CHAPITRE 10

Nordra était, elle aussi, une planète à forte gravité mais l’activité tectonique y était particulièrement marquée. La surface était traversée de multiples chaînes de montagnes à pic, entrecoupées de dangereux glaciers bleutés. Depuis l’orbite, Juno repéra plusieurs lacs de basse altitude bouillonnants de lave, au bord desquels les habitants avaient construit des villes qui se nourrissaient de la chaleur. Elle se connecta à la version locale de l’HoloNet News. Nord Actu, et découvrit la race robuste, peu raffinée, qui avait appris à vivre avec la menace physique et le danger permanents. Certains rapports se montraient ouvertement critiques envers la politique de l’Empereur. C’était l’isolement qui les sauvait, songea Juno. Même si Nordra se trouvait techniquement sur la Voie Hydienne, la route hyperspatiale très fréquentée faisait un détour pour contourner une nébuleuse toute proche ; elle évitait ainsi cette planète et plusieurs autres dans les environs.

Juno tuait le temps en attendant que l’Alliance Rebelle ne détecte son transpondeur. Elle regardait d’un œil Nord Actu et de l’autre contemplait à travers la baie vitrée la vaste et belle nébuleuse qui s’étendait devant elle. Elle s’efforçait de ne pas penser à Berkélium Shyre. Elle n’avait pas voulu le blesser. Elle pensait qu’ils étaient juste amis. Leur amitié comptait beaucoup pour elle. Son seul tort avait été de vouloir que les choses restent comme elles étaient, même si elle savait désormais que ce n’était pas possible…

Ils ne pouvaient retourner en arrière mais ils ne pouvaient pas aller de l’avant non plus. Elle n’était prête à rien de ce genre et elle ne voulait en aucun cas être prête. Jamais. L’idée même lui semblait absurde. Si elle ne pouvait avoir Starkiller, alors elle ne voulait personne. Sa mort avait laissé un tel espace béant dans sa vie que personne ne pourrait le combler.

— Nous vous apercevons, R – Deux – Deux, dit une voix dans le com. Identifiez-vous.

Elle examina ses propres écrans mais ne réussit pas à identifier la source de la transmission. Cinq vaisseaux étaient en orbite autour de Nordra et n’importe lequel de ceux-là pouvait appartenir à l’Alliance Rebelle. Ils y appartenaient d’ailleurs peut-être tous.

— Juno Eclipse, émit-elle. Autorisation Onda Cuvran Vingt-trois Dix-sept Quatre-vingt-onze. Est-ce que le Solidarité est ici ?

— Le Salvation aussi, capitaine. Voici les coordonnées.

Elle introduisit les données dans le navordinateur en pensant : toujours capitaine. C’était bon signe.

— Ces coordonnées sont de l’autre côté de la nébuleuse, prévint PROXY.

— Moteur à ions uniquement, je suppose ? demanda-t-elle au contact Rebelle pour vérifier.

— Vous supposez bien. La nébuleuse Itani est diffuse, pour la plus grande partie, mais jette une ombre de masse assez grande pour vous gâcher la journée.

— Bien reçu, merci.

Elle mit en marche les moteurs à ions et sortit le chasseur stellaire de l’orbite. Les moteurs mettraient plus de temps mais cela valait la peine. Cela éviterait que des vaisseaux ne surgissent par surprise de l’hyperespace en plein sur la flotte de l’Alliance. Jusqu’à présent, le commodore Viedas avait réussi à devancer les espions de l’Empire mais ce n’était qu’une question de temps avant qu’une information critique ne finisse par arriver à leurs oreilles.

Et ça, se dit-elle, c’était bien plus grave qu’un cœur brisé.

Juno pénétra dans le Solidarité et confia le R-22 à l’équipe du hangar. Elle s’attendait presque à trouver Leia ou son droïde à l’arrivée, mais le comité d’accueil était réduit à un seul aide, qui la pria d’aller sur-le-champ rejoindre le commodore dans ses quartiers. Elle promit de le faire. Pas de conversation officieuse dans le mess des officiers cette fois, pensa-t-elle. Cela pouvait être bon ou mauvais signe.

