CHAPITRE 11

Le trajet de Dagobah à Malastare était relativement court mais sembla durer une éternité. Pendant que le Rogue Shadow était en hyperespace, Starkiller n’avait rien de mieux à faire que ruminer et s’inquiéter. Il faisait les cent pas d’un bout à l’autre du vaisseau, tournant et retournant dans son esprit tout ce qu’il avait vu ou ressenti sur la planète marécageuse qu’il venait de quitter.

— Il a une bonne longueur d’avance.

— Nous sommes envahis. Des stormtroopers montent à bord !

Juno morte dans ses bras.

— Ce que tu as vu, le suivre, tu dois.

Il s’était rendu sur Dagobah en quête d’éclaircissements et il n’avait obtenu que des visions et des conseils énigmatiques. Était-il plus proche de Juno ou s’éloignait-il ? Parviendrait-il à la sauver ou était-elle déjà morte ?

La Force reflétait son tourment intérieur et émettait des frissons et des secousses ponctuels à travers le vaisseau. Il fit de son mieux pour se calmer. Si son humeur perturbait les systèmes de survie ou l’hyperpropulseur, il risquait de ne jamais arriver sur Malastare.

Le navordinateur finit par sonner pour l’avertir que sa destination approchait. Il quitta la chambre de méditation et rejoignit au plus vite le siège de pilotage. Il empoigna les commandes. Au moment où les étoiles de l’espace réel cessèrent de former des traînées, il avait mis le vaisseau à plein régime et se dirigeait à toute vitesse vers la planète à forte gravité.

Starkiller ne s’était rendu qu’une fois à Port Pixelito, alors qu’il était au service de Dark Vador. Sa cible était un aide Impérial traître qui avait accumulé des dettes de jeu aux courses de pod. Il s’en était chargé rapidement alors qu’il n’en était encore qu’aux débuts de son apprentissage. Déguisé et flanqué de PROXY, il avait infiltré les installations de sécurité sans se faire repérer, puis s’était introduit dans le serveur central pour repérer sa cible. Il avait ensuite rampé dans des conduits de ventilation jusqu’à se trouver au-dessus de ses appartements privés. Il l’avait étranglé à l’aide de la Force alors qu’il travaillait à son bureau. Sa fuite avait été aussi simple. Il était persuadé qu’aujourd’hui encore personne ne savait ce qui s’était vraiment passé ce soir-là.

La planète lui rappela des souvenirs de son premier pilote, un vieux sergent renfrogné qui parlait peu et pilotait le Rogue Shadow comme si c’était une barge à minerais. Comme l’aide assassiné, il n’avait pas fait long feu. Quand on travaillait pour Dark Vador, aucun retard n’était toléré. Cette mission s’était déroulée cinq ans plus tôt, mais le Starkiller de l’époque lui paraissait tellement loin. Tant de choses avaient changé depuis. Déjà, il était mort au moins une fois…

La foule au sol chassa la nostalgie de son esprit.

Les spatioports étaient généralement chaotiques mais celui-ci battait tous les records. Depuis l’effondrement du contrôle Impérial, toutes sortes d’êtres traînaient dans les rues, libres d’accomplir leurs rêves ou d’assouvir leurs envies, quels qu’ils soient. Starkiller maintenait sa garde en alerte et avait les sens en éveil. Il cherchait Kota. Le vieil homme avait dit qu’il se rendrait ici après Commenor, et il était bel et bien arrivé. Starkiller aurait reconnu n’importe où ce mélange unique de colère et de self-control.

La piste le conduisit jusqu’à un marché et, de là, à un atelier de réparations de machines. Une couverture, supposait-il. Kota était très proche à présent. Starkiller pénétra à l’intérieur. La boutique semblait parfaitement innocente. Tout y était banal, depuis les monceaux de pièces détachées jusqu’au Gran à trois yeux en faction derrière le comptoir. Mais, derrière la façade, Starkiller devinait quelque chose de très différent.

— Le Jedi, dit-il exactement comme il l’avait dit sur Cato Neimoidia. Où est-il ?

— Pas de Jedi ici, dit le Gran en clignant ses yeux l’un après l’autre, de droite à gauche. Vous avez quelque chose à réparer ?

— Je ne suis pas un client.

