’ai rien fait non plus. Je suis juste là à attendre.

On ne pouvait nier ce qu’il avait ressenti. Kota était impatient et cette impatience le déstabilisait.

— Vous pensez que je perds mon temps. Vous ne m’en croyez pas capable.

— Tu as raison sur un point, mon garçon. La galaxie est très vaste et le but de l’Alliance Rebelle est de rester cachée ; mais je n’essayerai jamais de deviner de quoi tu es capable ou non.

— Donc, vous pensez que je perds mon temps.

— Je pense que tu te trompes de priorité.

— Comme Mon Mothma.

— Oui, exactement. Tu laisses tes peurs obscurcir ton jugement.

Starkiller se tourna vers Kota.

— De quoi croyez-vous que j’ai peur ?

— D’être toi-même. D’être Starkiller. D’être Ga…

— Ne prononcez pas ce nom. Je ne suis pas lui. Je suis un clone, une copie. Une mauvaise copie, par-dessus le marché.

— C’est ce que Vador t’a dit ?

— Oui.

— Je ne le crois pas.

Kota parlait avec force et certitude.

— Personne ne peut cloner un Jedi. Cela ne s’est jamais fait.

— À votre connaissance, du moins.

Kota agrippa Starkiller par les épaules.

— Je sens ta puissance… et tu es en train de la gâcher.

— En vous sauvant ? En cherchant Juno ?

Kota marcha jusqu’à l’autre bout du cockpit et se frotta le front avec la main droite.

— Écoute. Le commandement de l’Alliance Rebelle est dans une impasse. Ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur notre prochaine opération. Nous n’avons pas la puissance de feu pour abattre une cible Impériale importante mais personne ne veut risquer des vies en faisant de petites attaques kamikazes non plus. Nous devons faire quelque chose, n’importe quoi. Il faut qu’on commence quelque part.

Il s’interrompit et posa son regard aveugle sur Starkiller.

— Avec ton pouvoir, nous pouvons…

— Non.

— Pourquoi pas ?

— Juno est plus importante.

— Pourquoi serait-elle plus importante ?

— Parce que…

Starkiller déglutit. Il n’avait jamais avoué cela à personne, pas même à Juno.

— Parce que…

Kota balaya d’un geste sa question.

— Cela n’a pas d’importance. Nous connaissons tous les deux la réponse mais je dois tout de même te demander quelle différence cela fait. Juno n’est qu’une personne. Nous combattons toute une galaxie.

— L’Empereur n’est qu’une personne.

— Et Vador aussi, de même que ses sous-fifres. Ils s’additionnent, mon garçon.

— Mais nous devons les vaincre un à un.

Kota fit un bruit de désapprobation et recommença à arpenter la pièce.

— N’essaie pas de me coincer avec de belles paroles. Tu n’es pas un philosophe. Tu es un combattant, comme moi, et le sort de l’Alliance Rebelle est entre tes mains.

— Personne ne peut l’emporter contre l’Empire. Vous me l’avez dit un jour. Vous vous en souvenez, Kota ?

— Oui, je m’en souviens.

Kota repoussa également cette idée.

— J’étais une autre personne alors. Tu m’as ramené à moi-même, tu m’as ramené à la Force. Tu m’as montré ce qui était possible.

— Je suis peut-être en train de vous le montrer maintenant, dit Starkiller.

Une pensée très grande, très compliquée occupait son esprit, il avait du mal à l’exprimer avec des mots.

— Peut-être… peut-être que là où nous commençons est aussi important que ce que nous faisons.

— Tu me fais penser à un professeur que j’ai eu autrefois. À peu près aussi incompréhensible qu’il l’était. Tu crois que tout cela importe le moins du monde à Juno ?

Starkiller n’avait pas réfléchi à cela. Il n’avait aucune idée de ce que Juno pensait. Il n’arrivait même pas à la retrouver.

Tant de mois avaient passé. Il se sentait déconnecté de tous ceux qu’il avait le mieux connu : Juno, Kota, même lui-même. Il sentait le monde lui échapper, comme s’il devenait un fantôme, irréel, sans importance.

— Je veux juste…

Juno. Il était inutile de le répéter.

— Kota, écoutez-moi. Je vous ai sauvé pour que vous puissiez m’aider mais vous ne m’aidez absolument pas. J’ai besoin d’un endroit pour réfléchir à tout cela, seul. Pour méditer sans que vous me distrayiez.

Kota le regarda, une expression incrédule sur le visage.

— Nous sommes en guerre et tu veux un endroit tranquille pour réfléchir ?

— C’est important pour moi de la retrouver. Je ne m’arrêterai pas tant que je ne l’aurai pas rejointe.

— Et pendant ce temps-là, l’Alliance sera détruite. C’est ce que tu veux ?

Starkiller en avait assez qu’on le juge et qu’on lui crie dessus.

— C’est parce que vous me parlez comme cela que je dois partir !

— Très bien, alors. Va dans les forêts de Kashyyyk ou les grottes de Dagobah, là où tu crois que tu trouveras ce que tu cherches et laisse mourir la galaxie.

— Qu’est-ce que vous racontez ? Je ne vais pas laisser mourir la galaxie. Je veux ce qu’elle veut. Ce que vous voulez aussi, mais dans un ordre différent.

Kota lui fit face en se tenant bien droit.

— C’est la vérité ?

— Oui.

— Je peux te croire ?

Starkiller hésita. Ses sentiments étaient troubles sur tout ce qui ne concernait pas la recherche de Juno. Mais il ne voulait aucun mal à Kota et il n’était certainement pas un allié de Dark Vador et de l’Empereur.

— Oui, dit-il. Oui, vous pouvez me croire. Je ne suis pas un lâche, Kota, je reviendrai.

Kota secoua la tête et parut se dégonfler. Il semblait vieux et fatigué et, pendant un moment, Starkiller souhaita retirer tout ce qu’il venait de dire et donner à Kota, son mentor et ami, tout ce qu’il souhaitait. Mais pas maintenant. Cela aurait été un mensonge. Juno passait en premier. La Rébellion ensuite. C’était l’ordre des choses.

— D’accord.

Kota se dirigea vers la sortie du cockpit.

— Va où tu veux. Prends le vaisseau : il a toujours été à toi de toute façon. Dépose-moi simplement au spatioport le plus proche avant d’aller te perdre dans les étoiles, que je puisse trouver quelqu’un prêt à se battre.

Starkiller fit pivoter le siège de pilotage puis fixa les commandes du regard sans vraiment les voir jusqu’à ce qu’il fût certain que Kota était parti. Il baissa ensuite la tête vers les instruments qui clignotaient et ferma les yeux. La face de la lune tournait au loin, sans que personne ne la remarque, sans importance.

Il faisait ce qui était juste. Il en était sûr.

La seule question à présent était : par où commencer ?

De l’eau.

Il leva les yeux et commença à calculer la trajectoire pour la première planète aquatique qui lui vint à l’esprit : Dac, qui abritait les Mon Calamariens.