— Tu as de la chance, PROXY, dit-elle tandis qu’ils avançaient dans les couloirs du vaisseau. Ne pas avoir de programmation primaire signifie que tu n’as plus peur de  la perdre.

— Je ne me sens pas chanceux, capitaine Eclipse, répondit-il d’un ton plaintif. J’en viens à me demander si les droïdes ont une couche de programmation encore plus fondamentale que celle qui me manque, une couche qui fait que nous nous sentons incomplets sans instructions. Nous sommes construits non seulement pour servir mais pour désirer servir. Je n’arrive pas à décider si c’est de l’esclavage ou une forme de libération.

— Libération du choix, tu veux dire ?

— Du doute.

Juno aurait aimé pouvoir soulager ses propres doutes en effaçant complètement sa mémoire et restaurer sa configuration par défaut.

Elle salua la sentinelle postée devant la porte de Viedas, qui lui fit signe d’entrer. Le commodore Rodien était assis derrière un bureau, il étudiait des graphiques. Il se leva à moitié quand elle entra, lui fit signe de s’asseoir puis se rassit à son tour. PROXY resta près de la porte, il observait la scène sans ciller à travers ses grands yeux jaunes.

— Félicitations, capitaine Eclipse, commença Viedas. L’enquête a conclu que vous n’étiez pas coupable d’avoir exposé les ressources et le personnel de l’Alliance à un danger excessif.

— Merci, monsieur, dit-elle, sentant sa poitrine s’alléger d’un fameux fardeau.

— À partir de maintenant, vous retrouvez votre rang, vos privilèges et vos autorisations de sécurité. Mais, bien sûr, il reste un obstacle à franchir.

— Monsieur ?

— Il y a une réunion du commandement de l’Alliance dans une demi-heure pour discuter de la situation sur Dac. On a demandé que vous y assistiez.

— Qui ?

— Mon Mothma.

Juno hocha la tête.

— Je suppose que je ne peux pas rejoindre mon chasseur stellaire et tourner autour de la nébuleuse jusqu’à ce que la réunion soit terminée ?

— C’est hors de question. Et si vous envoyez votre droïde à votre place, on s’en rendra compte.

Les antennes de Viedas tressautèrent dans un mouvement qui pouvait indiquer l’amusement.

— Allez vous rafraîchir. J’enverrai quelqu’un avertir votre droïde quand nous serons prêts.

— Merci, monsieur.

— Oh, cela vous intéressera sans doute de savoir, capitaine, que votre mission sur Cato Neimoidia est maintenant considérée comme un succès.

Juno fronça les sourcils en pensant à Kota.

— Comment est-ce possible, monsieur ?

— Le Baron Tarko a été tué pendant une action d’insurrection peu après votre départ. Vous avez clairement commencé quelque chose qu’un autre a décidé de terminer. C’est tout.

Elle lui rendit son salut et quitta la pièce en s’interrogeant sur ce dernier événement. Mais il n’y avait pas grand-chose à en penser, à part se dire qu’elle avait de la chance que quelqu’un lui ait rendu ce service. Si jamais elle découvrait qui c’était, elle lui exprimerait sa gratitude la plus sincère. Maintenant que Cato Neimoidia était considérée de façon plus positive, il serait plus facile de parler de Dac.

La sentinelle lui indiqua comment se rendre dans la zone commune la plus proche, où elle fit de son mieux pour avoir l’air d’être fraîchement descendue de son pont. Elle avait hâte de retourner sur le Salvation pour voir dans quel état Nitram avait laissé ses tableaux de service. Elle examina son visage dans le miroir pendant un long moment, se demandant malgré elle ce que Shyre lui trouvait. Ne voyait-il pas à quel point elle était dévastée ? Ne voyait-il pas les poches sous ses yeux et ses cheveux aplatis par le casque de pilote ? L’aimerait-il toujours s’il la voyait telle qu’elle était vraiment, avec les séquelles psychologiques et tout le reste ?

Elle aurait aimé avoir quelqu’un parmi les Rebelles à qui parler d’autre chose que de tactique ou de spécifications de vaisseaux. Ce n’était pas la première fois quelle avait cette envie. Si au moins sa mère était encore en vie…

Une main se posa sur son épaule.