Il leva la main et la passa devant le visage du Gran.

— Tu vas me montrer le chemin.

Le Gran ne pouvait résister à la Force. La suggestion de Starkiller était aussi implacable que la gravité, et l’urgence la rendait plus irrésistible encore. Le Gran indiqua les étagères d’un air hésitant. Aucune porte n’était visible. Starkiller n’avait pas la patience de jouer aux devinettes, surtout pas quand la vie de Juno était en péril.

Il fit face au mur et effectua une poussée de Force, doucement d’abord puis avec plus d’insistance. Des pièces de machines se mirent à vibrer et à trembler. Du verre se brisa. Avec un grognement et un grincement de métal, une section du mur bascula en arrière.

Il y eut un mouvement derrière l’étagère. Quelqu’un lui tirait dessus. Il dévia les tirs vers le sol sans effort et sauta dans le trou en envoyant voler autour de lui ce qui semblait être une montagne de pièces détachées.

Un sabre laser vert apparut devant lui. Il le bloqua avec les deux siens. Dans la lumière mélangée de leurs lames, il reconnut le visage de Kota, et Kota reconnut le sien.

Le général tressaillit de surprise.

— Quel est ton problème, mon garçon ? demanda-t-il en désactivant son arme et en reculant. Tu aurais pu frapper !

— Je suis pressé.

Starkiller garda un sabre laser allumé.

L’espace était vaste et encombré, et le désordre qu’il avait ajouté avec son entrée spectaculaire n’améliorait pas les choses. Il n’avait pas encore repéré celui qui lui avait tiré dessus avec un blaster.

— Il faut que je trouve la flotte de l’Alliance.

— Tu as changé d’avis alors ?

— Je ne dirais pas ça. La flotte est sur le point d’être attaquée. Je dois empêcher à tout prix que cela se produise.

— Il y a beaucoup de personnes qui cherchent la flotte en ce moment, dit une voix sortie de la pénombre. Et ce ne sont pas tous des amis.

Starkiller se retourna. Un homme large d’épaules émergea dans la lumière. Il tenait une arme d’énergie pointée dans sa direction. Sa démarche était inhabituelle : chacun de ses pas émettait un étrange bruit métallique. Quand il s’approcha, Starkiller comprit pourquoi.

Il n’avait plus de jambes. Elles étaient remplacées par trois prothèses à multiples articulations, terminées par des « pieds » en caoutchouc. Il se déplaçait avec une grâce compliquée qui n’avait rien à voir avec la façon dont les humains ordinaires marchent.

— Qui êtes-vous ?

— Je suis le réparateur, dit-il. Mon nom est Shyre. Et le vôtre ?

— Je n’en ai plus. C’est un problème ?

— Ça dépend. Vous vous portez garant de lui, général ?

— Oui.

— Il fait partie de votre nouvelle escouade ? Un espion, peut-être ?

— Pas exactement.

— Alors comment sait-il que la flotte est sur le point d’être attaquée ?

— C’est une longue histoire, dit Starkiller.

— Je suis tout ouïe.

— J’ai eu une vision, expliqua-t-il en s’adressant à Kota.

Il se moquait de ce que pensait Shyre.

— La flotte était près d’une nébuleuse que je n’ai jamais vue auparavant. Elle était prise par surprise. Plusieurs chasseurs sont venus à bout des défenses. Le vaisseau de Juno a été touché. Elle a été blessée. Puis je l’ai vue mourir.

— Juno ? demanda Shyre en baissant son arme.

Starkiller le regarda.

— Je ne sais pas si ce que j’ai vu s’est déroulé dans le passé ou va se produire dans le futur, mais chaque seconde où vous me retardez m’empêche de tenter de sauver la situation.

— Elle était ici hier, dit Shyre. Je lui ai dit où trouver la flotte. Elle est stationnée juste à côté de la Nébuleuse Itani.

— Merci, dit Starkiller en désactivant son sabre laser. C’est tout ce que je voulais savoir.

Il se tourna pour partir mais Kota lui barra la route. L’armure du général était toujours abîmée et couverte de taches de sang, mais il avait retrouvé sa force et sa confiance en lui.

— Pas si vite, mon garçon. Comment sais-tu que ce n’est pas un piège ?

