CHAPITRE 4

Deux jours plus tôt…

Juno découvrit rapidement que la lune de Dac était aussi peu intéressante que son nom le laissait entendre. C’était un rocher gris, sans air, lié par les marées à la planète sous-marine autour de laquelle il orbitait. Sa face cachée contemplait éternellement l’étendue étoilée. En attendant l’envoyé d’Organa, Juno avait passé plusieurs heures à observer les étoiles et les points à peine perceptibles qui indiquaient que des vaisseaux entraient ou sortaient du système Mon Calamari. Elle commençait à se dire qu’il ne viendrait pas.

— J’ai terminé de scanner le contrôle du trafic de Dac, annonça PROXY. Il n’est pas fait mention d’un ou de plusieurs vaisseaux soupçonnés d’appartenir à l’Alliance Rebelle. On ne parle pas d’interception ou de quoi que ce soit de ce genre.

Juno tapota avec irritation les commandes de l’Intercepteur R-22 à deux places qu’on avait mis à sa disposition dans le hangar où le Solidarité était stationné. Combien de temps devait-elle attendre avant de conclure que cette mission était une perte de temps et de l’abandonner ? Il y avait des endroits plus agréables que la face cachée de cet endroit désertique et stérile pour ruminer sur son sort.

Au moins, se consola-t-elle, PROXY fonctionnait correctement à présent. Les dommages à son système de camouflage holographique, qui l’avaient coincé sur l’image de son ancien Maître, avaient été réparés par R2-D2. Maintenant, il n’adoptait plus que de temps en temps l’un de ses nombreux modèles enregistrés, y compris celui de Juno. La plupart du temps, il était juste lui-même, un droïde métallique maigrichon aux yeux jaunes brillants et désireux de la servir. C’était un vestige de la programmation primaire que lui avait donnée son ancien Maître. Le reste avait été grillé par le Noyau sur Raxus Prime.

— Encore dix minutes pas plus, dit-elle. Princesse ou pas.

— Allons-nous tenter cette mission sans intermédiaire, capitaine Eclipse ?

Elle y avait beaucoup réfléchi :

— Dac ne va pas se sauver toute seule.

Mais elle n’était pas Starkiller, et elle ne souhaitait pas le devenir.

Toute sa vie, elle avait fait partie d’un système. Cela lui convenait, aussi bien la hiérarchie que sa propre place dans la chaîne de commandement. Oui, elle discutait parfois et elle n’aimait surtout pas qu’on lui fasse des reproches, mais elle préférait cette situation au fonctionnement en solo. Rien ne l’avait rendue plus heureuse que lorsque l’Alliance Rebelle avait renforcé sa structure de commandement, chargeant Bel Iblis de fournir les conseils stratégiques et tactiques, Bail Organa ou sa fille de garantir l’accès aux ressources essentielles et aux renseignements, tandis que Mon Mothma représentait le visage public de l’Alliance pour ceux qui avaient besoin d’un modèle. La flotte de l’Alliance n’avait pas à proprement parler de commandant en chef – ce n’était d’ailleurs pas encore une véritable flotte, plutôt une accumulation hétéroclite de vaisseaux – mais le fait que le poste existe l’avait rassurée. Quelqu’un devrait un jour l’occuper, elle en était persuadée.

Pendant un certain temps, le système avait fonctionné. Les ordres passaient d’un commandant à l’autre et l’Alliance était intacte. Mais, à présent, en l’absence de Bail Organa et alors qu’une sorte de schisme se développait entre Mon Mothma et ceux qui préféraient les solutions plus militaires – y compris Bel Iblis –, plus rien n’était certain. Qui exactement avait informé Juno de ses devoirs ? Est-ce que les chefs devaient voter avant de prendre une décision ? Si Leia Organa refusait de choisir son camp en l’absence de son père, que se passerait-il la prochaine fois qu’il y aurait une urgence et que l’Alliance devrait agir vite ?

Ces pensées tournaient sans fin dans l’esprit de Juno tandis qu’elle attendait.