— Excusez-moi, capitaine Eclipse. Le commodore vous demande.

Elle détourna les yeux de son visage – et se retrouva face à face avec une autre version d’elle-même.

— Merci, PROXY. Tu sais que tu recommences ? Sauf que cette fois, c’est mon apparence que tu as prise.

L’image holographique du droïde scintilla avant de disparaître avec un éclair.

— Je suis désolé, capitaine Eclipse. Je ne sais pas ce qui me prend.

Il posa une main sur son front métallique.

— Une autre révision s’impose peut-être.

— La prochaine fois que nous croisons ce petit droïde si efficace, je lui demanderai de s’en charger.

Elle prit une seconde pour s’assurer que son uniforme n’était pas froissé.

— Allez, viens ou nous allons être en retard.

La réunion avait lieu au même endroit que précédemment. Cette fois, Juno et le commodore étaient les seuls participants présents en chair et en os. Mon Mothma et Garm Bel Iblis participaient par hologramme. Leurs silhouettes gris-bleu vacillaient et crépitaient à cause des interférences de la nébuleuse toute proche. Leia Organa brillait par son absence.

— Nous avons rencontré des difficultés au moment d’arranger la transmission, lui expliqua Viedas quand il la vit scruter le projecteur vide. Je propose que nous commencions tout de même.

— Nous avons reçu une proposition de la résistance Dac, annonça Mon Mothma sans préambule. Ackbar a réussi à unir les Quarrens et les Mon Calamariens puis les a persuadés de s’opposer ouvertement à l’Empire. Il nous promet des vaisseaux si nous l’aidons à libérer les chantiers navals.

— C’est une excellente nouvelle, remarqua Bel Iblis. Et qui arrive à point nommé compte tenu de notre récente conversation à ce sujet.

— C’est bien pour cela que je me méfie, dit Mon Mothma. Où étiez-vous ces deux derniers jours, capitaine Eclipse ?

— J’ai été relevée de mes fonctions, expliqua Juno. J’ai donc profité de l’occasion pour régler certains détails.

— Vous n’étiez pas sur Dac par hasard ?

— Je suis flattée, Sénatrice, si vous pensez que je suis capable d’accomplir une chose pareille toute seule…

Une troisième silhouette holographique prit vie à côté des autres en clignotant. Ce n’était pas Leia, cependant, mais Bail Organa, qui paraissait sale et engoncé dans son déguisement de mineur.

— Désolé de vous avoir retardé, dit-il, j’ai dû me rendre sur Mon Eron pour obtenir une ligne sécurisée. C’est la pagaille ici en ce moment. Vous êtes peut-être au courant.

— Nous en parlions justement, répondit Mon Mothma, qui n’avait pas l’air étonnée de le voir à la place de sa fille. Le capitaine Eclipse nie toute participation.

— En fait, corrigea Juno, j’ai dit que je n’aurais pas pu agir ainsi seule.

— En effet.

Mon Mothma éleva un sourcil.

— Je suppose, Bail, que votre fille dirait la même chose.

— Je ne sais pas ce que Leia dirait, répondit Organa, et je ne suis pas sûr de ce que vous me demandez. Pourquoi ne vous adressez-vous pas directement à elle au lieu de me poser une question dont j’ignore la réponse ?

La désapprobation de Mon Mothma était redoutable, même par hologramme.

— Elle le niera peut-être mais je sais que Leia a orchestré cette opération non-autorisée ! Et le capitaine Eclipse et Ackbar étaient ses complices. Elle a utilisé de l’information confidentielle et secrète. Elle a agi de façon précipitée, sans considération pour les décisions que nous avions prises au sujet de l’Alliance. Elle a abusé de sa position de représentante de votre personne et, ce faisant, elle a trahi notre confiance.

— Elle a peut-être commis tous ces actes mais que voulez-vous que j’y fasse ? Je ne peux pas la suspendre, comme vous avez suspendu capitaine Eclipse.

— Je pense qu’il est temps que vous sortiez de votre cachette et que vous repreniez votre position au sein de ce Conseil avant qu’elle n’invente encore un plan insensé.