— Ça pourrait en être un, admit-il. Vador me traque. J’ai vu cela aussi.

— Et si la vision était fausse ? Tu devrais au moins réfléchir avant de partir à l’attaque tout seul.

Starkiller comprit que ces paroles avaient du sens. Il y avait des incohérences dans ce qu’il avait vu, qui le tracassaient depuis Dagobah. Aussi douloureux qu’aient été les événements qu’il avait vus, il se força à les passer en revue à la recherche d’indices. S’il s’agissait de faux, peut-être les autres visions étaient-elles fausses aussi.

— Elle était capitaine d’une frégate, ajouta Starkiller, mais vous me l’aviez dit. Je n’ai eu qu’un bref aperçu des instruments. On aurait dit un Nébulon-B. Il s’appelait le Salvation.

Kota hocha la tête.

— C’est bien son vaisseau.

— Son commandant en second était d’une espèce non-humaine.

— Bothan.

— Mais j’ai vu PROXY, dit-il. Ce n’est pas possible, si ?

— Bail Organa et elle ont trouvé ton droïde sur Corellia. Elle doit l’avoir remis en marche.

Kota et Shyre échangèrent des regards.

— Ça semble bien réel, conclut Shyre. Alors qu’allons-nous faire ?

— Vous n’allez rien faire, dit Starkiller. Je m’en charge.

— Tu n’arriveras pas à un parsec de la flotte sans moi, l’avertit Kota. Tu n’as pas les codes d’autorisation.

— Alors, donnez les moi.

— Es-tu prêt à t’exposer comme cela ? As-tu bien réfléchi à ce qui se passera si tu débarques en plein milieu de la flotte comme si tu n’étais jamais parti ?

Starkiller n’y avait pas réfléchi mais il commençait à le faire maintenant. Si la Rébellion était aussi divisée que Kota l’avait dit, et si Kota avait parlé à qui que ce soit des Jedi assassinés par Starkiller, alors son arrivée serait comme une bombe anti-matière qui détonnerait au milieu des Rebelles. Cela prendrait peut-être des mois pour que les morceaux se remettent en place, s’ils se remettaient jamais. Se ruer risquait de mettre Juno encore plus en danger à long terme.

— D’accord, dit-il. Vous venez avec moi.

— Si je viens, mon escouade m’accompagne. Je vais les appeler, ils seront prêts à décoller dans l’heure.

— Je ne sais pas…

— Combien de vaisseaux as-tu comptés dans ta vision ?

— Sept, peut-être huit.

— Laisse mon équipe s’en occuper pendant que tu cherches Juno. Ils ont besoin d’un peu d’action pour tisser des liens entre eux. Et pour cela, rien de tel qu’un bon affrontement avec les Impériaux.

Kota tendit la main et Starkiller, résigné et convaincu par le bon sens du général, la serra.

— Vous agissez vite, vieil homme.

— Si tu restes trop longtemps sans bouger, tu es mort.

Kota quitta l’atelier pour appeler son escouade, laissant momentanément Starkiller avec le réparateur.

Shyre le regardait avec une drôle d’expression sur le visage.

— C’est vous, dit-il.

Un frisson parcourut l’échine de Starkiller.

— Vous qui ?

— Juno m’a parlé de vous. Vous avez volé ensemble. Elle m’a dit qu’elle…

Une expression triste traversa le visage de Shyre.

— Elle m’a dit que vous étiez mort.

Starkiller n’hésita pas. Il n’avait pas besoin que des gens parlent de lui derrière son dos, pas quand Dark Vador envoyait des chasseurs de primes dans toute la galaxie à sa recherche. Un mot dans la mauvaise oreille pouvait causer un bien plus grand désastre que celui qu’il essayait de prévenir.

Il fit trois pas en direction de Shyre et leva la main gauche.

— Tu ne me connais pas, dit-il.

Le réparateur se raidit et sa voix prit un ton distant.

— Je ne vous connais pas.

— Je ne suis jamais venu ici.

— Vous n’êtes jamais venu ici.

— Kota et Juno non plus.

— Kota non plus.

— Ni Juno.

Les mâchoires de Shyre articulèrent :

— Ni Juno.