Cela valait mieux, supposait-elle, que de désirer que Starkiller revienne pour remettre tout le monde sur des rails.

— J’ai détecté un vaisseau en approche, l’informa PROXY.

Juno fut immédiatement sur le qui-vive.

— Où ?

Les écrans devant eux lui permirent de localiser le petit point dans le paysage infini d’étoiles. Il grossissait à vue d’œil, jusqu’à ce que les contours anguleux d’une navette-cargo se dessinent. Les inscriptions sur la coque signalaient que le vaisseau appartenait à une petite compagnie minière installée sur la face interne de la lune. Il ne présentait pas d’armement visible et n’expliquait pas sa présence. Tandis qu’il approchait de la surface de la lune, l’écoutille du cargo à bâbord s’ouvrit largement mais ne révéla rien à l’intérieur.

Juno posa les mains sur les commandes du R-22, prête à tirer ou à s’enfuir, selon les circonstances.

De la poussière vola quand le cargo se posa avec délicatesse. Depuis l’intérieur fortement éclairé, un bras de chargement articulé se déplia. Il pointa vers le chasseur stellaire puis vers la cale de la navette. Juno réfléchit un instant à la proposition.

— À ton avis, on pourrait s’en tirer à coup de laser s’il le fallait ? demanda-t-elle à PROXY.

— Je prévois peu de difficultés de ce côté-là, répondit le droïde. Je ne détecte pas de blindage à l’intérieur de la navette et l’espace pour l’équipage est petit.

— Heureusement que nous ne sommes pas venus dans une Aile-Y, marmonna-t-elle en activant les commandes du chasseur stellaire, ou nous n’aurions jamais pu entrer là-dedans.

Le bras se remit en place tandis que le R-22 survolait le terrain gris et rocailleux. Juno mit un point d’honneur à ne heurter aucun des deux vaisseaux en se glissant à l’intérieur. Elle n’était plus habituée à ce genre de manœuvre après des années de missions de combat et de reconnaissance – et, plus récemment, après les semaines passées à lancer de simples ordres sur la direction à prendre et les manœuvres à exécuter. Elle fut contente de retrouver ses vieux réflexes. Sa main était guidée plus par l’instinct que par un processus réfléchi.

Avec un léger bruit, les surfaces métalliques des vaisseaux se rencontrèrent. L’écoutille de la navette-cargo se referma, puis Juno lâcha les commandes et attendit.

Quand l’espace à l’intérieur du vaisseau eut retrouvé sa pressurisation, une petite écoutille s’ouvrit et un humain de grande taille sortit. Il portait une combinaison spatiale gris-vert, sans casque, et ressemblait aux millions de contrebandiers de bas étage qui sillonnaient la galaxie.

Mais ce n’en était pas un. Juno le reconnut dès que les phares du R-22 éclairèrent ses traits.

C’était Bail Organa.

L’écoutille du chasseur stellaire s’ouvrit au-dessus d’elle et il l’aida à sortir du siège de pilote.

— Vous êtes un peu surqualifié pour ce genre de mission, non ? remarqua-t-elle.

Son Altesse Sérénissime le Prince Bail Prestor Organa, Président et Vice-Roi d’Alderaan, épousseta sa tenue couverte d’huile :

— Pour le transport de fret ou pour convaincre la résistance Dac de rejoindre l’Alliance ?

— Pour les deux, sans doute.

— Eh bien, un jour je vous ai proposé du boulot et vous avez dit que vous deviez y réfléchir.

— Vous avez dit que j’étais un pilote doué de sens moral, dit-elle. Je ne travaillerai jamais pour quelqu’un qui juge si mal les gens.

Ils sourirent tous les deux et se serrèrent la main.

— Ça fait plaisir de te voir aussi, PROXY, ajouta-t-il tandis que le droïde quittait son siège. Entrez.

— Alors, c’est comme ça que vous restez hors de portée de l’Empereur, dit Juno pendant qu’il les menait dans le cockpit exigu qui empestait l’ozone.

