CHAPITRE 16

Juno se réveilla en sursaut. Elle était couchée sur le côté dans l’obscurité complète. Ses mains n’étaient plus attachées et son épaule était insensible jusqu’au coude. À la douleur lancinante entre ses yeux, elle comprit que son geôlier l’avait à nouveau assommée. La dernière chose dont elle se souvenait c’était d’avoir été traînée jusqu’au vaisseau et d’avoir vu le sas de sécurité se refermer derrière eux. Le Salvation les dominait comme une montagne, reflétant les lueurs rouges et jaunes de la nébuleuse toute proche. Les chasseurs TIE restants avaient mis fin à leur attaque et rejoignaient les nuages d’astéroïdes, poursuivis par des volées de tirs de turbolasers.

Puis plus rien. L’obscurité, désormais, et pas d’indice pour imaginer ce qui s’était passé depuis. Juno se demanda quand elle reverrait le vaisseau et même si elle ne le reverrait jamais.

Le jour ne se lèverait pas plus vite si elle restait couchée là, se dit-elle. Elle tendit le bras gauche pour tâter le sol autour d’elle et s’assit lentement. Il n’y avait rien au-dessus de sa tête contre lequel elle puisse se cogner et rien que du sol plat dans toutes les directions. Au toucher, la surface sur laquelle elle était couchée ressemblait à du plastoïde nu, mais il y avait une odeur très distincte de duralliage dans l’air et un grondement complexe en bruit de fond qui faisait penser à un vaisseau en mouvement. Ils étaient en route vers une destination inconnue. Il valait probablement mieux pour elle qu’ils ne soient pas encore arrivés à destination.

Une partie de son uniforme avait été découpée et de nouveaux bandages avaient été placés sur sa blessure. Au toucher, le travail semblait soigné. Sans doute les chasseurs de primes devaient-ils posséder au moins des rudiments de premiers soins s’ils voulaient garder leurs prisonniers en vie assez longtemps pour toucher les primes. Elle lui était reconnaissante de cela, à tout le moins.

Elle se mit à quatre pattes pour explorer un peu plus avant son environnement. Elle comprit qu’elle se trouvait dans une cage en forme de cube, d’environ deux mètres de côté. Des barres de métal horizontales constituaient deux des faces, tout le reste était en plastoïde. Les barres pouvaient certainement s’escamoter dans le mur sous les ordres du propriétaire du vaisseau. Sans outils et sans lumière, elle ne voyait aucun moyen de s’évader de cette cage et encore moins de prendre le contrôle du vaisseau pour le faire changer de direction.

Elle se prit la tête entre les mains. Elle devait faire demi-tour. Elle en était à présent convaincue. Starkiller était revenu. De quoi d’autre devait-elle se soucier ? Mais, plongée dans l’obscurité, elle sentit ressurgir les questions qu’elle s’était posées quand le chasseur de primes l’avait enlevée sur le Salvation.

Starkiller était de retour, c’était indéniable. Comment ? Pour quelle raison ? Depuis combien de temps ? Où se trouvait-il à présent ? Était-il mort à nouveau ?

Le temps passait et elle commençait à douter de ce que ses yeux avaient vu. Elle n’avait fait que l’apercevoir sur le Salvation. Il était possible qu’elle l’ait confondu avec quelqu’un d’autre – mais y avait-il une seule autre personne dans la galaxie capable d’accomplir de tels exploits ?

Il n’y avait que lui. Le reste de ses doutes n’était cependant pas aussi facile à dissiper. Starkiller était vivant et, alors qu’une part d’elle-même qui l’avait pleuré se réjouissait, le simple fait qu’il soit en vie ne suffisait pas à la rassurer. Les interrogations au sujet de son retour n’allaient pas disparaître du simple fait qu’il vienne la rechercher ou qu’elle s’échappe et le rejoigne, puis qu’ils soient à nouveau réunis.

Comment était-il revenu ? Elle l’avait vu réduit en miettes par une gigantesque explosion alors qu’il sauvait les chefs des Rebelles sur l’Étoile Noire. Kota avait confirmé à Juno que Starkiller était bien mort dans l’explosion. Elle avait eu l’impression qu’une partie d’elle-même était morte et elle avait continué à fonctionner, persuadée que ce qu’elle avait vu était réel, que Kota n’avait pas menti et ne s’était pas trompé. Starkiller était mort. Et il était de retour. L’explication devait largement dépasser ce qu’elle considérait comme normal, peut-être même possible, et la source de cette explication l’inquiétait.

Était-il en vie depuis tout ce temps ou n’était-il revenu d’entre les morts que récemment ? C’était une question qui en impliquait bien d’autres. S’il était en vie depuis un an, pourquoi ne l’avait-il pas contactée ? Qu’avait-il fait pendant ce temps ? Depuis quand Kota était-il au courant ? Elle savait maintenant que Starkiller était à bord du Rogue Shadow quand il s’était amarré au Salvation et qu’il était certainement la source de l’information tactique que Kota lui avait livrée. Depuis combien de temps étaient-ils de mèche dans son dos ? Et, sachant tout cela, pouvait-elle encore donner du crédit à cette information ?