— Très bien. Tu as pas mal de nettoyage à faire, tu ferais bien de t’y remettre.

— D’accord. Bon, le nettoyage m’attend. Je crois que je ferais bien de m’y remettre.

Starkiller relâcha son emprise. Shyre se retourna et se mit à la recherche d’un balai. Starkiller l’abandonna à sa lâche.

L’escouade de Kota possédait un vaisseau, un transport Ghtroc 630 modifié qui avait pris part à bon nombre d’accrochages avec l’Empire à en juger par les marques de carbone sur la coque et les moteurs un peu tordus. Kota demanda à son équipage de rejoindre le vaisseau à une dizaine de points d’ancrage du Rogue Shadow. Starkiller ne voulait pas les rencontrer mais Kota avait insisté :

— Le médecin, au moins. Il a quelque chose à te dire.

Starkiller accepta à contrecœur de l’écouter. Ils trouvèrent un coin tranquille dans une cantina enfumée, où ils pouvaient parler tous les trois en privé.

— Ni-Ke-Vanz, dit le médecin pour se présenter.

C’était un Céréen qui parlait à toute vitesse, il avait le crâne en forme de dôme très haut et des sourcils incroyablement sophistiqués. Ceux-ci se levaient et rabaissaient rapidement pendant qu’il parlait, apportant un contrepoint visuel à ses paroles.

— Kota m’a dit que vous vouliez fabriquer un clone.

Starkiller n’était pas au courant mais il devinait où mènerait cette conversation.

— Vous savez comment on s’y prend ?

— Pas qu’un peu. J’ai travaillé pendant cinq ans avec un Khommite. Ce sont des experts dans ce domaine.

— C’était où ?

— Sur Kessel.

— Je ne savais pas qu’ils avaient des usines de clonage là-bas.

— Ils n’en avaient pas, précisa Ni-Ke-Vanz. Nous étions esclaves.

Évidemment. Starkiller lui fit signe de continuer.

— Les Khommites se clonent depuis un millier d’années et ils sont passés maîtres dans l’art du clonage. C’est le pilier de leur culture. Ils reproduisent certaines lignées pratiquement à l’infini : celles qui sont douées pour enseigner les arts, la politique, etc. En gros, chaque lignée est la même personne multipliée plusieurs fois. Sur toute la planète, il y a peut-être une dizaine d’individus originaux seulement. Le reste n’est que des répétitions à l’infini d’une génération à l’autre.

— Ce n’est pas le genre de chose que je recherche, dit Starkiller.

— Je sais, je sais. Vous recherchez l’immortalité, comme tous ceux qui s’intéressent aux clones. C’est soit ça, soit une armée, et même l’Empereur a compris que ça ne marchait pas à long terme. C’est trop cher et trop dangereux. Une armée composée du même soldat est soit cent pour cent loyale, soit cent pour cent contre vous. Quand l’ennemi n’a qu’un esprit à convaincre, la situation est rapidement critique.

Je ne veux pas d’armée, lui assura Starkiller. Dites-moi ce que je dois savoir.

— Vous devez savoir que le clonage ne vous rendra pas immortel non plus.

— Pourquoi pas ?

— Ils n’ont jamais réussi à régler le problème de la mémoire. Pas même les Khommites. Chaque clone qu’ils fabriquent est une nouvelle personne, basée en grande partie sur l’original mais qui possède toujours son identité et ses manies propres. Ils ne pensent jamais qu’ils sont la même personne, juste des versions différentes du même modèle. Et ça, ce n’est pas ce que l’on peut appeler l’immortalité. Désolé.

— Je me suis souvent demandé, intervint Kota en se penchant en avant pour se joindre à la conversation, pourquoi nous, les Jedi, n’avons jamais été clonés après l’Ordre 66. Nous n’étions plus très nombreux. Pourquoi n’avons-nous pas pris ceux qui restaient pour en créer d’autres ? Cela n’aurait pas eu d’importance tant que nous ne pensions pas être la même personne. Cela n’aurait pas été nécessaire du moment que nous pouvions nous battre.

— Alors là, c’est un autre problème.

Ni-Ke-Vanz se pencha en avant à son tour. Ses sourcils s’animèrent plus encore.