Il était le seul occupant de la navette.

— Entre autres…

Il tapota sur le tableau de bord avec une certaine affection.

— Avec ceci, je peux aller pratiquement partout et à n’importe quel moment sans que personne ne prête attention à moi. C’est la même chose avec ça.

Il indiqua le casque à visière en miroir suspendu sur une étagère derrière le siège du pilote.

— C’est moins cher qu’un système de camouflage et il n’y a pas besoin de chipoter avec des cristaux de stygium.

— Ne m’en parlez pas.

— Oh oui, c’est vrai que vous avez eu l’occasion de vous en rendre compte sur le Rogue Shadow.

Il reprit son sérieux.

— Je suis au courant pour Kota. Quelle triste nouvelle.

Elle s’installa dans le siège du copilote.

— Cela devait arriver. Il avait une chance de pendu, mais cela ne pouvait durer éternellement.

— Il n’a pas juste attendu que la chance tombe sur lui, il l’a provoquée. Comme nous nous apprêtons à le faire.

Il opéra les commandes avec aisance, comme s’il faisait ça tous les jours, et la navette-cargo décolla de la surface de la lune, emportant le chasseur stellaire à l’abri dans ses entrailles. Bail Organa envoya le cargo sur un long arc autour de la surface éclairée de Dac. Juno nota avec amusement qu’il ne pilotait pas très bien. Les secousses occasionnelles et les fausses manœuvres faisaient penser à un pilote amateur un peu maladroit.

— Je suppose que Leia vous a expliqué la situation, dit-elle.

Il hocha la tête :

— Nous rencontrons Ackbar dans une heure.

— Quel est le plan ?

— Nous n’en avons pas encore.

— Où est le lieu de rendez-vous alors ?

— Une colonie minière du nom de Sar Galva.

— Sar Galva est située sur le gouffre de Murul, dit PROXY. Nous ne sommes pas conçus pour un environnement aquatique.

— Non, mais les Quarrens le sont et nous avons besoin d’eux pour que le mouvement de résistance Dac rejoigne l’Alliance.

Dac s’élevait au-dessus de l’horizon incurvé de la lune : la planète était d’un bleu cristallin, strié par quelques nuages de haute altitude. La navette-cargo glissa lentement vers le haut jusqu’à se libérer de la faible attraction gravitationnelle de la lune et mit le cap vers la planète. Son moteur principal était inefficace et bruyant, ce qui rendait la conversation difficile. Juno s’enfonça dans le siège et se mit à réfléchir à tout ce qu’elle avait appris sur la planète et son mouvement de résistance avant de quitter le Solidarité. Dac hébergeait de nombreuses espèces intelligentes, principalement les Quarrens, qui vivaient dans les profondeurs de l’océan, et les Mon Calamariens semi-aquatiques. Dac avait un long historique de conflits avec l’Empire. Lors de la Déclaration de l’Ordre Nouveau, au début du Régime Impérial, leurs Sénateurs avaient été arrêtés et un régime corrompu avait été installé grâce au soutien de collaborateurs locaux qui avaient saboté le bouclier planétaire. La prise des chantiers navals et l’asservissement de la population locale n’avait pourtant pas entamé le moral de la planète. Un mouvement de résistance avait lutté pendant des années puis sombré quand l’Empire, en représailles, avait détruit trois des cités flottantes de la planète. Depuis lors, les Quarrens et les Mon Calamariens s’étaient disputés plus souvent qu’ils n’avaient uni leurs forces, et l’emprise de l’Empire sur leur planète demeurait extrêmement forte.

