CHAPITRE 5

Aujourd’hui…

Starkiller, stupéfait, regardait l’énorme bête émerger de la pénombre. Tout en muscles, en os, en dents et en griffes, le monstre voûté se déplaçait avec lourdeur et faisait trembler la terre. Ses pattes puissantes paraissaient toutes petites en comparaison avec la longueur de ses bras mais leur force était presque inconcevable : ils étaient capables non seulement de soutenir une créature plus grosse que la plupart des vaisseaux mais aussi de la déplacer. Si la bête s’était redressée à la verticale, ses mains auraient pu toucher le plafond de l’arène, pourtant incroyablement élevé.

De gros fers en duranium perçaient la chair épaisse dans le bas de son dos et l’empêchaient d’avancer plus loin que le centre de l’arène. Elle tirait sur ses chaînes en rugissant. Pour assouvir la frustration, un poing puissant bondit en direction des petites créatures qui se tenaient devant la bête, leurs lames brillantes levées dans une défiance futile. Starkiller courut dans une direction, Kota dans une autre. La pierre craqua sous leurs pieds. De la poussière et des éclats de roche s’envolèrent comme des shrapnels. Starkiller roula pour atterrir puis sauta à nouveau tandis que le Gorog essayait de l’attraper. Il le rata d’un mètre à peine ; il était extraordinairement rapide pour une créature aussi imposante. Starkiller parvint à lui entailler la peau mais, bien que ses lames séparèrent le derme rouge-noir, il n’arrivait pas à pénétrer assez profondément pour causer de vrais dégâts. Il allait devoir combattre le Gorog d’une autre manière.

— Tu es un Jedi, lança Kota depuis ses souvenirs. La taille n’a aucune importance pour toi !

La lourde tête bombée du Gorog se tourna vers la gauche à la recherche du général. Starkiller attira son regard sur lui et appuya sur sa patte la plus proche à l’aide de la Force. La patte bougea à peine mais la tentative ne passa pas inaperçue. Au repos, il fallait sans doute déjà beaucoup d’énergie à la bête pour garder son centre de gravité stable. La dernière chose qu’elle souhaitait, en plein combat, était de perdre l’équilibre. Qu’elle raisonne consciemment ou qu’elle réagisse simplement d’instinct, Starkiller s’en moquait. Il avait bel et bien capté son attention à présent.

Le Gorog lança ses deux poings dans sa direction ; ils convergèrent avec une puissance qui aurait pu briser une lune en deux. Starkiller ne céda pas de terrain mais ajouta son propre cri de défi aux hurlements furieux de la créature. Les poings se rejoignirent, faisant trembler le sol et les bâtiments, mais Starkiller fut épargné grâce à la barrière de Force la plus puissante qu’il parvint à assembler. Quand les poings se levèrent, il se retrouva enseveli dans un puits de pierres concassées de près d’un mètre de profondeur.

Le Gorog baissa les yeux vers lui avec un air de surprise qui manifestait sa lenteur d’esprit. Starkiller en profita pour sauter sur un de ses bras et remonter jusqu’à son épaule droite, presque aussi haute qu’une montagne.

La bête se tourna pour essayer de le localiser puis se gratta le dos. Les lourdes chaînes cliquetaient et s’entrechoquaient. Starkiller bondit sur un des chaînons qui s’enfonçaient profondément dans la chair de la créature et s’agrippa au métal crasseux. Ses bras avaient du mal à en faire le tour. Il prit un moment pour se concentrer puis envoya un puissant flot d’éclairs à travers les épaisses dents de métal, droit dans les muscles saillants.

Le Gorog battit des bras et hurla. Il se redressa sur ses pattes jusqu’à ce que la surface à laquelle Starkiller s’accrochait se trouve pratiquement à la verticale. Il cessa de lui envoyer des chocs et commença à escalader, de chaînon en chaînon, en direction de la tête. Ses mains s’accrochaient à l’aveuglette, faisant balancer les chaînes d’un côté à l’autre. Il évita des griffes plus longues qu’un homme et bondit, finalement, sur l’énorme crâne chauve. Une plaque de métal soudée refermait une cavité dans son crâne, formée soit par une anomalie génétique soit par une blessure profonde, laissant son cerveau à découvert…

Starkiller ne savait pas si la bête pouvait déjà le sentir, mais cela ne tarderait pas. Il leva ses deux sabres laser et les abattit avec force sur la plaque de métal. Il se mit à courir pour former une double ligne de métal fondu en remontant jusqu’au visage hideux. Au même moment, il frappa la bête avec un éclair en utilisant la plaque et ses sabres laser pour conduire l’électricité jusqu’aux gigantesques neurones de la créature.