— Voyez-vous, l’autre chose que personne n’a jamais réussi à copier, c’est la sensibilité à la Force. Pire encore, cela entrave le processus de clonage. Nous ne savons pas ni comment ni pourquoi, mais cela l’entrave. Les Khommites sont conscients de ce problème et ils font leur possible pour l’éliminer.

La surprise de Starkiller devait se lire sur son visage car le médecin hocha la tête avec emphase.

— Oui, vous avez deviné : ils éradiquent la sensibilité à la Force. Vous vous rendez compte ? Ça vous donne idée de l’importance du problème.

— Et que se passerait-il si on essayait tout de même de cloner quelqu’un de sensible à la Force ?

Ni-Ke-Vanz se renfonça dans son siège, son visage affichait une expression désespérée.

— Des choses affreuses. Folie. Psychoses. Tendances suicidaires. Qui voudrait d’un fou furieux sensible à la Force lâché dans son labo ? Personne.

— Non, personne, acquiesça Starkiller en pensant à Kamino et aux dégâts qu’il avait laissés derrière lui.

— Désolée, dit Ni-Ke-Vanz en interprétant son humeur maussade comme de la déception. On dirait que vous allez devoir survivre à la guerre avec nous.

— Ce n’est pas… commença-t-il à objecter. Puis il se ravisa.

— C’est cela. Qui n’essaie rien n’a rien. Je suppose que je ferais bien de m’y habituer.

Ils quittèrent la cantina et retournèrent aux vaisseaux. Starkiller laissa Kota organiser son escouade, il ne s’intéressait pas particulièrement à la bande de mercenaires ou d’aspirants héros qu’il avait rassemblés en une journée à peine. Ils seraient peut-être utiles pour prévenir le mal qui serait fait à Juno – et Starkiller serait ravi de les employer à cet effet – mais il doutait que leur collaboration s’étende au-delà de la fin de la mission, quelle que soit son issue.

La voix de Juno s’adressa à lui depuis sa mémoire.

— On peut s’entraider.

— Personne ne peut m’aider.

— Je ne crois pas que tu penses vraiment ce que tu dis. Je crois que tu as simplement peur de me laisser essayer.

— C’est vraiment ça que tu penses ? J’ai peur de toi ?

Cette suggestion lui avait alors semblé absurde mais plus maintenant. La simple évocation de Juno avait un effet profond sur lui. Il se débarrasserait de centaines d’Empereurs pour elle, s’il le fallait. Il n’y avait rien qu’il ne soit prêt à sacrifier. Pas même la Rébellion que le Starkiller original avait créée.

C’était une pensée vraiment effrayante qu’il prenait garde de ne pas révéler à Kota.

Les moteurs étaient chauds et prêts à décoller quand le général gravit la rampe d’accès et rejoignit le pont.

— Tu n’as pas l’air rassuré, fit remarquer Kota en prenant la place du copilote.

— Je devrais ?

Le Rogue Shadow s’éleva dans un grondement plus fort que d’habitude tandis que les répulseurs luttaient contre la gravité intense de la planète. Starkiller orienta le nez du vaisseau vers le haut et le dirigea vers le ciel. Le hurlement des propulseurs rendait temporairement toute conversation impossible.

Le bleu céda la place au noir et les premières étoiles apparurent. Starkiller évita le trafic orbital intense et n’attendit pas le transport de l’escouade. Ils les rejoindraient de l’autre côté.

L’espace s’étendit et se déchira. Le Rogue Shadow sauta dans l’hyperespace et entama son vol en direction de la Nébuleuse Itani.

— Bien sûr que tu devrais te sentir rassuré, reprit Kota avec une insistance qui n’aurait pas dû le surprendre.

Cela faisait plus de quinze ans que l’Empereur et ses subalternes traquaient les Jedi. Il fallait un caractère bien trempé pour survivre aussi longtemps en pareilles circonstances.

— Tu es en route pour voir Juno, disait Kota. Tu as des renforts. Et la meilleure nouvelle de toutes, c’est que tu sais à présent que tu ne peux pas être un clone.

— Alors pourquoi n’avez-vous dit à personne que j’étais de retour ?

— Comment le sais-tu ?

— Parce que le réparateur n’était pas au courant. Et d’après ce qu’il a dit, Juno n’est pas au courant non plus.