Ackbar avait été l’un des premiers chefs du mouvement de résistance raté et l’un des plus prometteurs. Sa lutte contre les forces Impériales avait été si impressionnante que l’officier qui l’avait finalement capturé l’avait présenté comme un trophée au Grand Moff responsable de l’occupation. Ce dernier l’avait gardé comme esclave pendant plus de dix ans. Sauvé au cours d’une des premières attaques coordonnées de l’Alliance Rebelle contre l’Empire, Ackbar était revenu sur Dac pour déclencher la révolte mais avait rencontré une résistance étonnante. Discrédités par les historiens, leurs chantiers navals nationalisés et leurs chefs réduits à l’esclavage, les habitants de Dac n’avait pas le moral au beau fixe. Seule une détermination sans faille permettrait de leur insuffler l’état d’esprit nécessaire pour reprendre le contrôle de la planète.

La navette oscilla d’un côté à l’autre en entrant dans l’atmosphère. Organa relâcha la manette d’accélération, ce qui leur permit de parler à nouveau.

— Dac n’a pour ainsi dire pas de défenses aériennes, expliqua Organa. Les boucliers planétaires n’ont jamais été réparés et les villes restantes souffrent de bombardements constants. Un escadron entier de chasseurs est stationné ici, sa mission est de réprimer et d’écraser toute tentative de formation d’une force aérienne. Ackbar a essayé mais il ne parvient même pas à envoyer dans les airs un droïde de reconnaissance sans qu’il ne soit abattu et que l’équipement ne soit détruit.

— Et les Quarrens dans tout ça ? Ils vivent sous l’eau, pas en l’air.

— L’escadron de chasseurs ne patrouille que les airs, pas les océans et surtout pas les fosses profondes. En suivant ces fosses, les Quarrens peuvent aller partout sans être vus. Ils peuvent construire des lignes d’approvisionnement, établir des quartiers généraux et même construire des plateformes de lancements submersibles qui seraient moins vulnérables aux attaques que des bases terrestres. Avec les Quarrens de leur côté, les Mon Calamariens auraient une vraie chance.

— Alors, quel est le problème ?

— Vous verrez.

Devant eux, l’océan s’élevait rapidement pour les accueillir. Organa ne fit rien pour ralentir leur descente. Il se contenta d’incliner la navette pour qu’elle présente la plus petite surface de contact aux vagues qui approchaient. Au dernier moment, il mit les propulseurs à fond, non pas pour arrêter la navette mais pour transformer l’eau devant eux en vapeur afin d’atténuer l’impact.

Juno fut tout de même projetée en avant dans son harnais. Ils furent enveloppés par un fracas fait de déferlements et de tourbillons. Le pont trembla sous leurs pieds. Le moteur principal s’arrêta et les répulseurs se mirent en marche. Au lieu de pousser vers le haut, ils pressaient la navette vers le bas pour vaincre la résistance de l’eau.

Les oreilles de Juno se bouchèrent tandis qu’ils descendaient rapidement dans les profondeurs. L’obscurité se fit au dehors. Les nombreux joints et soudures de la navette grincèrent sous la pression grandissante.

Juno avait mal au cœur mais ne voulait rien en laisser paraître.

— Je suppose, dit-elle, que le plan est que la résistance élimine l’escadron de chasseurs Impériaux et montre ainsi aux locaux de quoi ils sont capables.

— Tout juste, capitaine.

— Comment s’appelle l’escadron Impérial ? Est-ce que je pourrais en avoir entendu parler ?

— C’est très possible. C’est le 181e.

Elle secoua la tête.

— Je ne l’ai jamais croisé. Je suis contente qu’il ne s’agisse pas du Huitième Noir.

— Votre ancien escadron ?

— Je suis sûre qu’il est en déclin depuis que je suis partie, dit-elle, mais je doute que ses méthodes se soient améliorées.

Elle pensa aux forêts de Callos qui fondaient et se transformaient en boue noirâtre. Elle tenta de ne pas imaginer à quoi Dac ressemblerait après pareille attaque. Les océans réagiraient différemment des forêts mais le principe serait le même. Quand la vie entravait les plans de l’Empereur, son existence même était remise en question.