Sur ce dernier point, elle n’avait pas le choix et cela n’avait plus grande importance. Prisonnière dans les entrailles du vaisseau d’un chasseur de primes, elle aurait aussi bien pu se trouver dans un autre univers, aux yeux de l’Alliance Rebelle. Ils la croyaient sans doute morte si la bataille avait mal tourné et si le Salvation était détruit. Elle n’aurait peut-être jamais l’occasion de partager ses inquiétudes ou de demander à Kota pourquoi il l’avait trompée.

L’effet des antidouleurs commençait à se dissiper. Un élancement profond et lancinant courait de son épaule tout le long de son bras et de sa colonne, pour remonter dans son crâne. Elle acceptait cette souffrance, même si elle la détestait, car elle lui éclaircissait les idées.

Elle se souvint de l’Empirique la dernière fois qu’elle avait été prisonnière. Elle avait alors cru que Starkiller était mort, tué par son Maître, aux ordres de l’Empereur. Cette fois-là, comme aujourd’hui, il était sorti du tombeau. Dark Vador lui avait dit qu’il l’avait sauvé avant que ses signes vitaux ne soient complètement éteints mais il pouvait parfaitement mentir. Le processus qui l’avait ramené à la vie à ce moment-là, même si elle ne le connaissait pas avec précision, pouvait-il avoir été utilisé à nouveau ? Combien de fois le même homme pouvait-il mourir, revivre et rester le même ?

S’évader de l’Empirique lui avait semblé impossible. C’est Starkiller qui l’avait sauvée. Quand il était apparu dans sa cellule, elle avait cru à un miracle, une hallucination provoquée par la douleur, destinée à lui faciliter le passage de vie à trépas. Elle avait chassé de son esprit les termes que les gardes avaient utilisés pour qualifier Starkiller mais ces mots lui revenaient maintenant. Ils l’avaient traité « d’expérience » et de « rat de laboratoire ». Ils le redoutaient avant même qu’il ne les attaque, pour des raisons sur lesquelles elle ne s’était encore jamais interrogée.

— Je t’ai vu mourir ; lui avait-elle dit, mais tu es revenu.

Tout ce qu’il avait répondu, c’était :

— J’ai des choses à terminer.

Comme si cela expliquait quoi que ce soit. Elle se demandait maintenant s’il n’avait pas utilisé une ruse Jedi sur son esprit à ce moment-là pour apaiser ses inquiétudes. Il était l’outil de Vador à cette époque, elle pouvait donc comprendre qu’il ait agi ainsi. Mais toutes les inquiétudes à propos de la survie de Starkiller revenaient, cent fois plus fortes, comme si elles s’étaient multipliées au fond de son esprit pendant tout ce temps.

Que lui dirait-elle maintenant s’il apparaissait dans la cellule à ses côtés ?

Et lui, expliquerait-il, cette fois, ce qu’il devait terminer ?

Était-ce important ?

Si cela la concernait, ça pouvait faire toute la différence. Elle se leva et se mit à faire les cent pas dans l’espace dont elle disposait. La diagonale de sa cellule de deux mètres carrés mesurait moins de trois mètres mais la déambulation lui permettait de s’occuper. Elle ne savait pas quand ils atteindraient leur destination. Le trajet pouvait encore durer des heures. Elle avait besoin de distraction car ses pensées empruntaient un chemin particulièrement sombre.

Si Starkiller était revenu parce qu’il l’aimait, pourquoi ne s’était-il pas montré plus tôt ?

Si l’amour n’avait rien à voir avec son retour, quelle raison avait-elle de s’en réjouir ?

Elle pensa à PROXY, qui pleurait la perte de sa programmation primaire et en cherchait désespérément une nouvelle. Pour la première fois, elle comprit sa tristesse.

Ce serait si simple si la même chose existait pour les humains. Il suffirait de brancher un module dans sa tête pour effacer toutes les pensées. Oublier Starkiller et tout ce qu’il avait signifié pour elle. Enfin reprendre sa vie. Quelle liberté !

Mais elle savait que ce serait un mensonge. Elle ne serait plus la même. Starkiller lui avait offert une vie nouvelle et meilleure. Lui tourner le dos signifierait tourner le dos à l’Alliance et à tout ce en quoi Juno croyait. Elle ne pourrait jamais envisager pareille trahison.

Tandis que le vaisseau poursuivait sa course à travers l’hyperespace, Juno se souvint d’un moment sur Felucia où elle avait eu la certitude que Starkiller allait l’embrasser. Elle se souvenait que ce vœu avait fini par s’exaucer au-dessus de l’Étoile Noire. Son cœur avait battu la chamade dans un mélange de peur et d’excitation. Elle se souvenait aussi de ce que Kota avait vu dans l’esprit de Starkiller :

— Parmi toutes ses sombres pensées, j’ai entrevu une lueur, quelque chose de très beau qui m’a donné de l’espoir… et c’est à cela qu’il s’est accroché, même à la fin.

Elle lui avait demandé ce que c’était. Kota ne lui avait pas répondu mais elle le savait alors. Et elle le savait encore aujourd’hui. Ils s’étaient sauvés l’un l’autre dans les temps les plus sombres. Et ils le feraient à nouveau.

Viens me sauver, dit-elle dans sa tête, sachant que les mots seraient perdus dans l’hyperespace pour toujours mais espérant, en secret, qu’il les entendrait tout de même. Sauve-moi, Starkiller, que je puisse te rendre la pareille.