La fureur du Gorog redoubla. Il secoua violemment la tête d’un côté à l’autre dans un grand grincement de vertèbres et de tendons. D’énormes filets de salive pendaient de sa bouche. À cette distance, ses hurlements étaient assourdissants. Starkiller sauta sur un de ses sourcils monstrueux et, d’une main, s’accrocha à un poil aussi épais qu’une branche. Il pointa l’autre main en direction de l’œil le plus proche, prêt à envoyer un choc à travers le nerf optique et jusqu’au cerveau.

L’œil roula et la pupille se contracta. La bête l’avait vu. Avant que Starkiller ait pu bouger, une main puissante arriva derrière lui et, avec la force d’un canon à projectiles, le balaya de son perchoir précaire.

Pendant un moment, il fut KO et plus léger qu’une plume. Le monde tournait autour de lui et il eut l’impression d’entendre Juno lui demander :

— As-tu déjà fait ça ?

Il répondait :

— Fais-moi confiance. Je fais ce qui est bien pour nous deux.

Puis il s’écrasa sur le sol et seul un réflexe, aiguisé par des milliers d’heures de traitement punitif, étendit une barrière de Force qui l’empêcha de réduire en miettes tous les os de son corps.

Il reprit lentement connaissance. Des hologrammes étincelaient et vacillaient autour de lui tandis qu’il se remettait debout, encore sonné.

Il se trouvait à peu près au milieu de l’arène, sous le regard des spectateurs venus de loin, qui soutenaient un camp ou l’autre. Starkiller se demanda si c’était important pour eux de savoir qui se battait et pour quelle raison. La violence était tout ce qui comptait pour eux. Eh bien, il allait leur offrir le spectacle qu’ils attendaient.

Le Gorog n’avait pas dit son dernier mot non plus. Il avait brisé la moitié de ses chaînes en se tortillant frénétiquement et il avait arraché le reste de ses entraves pour le suivre dans les gradins. Les rares spectateurs qui ne s’étaient pas éloignés de Starkiller le firent alors, redoutant ce qui pourrait arriver. Les murs du stade tremblèrent tandis que l’énorme créature appuyait de tout son poids sur les gradins.

Starkiller prit un moment pour chercher Kota du regard. Le vieil homme ne gisait pas écrabouillé sur le sol de l’arène et n’accourait pas non plus imprudemment à sa rescousse. Il en fut soulagé. Il fallait que Kota soit en vie si Starkiller voulait retrouver Juno rapidement et il ne voulait pas être distrait par un vieil homme à protéger. Mais il ne voulait surtout pas le perdre. Une rapide recherche à l’aide de la Force lui révéla qu’il était parti à l’ascension des gradins, assenant des coups à tous ceux qui lui barraient la route. Sans doute le règlement de compte dont il avait parlé.

Puis il n’eut plus l’occasion d’y penser. Le Gorog approcha ; une traînée de sang sombre s’échappait de l’entaille dans son crâne et dégoulinait vers sa gueule ouverte. Le goût semblait le mettre en rage.

Un de ses bras balaya les gradins, il détruisit des générateurs d’hologrammes et fit tomber des piliers par dizaines. Starkiller courut dans la direction opposée. Quelqu’un criait des ordres depuis une tribune plus haut, mais il n’y prêta pas attention.

La créature suivit Starkiller dans le stade, le faisant trembler et vaciller.

Une énorme dalle de pierre, délogée par un coup de patte sauvage, tomba juste devant lui. Starkiller sauta plus haut, jusqu’au sommet des gradins. Là, il trouva une passerelle que les derniers spectateurs empruntaient pour fuir. Il la suivit jusqu’au toit du stade et attendit pour voir si le Gorog était toujours sur sa trace. C’était le cas. Il utilisait ses bras pour se hisser plus haut et battait des jambes pour se donner plus d’élan. À travers de larges fentes dans les gradins, Starkiller voyait l’air libre en dessous. Il courut depuis la passerelle jusqu’au toit. Le Gorog le suivit sans hésiter en empruntant une ouverture à peine assez large pour laisser passer son bras : le reste de son corps faillit rester coincé. Il cligna des yeux à la lueur du jour. Les lumières et l’agitation de la cité suspendue ne signifiaient rien pour lui alors que sa proie était juste à quelques mètres de lui, immobile et tentante.

Il bondit et le rata. Bondit encore et le rata à nouveau. Il se moquait des dégâts qu’il causait. Des supports métalliques ployaient. Des câbles se détachaient et fouettaient l’air. Une poignée de stormtroopers équipés de jetpacks bourdonnaient au-dessus de la bête pour essayer de reprendre son contrôle mais elle n’avait d’yeux que pour Starkiller.