Les écrans de visualisation montraient la surface du fond marin dont ils s’approchaient. Des collines sinueuses, ponctuées ça et là de cimes pointues s’étendaient au loin dans le paysage trouble, couvert d’épaisses herbes ondulantes. Organa redressa la navette et se dirigea vers le nord. Ils n’avaient encore parcouru qu’une courte distance quand un énorme gouffre s’ouvrit devant eux. Juno supposa qu’il s’agissait du gouffre de Murul. Une structure artificielle était accrochée à son flanc. Elle s’étendait au-dessus des profondeurs. Plusieurs câbles et tuyaux épais filaient à la verticale vers le bas. Juno n’avait aucune idée de ce qui se trouvait dans le fond. Les écrans de visualisation ne montraient même pas de fond.

— Bienvenue à Sar Galva, dit Organa en guidant la navette vers un tunnel d’amarrage, où elle s’arrêta.

— En théorie, c’est une station Impériale. Au cas où…

Il lui tendit une fausse plaque d’identité, qu’elle accrocha à son uniforme de vol.

— Si on nous le demande, je m’appelle Aman Raivans. Vous, vous êtes Pyn Robahn.

Quand le tunnel d’amarrage fut vidé de l’eau et rempli d’atmosphère respirable, ils retournèrent dans le sas de décompression et sortirent de la navette. Juno fit un pas prudent dans la station et testa l’air, qu’elle trouva nauséabond. Sar Galva dégageait une odeur d’aquarium qui n’avait plus été lavé depuis dix ans.

Organa prit la tête de leur trio et PROXY fermait la marche. Ils passèrent un point de contrôle sans incident et s’avancèrent plus profondément dans la station, traversant un labyrinthe de tunnels et de compartiments de forme sphérique. De grosses machines haletaient et produisaient des bulles tout autour d’eux. Juno n’avait pas la moindre idée de ce que la station extrayait des profondeurs. Comme elle craignait que les questions ne la trahissent, elle garda le silence.

Ils croisèrent plusieurs Mon Calamariens aux yeux globuleux, mais la grande majorité des travailleurs étaient des Quarrens au visage doté de tentacules et aux mains crochues. Juno n’était pas spéciste, contrairement à beaucoup de ses anciens collègues Impériaux, mais elle n’était pas encore habituée à la variété d’espèces qu’elle rencontrait au travers de l’Alliance.

Les Mon Calamariens lui semblaient francs et joyeux, alors que les Quarrens étaient impénétrables. La langue qu’ils utilisaient pour communiquer entre eux ne ressemblait à aucune autre. Juno espérait que les individus avec lesquels elle traiterait comprendraient au moins le Basique.

— Par ici, je crois, dit Organa en la priant d’entrer devant lui dans une pièce exiguë et encombrée.

— Vous n’êtes pas sûr ?

— Disons qu’ici, dans les profondeurs, tout est incertain.

La pièce abritait une longue table et plusieurs individus. Cinq Quarrens à la peau orange étaient groupés à l’autre bout de la pièce. Non loin d’eux se tenait un Mon Calamarien élancé qui leva les yeux quand ils entrèrent.

Juno le reconnut immédiatement pour l’avoir aperçu dans des holos.

— Sénateur Organa, dit Ackbar en tendant une main aux longs doigts. Merci d’être venu. Vous devez être le capitaine Eclipse.

Juno lui serra la main. La peau d’Ackbar était humide et fraîche mais sa poigne était étonnamment énergique.

— Ne ferme pas la porte, dit-il à PROXY, qui s’apprêtait à le faire. Nous attendons encore quelqu’un.

Les cinq Quarrens levèrent les yeux et Ackbar les présenta chacun à leur tour : Siric, Nosaj, Rarl, Cuvran et Feril.

Siric est expert en explosifs submersibles, expliqua-t-il. Il a perdu sa famille dans la destruction des trois cités. Ses assistants et lui sont prêts à nous aider, par tous les moyens.

— Nous vous sommes reconnaissants de nous rencontrer ici, dit Organa en les saluant d’un rapide mouvement de tête. J’ai autant envie que vous de voir votre planète libérée.

Les Quarrens échangèrent quelques mots brefs, dont aucun n’était du Basique.