— Eh bien, je pense que c’est à toi de décider à qui tu le dis et à qui tu ne le dis pas.

— Quand nous étions dans le système Athega, vous avez dit que c’était à l’Alliance de décider.

— Peut-être que tu m’as convaincu de ne pas m’en mêler jusqu’à ce que tu sois prêt. Il y a déjà trop de gens désorientés qui dirigent cette Rébellion. Tu veux dire qu’à présent tu te sens prêt ?

Il sonda ses sentiments.

— Non. Pas tant que Juno ne sera pas en sécurité.

— Et elle aura probablement besoin de te voir de ses propres yeux, sinon elle ne croira pas que tu es vraiment revenu.

— Je vous le répète, Kota : je ne suis pas lui.

Le regard aveugle du général était incrédule.

— Tu en es encore convaincu, même après tout ce qu’a dit Ni-Ke-Vanz ?

— Il ne nous a pas vraiment dit grand-chose.

— Seulement que les Jedi clonés ne pouvaient pas exister.

— N’ont jamais existé par le passé. C’est très différent.

— Les Khommites sont confrontés à ce problème depuis mille ans ! Tu penses que Vador l’a résolu du jour au lendemain ?

— Avec l’aide des Kaminoens peut-être. Ou ils ne l’ont pas résolu et je suis aussi fou que je crois l’être parfois.

— Tu ne parais pas plus fou qu’avant.

Kota ne blaguait pas.

— Un peu plus obsessionnel, peut-être, mais qui te jetterait la pierre ? Tu l’aimes. C’est bien naturel de vouloir la sauver.

Tu l’aimes.

Starkiller ne put rien répondre pendant un moment. Ces trois mots le touchèrent plus qu’il n’aurait pu s’y attendre. Pas uniquement parce que c’était Kota qui les prononçait : Kota, le soldat professionnel bougon qui n’avait jamais montré la moindre d’émotion en présence de Starkiller. Mais surtout parce que la phrase était au présent et pas au passé et parce qu’il s’agissait de lui-même.

Il y avait un monde de différence entre Juno, la femme qu’il aimait, et Juno, la femme que Starkiller avait aimée.

Bizarrement, cela ne fit que rendre son humeur plus morose encore. Avait-il le droit d’aimer quelqu’un s’il était un clone ? Elle avait aimé l’original, pas lui. Et si elle le rejetait ? Et si elle avait oublié l’original et qu’il n’y avait pas de place pour lui dans sa vie maintenant ? Elle était capitaine de l’Alliance Rebelle, elle avait des devoirs, des responsabilités, du personnel, des horaires. Elle ne pouvait pas tout abandonner pour s’enfuir avec lui… Et il n’y avait aucune garantie que le reste de la Rébellion l’accepterait s’il voulait rester.

Qui voudrait d’un fou furieux sensible à la Force lâché dans son labo ?

Reconnaître qu’il était un clone psychotique indigne de Juno ou de la Rébellion était sans doute plus raisonnable que croire qu’il était le véritable Starkiller revenu d’entre les morts, sans qu’on sache comment.

Pour tuer à nouveau.

Kota se leva de son siège et ouvrit un petit compartiment dans le mur. Il farfouilla à l’intérieur pendant un moment puis sa main droite ressortit, serrant un objet entre ses doigts. Il revint aux côtés de Starkiller et ouvrit la main pour montrer ce qu’il avait été chercher : deux cristaux, aussi bleus que les yeux de Juno.

— Où avez-vous trouvé ça ? demanda Starkiller.

— Des vestiges de la Guerre des Clones. Aucune importance. Ce qui compte, c’est qu’ils t’appartiennent si tu les veux.

Kota tendit la main vers Starkiller, qui n’avait pas fait le moindre geste pour s’emparer des cristaux.

— Est-ce que cela signifie que vous pensez que je ne suis pas un clone ? demanda-t-il.

Le général poussa un soupir.

— Franchement ? Je n’en sais rien. Mais je commence à penser que cela n’a pas d’importance.