Il lui fit parcourir la moitié du tour du stade avant de sentir le premier basculement en dessous de lui. Un certain nombre de poteaux et de câbles de soutènement étaient rompus, ce qui menaçait l’intégrité de tout le bâtiment. Le Gorog continuait sa course. Une fois revenue presque à leur point de départ, la bête sembla remarquer que la surface sous ses pattes s’enfonçait et commençait à s’effondrer.

Le toit de l’arène, en forme de large disque, trembla. Starkiller sauta sur la seule structure encore attachée à la ville au-dessus : la tribune depuis laquelle le potentat devait avoir joui de la meilleure vue. Il atterrit sur le toit juste au moment où le dernier support du stade se rompait et que commençait la longue chute en direction du gouffre.

Le Gorog hurla quand il se mit, lui aussi, à tomber.

Starkiller découpa un trou dans le toit de la tribune et sauta lestement à l’intérieur.

Il y trouva le potentat, toujours debout, devant un trône en or richement décoré. Un demi-cercle d’aides Neimoïdiens gisaient à ses pieds. Il pointait son blaster sur Kota, qui approchait, le sabre laser à la main. Il ne semblait gêné ni par la fatigue ni par la cécité. L’arrivée de Starkiller détourna l’attention du potentat. Il tira sur lui un coup qui fut facilement dévié.

Avant que Kota puisse frapper – vengeant ainsi une semaine de massacres continus –, toute la tribune tangua. Ils furent projetés en l’air tous les trois. Du métal gémit. Du transparacier éclata. Le hurlement du Gorog emplit l’air. Starkiller s’accrocha à une console tandis que la tribune tanguait à nouveau, faisant pencher le sol toujours plus près de la verticale.

— Espèce d’imbécile, cria le potentat qui gisait sur le sol les bras en croix. Tu nous as tous tués !

Starkiller se pencha par la fenêtre la plus proche. Il comprit immédiatement ce qui s’était passé. Pour arrêter sa chute, le Gorog s’était accroché d’une main à la tribune et essayait maintenant de grimper à l’intérieur pour se mettre à l’abri, détruisant progressivement leur refuge.

Le trône en or se détacha et glissa vers la baie vitrée cassée. Il emporta le potentat dans son sillage. L’homme s’agrippa au sol mais ne put rien faire pour freiner sa chute, le trône était trop lourd. Il passa par la fenêtre en hurlant et tomba droit dans la gueule ouverte du Gorog.

Cet en-cas galvanisa la capacité de raisonnement du monstre. Il leva les yeux vers la tribune, la considérant pour la première fois comme un conteneur et plus seulement comme un point d’accroche. Il reconnut le scintillement des armes d’énergie qui l’avaient piqué. De sa main libre, il voulut les attraper mais ne réussit qu’à endommager encore plus la structure. La chute était inévitable. Il le savait, dans les profondeurs de son esprit dérangé. Avec l’énergie du désespoir, il bondit à nouveau et attrapa enfin son ennemi.

— Kota ! s’écria Starkiller tandis que le Gorog arrachait le général Jedi de la tribune et l’emmenait avec lui dans le gouffre.

— Va-t’en, mon garçon, entendit-il Kota crier dans son esprit. Poursuis ta mission. Il y a des choses que tu n’es pas prêt à affronter.

Il cligna des yeux. Ces mots appartenaient à un souvenir, ce n’était pas une instruction du général. Il n’était pas prêt à obéir à des ordres venant du passé, surtout quand il n’y avait pas obéi la première fois.

— Il n’y a rien que je ne puisse affronter, pensa Starkiller.

Il lâcha la console, se mit à courir et sauta par la fenêtre brisée.

Il fut surpris de voir comme le Gorog était déjà tombé bas dans la bouche béante du gouffre, mais il refusa de se laisser décourager. Il plongea en ligne droite, faisant appel à la Force pour accélérer sa chute. Le vent fouettait son visage. Il se rappelait avec clarté son ancien moi dégringolant à la surface de l’Etoile Noire inachevée et, avec ce souvenir, lui revint la sensation des lèvres de Juno sur les siennes. Il fut rempli de désir pour elle, ce qui le fit chuter encore plus rapidement.

La peur et la rage du Gorog dégageaient une odeur pestilentielle tandis qu’il s’approchait. La bête tombait à pic. Le poing qui tenait Kota apparut une première fois devant les yeux de Starkiller, puis une seconde fois. Le général tentait en vain de taillader les doigts qui le maintenaient serré.

Starkiller devait le libérer avant qu’il ne soit à bout de forces et réduit en purée.