— Ils sont toujours aussi bavards ? demanda Juno.

— Ne soyez pas découragée, dit Ackbar. C’est un peuple courageux et fier, comme le mien, quand on les provoque.

Une dixième personne entra dans la pièce, dans leur dos. Les Quarrens se mirent immédiatement debout. Ils observaient le nouveau venu de leurs yeux globuleux, agitaient leurs tentacules et le montraient du doigt. Ils crachèrent et grognèrent des mots dans leur langue étrange, destinés autant à Ackbar qu’au nouveau venu, qui était aussi un Quarren, guère plus facile à sonder que les autres.

— C’était une erreur, dit celui-ci dans un Basique à l’accent très prononcé. Je savais que je n’aurais pas dû venir.

— Restez, Seggor, restez.

Ackbar posa une main sur le bras du Quarren et se tourna vers les autres :

— C’est moi qui lui ai demandé de venir, leur expliqua-t-il. Vous ne croyez pas que j’ai autant de raisons d’être en colère que vous ?

Un silence gêné s’installa. Juno examina de plus près la dynamique tandis que le nouveau venu pénétrait plus avant dans la pièce et qu’Ackbar encourageait tout le monde à s’asseoir avec lui dans le calme. Il présenta les gens qui ne se connaissaient pas d’un air détaché, minimisant la tension avec un ton pragmatique et efficace. Juno sentit qu’une partie de la tension se dissipait un peu, même si elle était loin d’avoir disparu. Quand ce fut au tour de Seggor Tels d’être présenté, il justifia brièvement l’indignation de ses compagnons.

— J’ai été un jeune idiot, dit-il. Un idiot qui pensait que l’ennemi de mon ennemi devait être mon ami. C’est moi qui ai saboté les boucliers planétaires de Dac, ce qui a eu pour conséquence l’occupation de notre planète et l’asservissement de notre peuple. De nombreuses années ont passé depuis et je regrette cet acte. Je comprends que mon peuple n’est pas seul dans sa persécution. Nous devons mettre nos différences de côté et travailler ensemble pour reconquérir notre planète. Nous devons nous unir.

Il s’adressait à eux avec une conviction qui témoignait plus du besoin que d’un réel engagement mais Juno admira sa tentative. Face aux années d’animosité entre son espèce et les Mon Calamariens, plus l’antagonisme très personnel dont avaient fait preuve Siric et les autres, il avait le courage de présenter son opinion alors qu’il aurait été plus facile de se cacher et de ne jamais revenir.

— Nous sommes ici pour vous aider, dit-elle, si vous le permettez.

Siric dit quelque chose dans la langue des Quarrens, que Tels traduisit.

— Il dit que vous n’êtes ici que pour votre propre intérêt. Ce qui vous intéresse, ce sont les croiseurs stellaires, pas les océans ou le peuple qui les habitent.

— Ce qui intéresse l’Alliance, c’est le droit de tous les êtres à vivre librement et en paix, intervint Organa. Les vaisseaux nous aideront, il est vrai, mais ce n’est pas l’objectif principal de notre venue. Nous avons besoin de chefs et de soldats. Nous avons besoin de personnes qui diffuseront notre message. Nous avons besoin de traducteurs, de médecins et de toutes sortes de spécialistes. Mais ce dont nous avons avant tout besoin, c’est de savoir que les gens pour qui nous nous battons nous soutiennent. Nous risquons nos vies, et celles de nos familles, rien qu’en critiquant l’Empereur. Pardonnez-nous si nous demandons un peu d’engagement en retour.

L’expression d’Organa était sévère et Juno comprenait qu’il ne pensait pas uniquement à lui-même. Maintenant que l’Empereur savait qu’il était un traître, Leia était en danger permanent. Elle avait été sauvée jusqu’à présent en jouant les innocentes et en prétendant se conformer aux règles. Et aussi parce que l’Empereur rechignait à tuer une jeune femme si connue et tant aimée.