À nouveau, les yeux aveugles se posèrent sur lui mais, pour une fois, ils révélèrent plus sur Kota que sur ce qu’il regardait. Starkiller sentait la haine s’agiter en lui, aussi puissante qu’autrefois. C’était une partie de lui avec laquelle il avait appris à vivre, comme sa cécité. Parfois, cela lui donnait de la force ; parfois, c’était un handicap. Starkiller ne pouvait imaginer sa situation après l’Ordre 66, quand il avait dû mettre en balance le besoin de survivre contre l’obligation absolue de tout Chevalier Jedi : ne jamais succomber au Côté Obscur.

La haine de Kota était dirigée contre l’Empereur mais sa cible était Dark Vador. Starkiller ne savait pas pourquoi. Il y avait probablement un millier de raisons, des raisons que Kota lui-même ne révélerait jamais ou sur lesquelles il ne s’étendrait jamais en tout cas. Le général n’était pas du genre à vivre dans le passé ou à se tracasser pour les moyens tant que la fin était en vue. Pour lui, le retour de Starkiller était une occasion de s’attaquer à Dark Vador, exactement comme, pour Starkiller, Kota était un moyen de retrouver et de sauver Juno.

Tu l’aimes.

Certaines obsessions valaient la peine. Starkiller prit les cristaux et se rendit dans la chambre de méditation à la recherche d’une paix qu’il pensait que le général ne trouverait jamais.

Ils furent accueillis sur Nordra par un détachement de la flotte et reçurent les coordonnées dont ils avaient besoin. Kota posa des questions sur le trafic récent. Il y en avait eu un peu mais rien de suspect. Juno elle-même était passée la veille.

Starkiller sentit tous ses espoirs et toutes ses craintes grandir à cette simple confirmation. Elle était proche, si proche. Bientôt, il serait avec elle. Ce qui se passerait ensuite, seul le temps et le destin le révéleraient.

Le transport de l’escouade n’était pas loin derrière le Rogue Shadow. Malgré ses moteurs de travers, il était apparemment parfaitement capable de s’en sortir. Le convoi de deux vaisseaux se dirigea vers la nébuleuse, les scanners prêts à détecter la moindre anomalie. Lentement, la vue kaléidoscopique se mit à changer devant eux.

— Cela prend trop de temps, décréta Starkiller, les dents serrées. J’utilise l’hyperpropulsion.

— L’ombre de masse de la nébuleuse…

— Je m’en fiche !

Ses mains pianotèrent sur les commandes.

— Les autres peuvent effectuer le trajet normal si vous préférez.

— Ils ont intérêt. Aucun d’eux n’est aussi bon pilote que toi.

Starkiller accueillit le compliment avec un bref hochement de tête.

Quand le navordinateur fut prêt, il s’assit pendant un moment, les mains immobiles sur les commandes.

— J’ai réfléchi au sujet de l’Alliance, dit-il lentement.

— Au sujet de ta place ?

Il secoua la tête négativement.

— À propos de ce qu’elle devrait faire ensuite. Si je vous donne les coordonnées de navigation et les plans d’une usine de clonage secrète sur Kamino, tout ce qu’il faut pour lancer une attaque victorieuse, est-ce que cela contribuera à ce qu’ils aient de nouveau confiance en moi ?

Kota rumina cette information.

— L’usine où Vador affirme que tu as été fabriqué ?

— Si ses affirmations sont vraies, alors Kamino constitue une menace bien plus importante que n’importe quelle fabrique ordinaire de stormtroopers.

— Peut-être. Mais l’Alliance ne pourrait pas réussir une attaque pareille sans ton aide.

— Il le faudra, dit-il.

Il activa les propulseurs. L’espace réel forma des traînées, s’étendit et disparut dans la lumière paradoxale de l’hyperespace.

— Ils ne me font pas encore assez confiance pour diriger une opération de toute façon.

— Moi, si.

— L’Alliance ne se limite pas à vous et votre milice, Kota.

Loin d’être vexé, le général sourit.

— Si ce que tu as vu se produit, tu seras content que nous soyons à tes côtés.

Starkiller l’admettait mais il n’avait pas changé d’avis. À en juger par ce qu’il avait appris de Kota, l’Alliance n’avait pas besoin d’un nouveau venu pour la mener à la bataille. Elle avait besoin de trouver un commandement fort parmi les chefs qu’elle avait déjà.