Il sélectionna son point d’atterrissage avec une extrême précaution. Il se posa sur le dos de la bête, assez près d’un des chaînons en duranium pour s’y accrocher. Il se releva, ignorant l’univers qui tournoyait autour de lui. Le Gorog ne l’avait pas remarqué : il ne s’attendrait pas à une attaque venue de ce côté.

Il inspira avec calme, puisant plus profondément encore dans la Force. Il n’avait jamais voyagé au centre d’une planète où le métal fondu bouillonnait et brûlait sous l’effet d’une pression assez forte pour transformer la poussière en diamant, mais il imaginait quelque chose de très semblable. Cette fois, il ne se contenterait pas de mettre le Gorog en fureur. Il sentait le réseau de veines battre à un rythme effréné sous sa peau. Il se concentra sur ce rythme et sur les rapides pulsations de vie qui s’éteindraient quand la bête atteindrait le fond du gouffre. Pourquoi attendre alors que la vie de Kota était en jeu ?

Il hésita un moment. Il n’avait jamais rien tué d’aussi gros.

Mais ce n’était qu’une simple vie et elle constituait un obstacle entre lui et son but.

Il n’avait pas le choix.

Au lieu d’un simple éclair, il déchargea une boule de foudre dans la chaîne de métal. Elle traversa profondément la poitrine de la créature, droit vers son cœur.

La bête arqua le dos. Un cri étrange et aigu s’échappa de sa bouche.

Starkiller surmonta le spasme en maintenant le choc électrique aussi longtemps que possible. Des vagues musculaires roulaient d’avant en arrière, le balançant d’un côté à l’autre. On aurait dit un tremblement de terre : un tremblement de chair à l’intérieur d’un monstre de la taille d’une planète.

Les pulsations qui traversaient les semelles de ses bottes s’affolèrent, diminuèrent puis cessèrent.

Starkiller s’affaissa quand la montagne de chair fut enfin inerte. La bataille était terminée mais l’obscurité les enveloppait et ils poursuivaient leur chute libre dans le gouffre.

Starkiller utilisa des creux dans la peau de la créature pour remonter jusqu’à l’épaule puis pour redescendre jusqu’au bras inerte qui avait retenu Kota prisonnier. Le général s’accrochait au pouce distendu, la tête inclinée comme s’il regardait défiler les parois du gouffre. Il cria un salut par-dessus le bruit du vent qui soufflait.

— J’espère que tu as un moyen de nous faire sortir d’ici, mon garçon.

Starkiller plaça un bras autour des épaules de Kota. Ensemble, ils sautèrent depuis la main du Gorog. Starkiller parvint à ralentir un peu leur chute mais il ne pouvait pas voler. La bête tombait devant eux. Il espérait, contre tout espoir, qu’elle amortirait peut-être un peu leur impact.

— Si tu portes un comlink, lui dit Kota, donne-le-moi.

Starkiller s’exécuta, même si cet espoir était bien maigre.

— Toute la ville est bloquée.

Kota appuya sur des boutons du comlink.

— Espérons qu’elle nous rejoigne à temps.

Le cœur de Starkiller s’accéléra. Elle ?

Il regarda dans l’ombre en se demandant quelle profondeur le gouffre pouvait bien avoir. Au-dessus de lui, il ne voyait que le cercle de plus en plus petit de la ville. Il le regarda jusqu’à ce qu’il soit occulté par quelque chose de massif. Il pensa reconnaître la silhouette. Le grondement du moteur d’un vaisseau résonna dans le gouffre et les contours familiers du Rogue Shadow plongèrent jusqu’à eux puis les dépassèrent pour les intercepter par-dessous.

Starkiller avait invoqué la Force pour amortir leur chute mais ils frappèrent violemment la coque du vaisseau. Starkiller cligna des yeux car sa vision était parsemée d’étoiles. Puis il laissa échapper un grognement de douleur en sentant enfin le retour de la gravité.

Kota n’allait guère mieux, il agrippait son épaule et essayait de s’asseoir. Une écoutille s’ouvrit près d’eux et le vieil homme fit signe à l’ancien apprenti de Vador de passer devant lui.

Starkiller était déjà en route. Tout son être frissonnait à la certitude que Juno serait enfin là. Il pouvait déjà pratiquement la voir, qui attendait son arrivée au poste de pilotage, prête à lui adresser une plaisanterie sur le fait qu’il était en retard à son propre enterrement.

Il se laissa tomber par l’écoutille et courut jusqu’au cockpit.

— Juno !

Il s’arrêta net. Le cockpit était vide. Pour seule réponse, il entendit un fantôme de sa voix, qui s’adressait à lui des profondeurs de sa mémoire :

— S’il te plaît, ne m’oblige pas à tout reprendre à zéro, encore une fois.