Tels traduisit les paroles du Sénateur Organa et les cinq Quarrens perdirent un peu de leur agressivité. Siric examina ses mains, qui étaient étendues devant lui. Juno remarqua qu’il lui manquait deux doigts à la main droite. Elle se souvint qu’il était expert en explosifs et se demanda quels efforts il avait déjà dû entreprendre pour repousser l’Empire de sa planète.

— Le Groupe de chasse 181 est basé à Heurkea, poursuivit Ackbar en sortant un datapad.

Il montra les images pendant qu’il parlait. La première était une carte de la zone territoriale sud qui indiquait la cité flottante.

— Nous pouvons nous approcher par l’est, cachés par le récif de Mester. Le 181e escadron patrouille toutes les trois heures standard par groupes de deux. Les équipes se suivent et sont même ensemble pendant dix minutes, mais il y a une période, tous les cinq jours, où tous les pilotes sont rappelés pour un débriefing qui peut durer jusqu’à une heure. La prochaine réunion a lieu dans six heures.

Siric fit une remarque dans sa langue maternelle.

— Je sais que nous n’avons pas de force aérienne, répondit Ackbar. Mais demandez-vous ce qu’apporterait un assaut frontal. Des renforts arriveraient en quelques heures et l’avantage que nous aurions gagné serait rapidement perdu. De plus, l’Empire n’est pas tendre avec les insurrections.

— Nous ne le savons que trop bien, commenta Tels.

— Vous avez autre chose en tête, dit Juno, soulagée à l’idée qu’on ne lui demanderait pas de monter un assaut toute seule contre l’escadron. Elle pensait aussi aux doigts manquants de Siric.

Ackbar décrivit son plan dans les grandes lignes et Juno comprit pourquoi son esprit avait été tant apprécié par le Grand Moff qui avait fait de lui son esclave. Le plan était à leur portée mais aurait un effet à long terme sur les forces Impériales de la région. S’il fonctionnait, leur action rassemblerait la résistance en une seule force. S’il échouait, personne n’en saurait rien.

— Votre plan me plaît, dit-elle. Vous pouvez compter sur moi.

— Et sur moi, ajouta Tels.

Tous les regards se tournèrent vers Siric et ses assistants qui discutaient entre eux avec une série de murmures rapides. Siric posa une question à Tels, qui la traduisit pour Juno et Bail Organa.

— Siric voudrait savoir comment il peut être sûr que vous méritez sa confiance.

— Il ne peut pas en être sûr, dit Ackbar. Mais il peut être rassuré par le fait que je me battrai à ses côtés.

— Autrement dit, nous tomberons tous ensemble, résuma Juno, ou nous abandonnons tous et rentrons chez nous.

Les Quarrens se concertèrent à nouveau et, cette fois, ils acceptèrent. Cinq hochements de tête indiquèrent leur volonté de faire partie de la mission.

— Merci, dit Ackbar. Nous n’oublierons jamais la décision que vous avez prise aujourd’hui.

— L’Alliance Rebelle non plus, assura Organa. Il regarda son chrono. Vous avez dit dans six heures, Ackbar ? Si nous voulons profiter de cette occasion, nous ferions bien de nous y mettre.

— Vous venez avec nous ? lui demanda Juno.

— Bien sûr. Je ne suis pas venu ici pour me contenter de faire les présentations et un beau discours.

— Mais vous n’avez pas été formé pour ce genre de mission. Je ne voudrais pas avoir à répondre devant votre fille si vous étiez tué.

— Ne vous inquiétez pas pour cela, capitaine Eclipse, répondit-il avec une expression qui tenait à la fois du sourire et de la grimace. Je pense que vous verrez que je suis capable de m’en sortir.

Juno n’insista pas. Les expériences d’Organa avec l’Empereur remontaient bien avant la formation de l’Empire.

Personne ne résistait aussi longtemps en comptant sur la chance seule, supposa-t-elle.

Ackbar se leva et serra d’un air grave la main de Seggor Tels. C’est seulement alors que la mission commença vraiment.