Le vaisseau trembla, perturbé par la masse largement distribuée de la nébuleuse. Starkiller s’agrippa à la console et ordonna au vaisseau de voler droit par la simple force de sa volonté. Il fallait que ça marche. Il devait arriver à temps. Il n’y avait tout simplement pas d’autre possibilité.

Le Rogue Shadow bondit hors de l’hyperespace, secoué en tous sens. Il corrigea la trajectoire automatiquement, mit les rétromoteurs en marche tout en cherchant la flotte avec les lunettes. Le ciel était un fouillis de gaz brillant et de lumières. Les scanners repérèrent deux petits champs d’astéroïdes, une protoétoile distante avec une seule géante gazeuse et, enfin, quelques vaisseaux stellaires disséminés.

Il approcha le vaisseau, les moteurs à ions poussés à fond.

— Pas de signe d’attaque, dit-il.

— Reste sur tes gardes, le prévint Kota. Un aperçu du futur aussi fort que celui que tu as vécu se trompe rarement.

La flotte grossissait et plus de détails apparurent à travers la baie du cockpit. Starkiller examina les vaisseaux à la recherche de celui qu’il espérait voir. Il reconnut le Salvation plus par instinct que par souvenir. Comme toutes les frégates Nébulon-B, le vaisseau était lourd à l’avant et léger à l’arrière : une épine dorsale relativement fine connectait les deux parties. Les moteurs et les réacteurs étaient à l’arrière ; le commandement et les quartiers de l’équipage à l’avant, près des communications principales et des batteries de senseurs. Le Salvation semblait vieux mais bien entretenu, c’était un exemplaire fiable qui avait trouvé un bon foyer auprès de l’Alliance Rebelle.

Le Salvation n’était ni le plus imposant ni le plus récent des vaisseaux de la flotte. Mais Juno était à bord. Il en était sûr. Il l’avait enfin retrouvée.

— Rogue Shadow, dit une voix dans le com, s’il vous plaît transmettez vos codes d’atterrissage.

Starkiller se figea en apercevant quelque chose sur le flanc de la frégate qui approchait.

— Que se passe-t-il, mon garçon ?

Il parvint juste à indiquer du doigt les armoiries qui ornaient le Salvation et tous les vaisseaux de la flotte. Il ne les avait vues qu’une fois, sur Kashyyyk, mais il les reconnaissait. Elles faisaient partie intégrante de la vie que Dark Vador lui avait volée quand il était enfant.

— Les armoiries de ma famille, dit-il. Elles sont… partout.

— Oui, confirma Kota en tapotant son armure.

Starkiller réalisa alors que le même symbole était imprimé là aussi, dissimulé sous l’épaisse couche de boue.

— Je suppose que j’aurais dû t’en parler.

— Qu’est-ce que cela signifie ?

— Que tu fais partie de l’Alliance Rebelle, que tu le veuilles ou non.

— Rogue Shadow, répéta la voix en provenance de la flotte, vos codes d’atterrissage, immédiatement.

Quatre Ailes-Y filaient dans leur direction… Pour les escorter ou les intercepter ? se demanda Starkiller encore sous le coup de la surprise.

Kota se pencha et appuya sur un bouton du comlink.

— Ici le général Rahm Kota, annonça-t-il, je demande la permission d’arrimer le Rogue Shadow au Salvation. Autorisation Talus Haroon Dix Onze Trente-huit.

La voix ne répondit pas tout de suite. Quand elle le fit enfin, la surprise était perceptible.

— Les codes sont exacts. C’est bon de vous retrouver, général. Vous pouvez vous poser.

Les Ailes-Y s’éloignèrent.

— Si tu me donnes les coordonnées sur Kamino, dit Kota, je ferai le nécessaire.

Starkiller se pencha en avant et observa le Salvation par la baie vitrée. Les armoiries peintes sur la coque planaient au-dessus de lui comme une ombre.

Il entendit la voix de son père, des profondeurs de sa mémoire.

— Je n’ai jamais voulu ça pour toi.

Il sentit que les derniers morceaux se mettaient en place, que les derniers trous se refermaient. Il était là, sur le point de revoir Juno, et son esprit était intact. Peu importe qui il était, peu importe d’où il venait, il était entier.

Il espérait seulement, contre tout espoir, que cela suffirait.