— Moi, je pense que c’était un assez bon plan. C’est pour cela que j’y ai participé, déclara Bail Organa en adressant un salut ironique à Juno. Si vous censurez Leia, vous feriez bien de me censurer aussi.

Mon Mothma serra les lèvres. Elle regarda autour d’elle pour sonder chacune des personnes présentes.

— Vous étiez au courant, Garm ?

Bel Iblis prit un air à la fois las et amusé.

— Absolument pas, mais je ne peux pas dire que je désapprouve. C’est exactement ce en quoi Kota croyait : de petites frappes stratégiques qui engendrent de grands effets. Cette petite action pourrait changer le cours de la bataille si nous enchaînions immédiatement.

— Mais le risque ! objecta-t-elle. Nous aurions pu perdre Ackbar et Bail.

— La guerre sans risque n’existe pas, rétorqua Bel Iblis. Et vous ne pouvez pas interdire aux gens de se battre s’ils en ont envie. Ne serait-ce pas une forme de tyrannie en soi ?

Mon Mothma se raidit comme si elle était menacée physiquement. Puis elle se radoucit.

— Oui, je suppose que vous avez raison. Et même si ce n’est pas le cas, il est clair que je suis en minorité. Alors que faisons-nous maintenant ? Est-ce que vous proposez de passer le contrôle à une fille de dix-huit ans et de lui laisser décider du cours des choses ?

— Certainement pas, dit Bail, mais vous pouvez l’écouter et suivre ses conseils. Elle parle avec ma voix. Ayez confiance en son jugement, comme moi. Si son plan sur Dac avait échoué, j’aurais pu mourir… Mais je ne suis pas mort. C’est une Organa, rappelez-vous. Nous apportons bien plus que notre argent à la cause.

— Très bien, répondit Mon Mothma. Je ferai ce que vous dites. Mais cela ne change rien à la situation actuelle. Les croiseurs stellaires Mon Calamariens sont promis mais pas livrés. Ackbar n’est pas en position de remplacer Kota, occupé comme il l’est avec les problèmes de sa planète. Nos ressources sont précieuses et plutôt réduites en ce moment.

— La Rébellion ne peut pas être mise en attente, insista Organa. Elle est vivante. Elle doit agir, elle ne peut se contenter d’exister sans rien faire.

— Une frappe symbolique, intervint Juno, se souvenant de ce qu’Organa lui avait dit sur la lune de Dac. C’est ça qu’il nous faut. Une action qui montrera aux nôtres et à l’Empereur que nous sommes en ordre de marche.

— Je suis d’accord, dit Bel Iblis. Tous ces préparatifs, efficaces ou non, ne font pas grand-chose pour drainer de nouvelles recrues.

— Très bien, concéda Mon Mothma. Très bien. Allons-y pour une frappe symbolique… mais contre quoi ? Il y a des milliers de cibles potentielles, toutes aussi dangereuses les unes que les autres. Quels sont nos critères ? Quel est notre agenda ? Qui mènera l’opération ?

— Ce sont des questions importantes, reconnut Organa. Je les laisse entre vos mains expertes, Sénateurs. Pour le moment, je ferais mieux de me déconnecter. L’Empire contrôle de près le moindre signal qui quitte le système. Je n’ai pas envie qu’un escadron de TIE me fonce dessus, juste quand les choses commencent à devenir intéressantes.

— Nous comprenons, dit Bel Iblis. Quand nous aurons décidé des modalités, nous vous préviendrons.

— Merci Bail, dit Mon Mothma. Soyez prudent.

Le troisième hologramme s’éteignit.

— Le commandement est une chose difficile, dit Bel Iblis à Mon Mothma, non sans empathie. Surtout quand nous sommes trois à tenter de diriger au même moment.

— Si c’était facile, répliqua-t-elle, nous en aurions fini avec tout ceci depuis longtemps.

Les deux Sénateurs se déconnectèrent à leur tour, laissant le commodore Viedas, Juno et PROXY seuls.

— Je crois que nous venons d’assister à des avancées, commenta le commodore en se levant. Sur un certain plan, du moins.

Juno comprenait ce qu’il voulait dire. Mon Mothma avait cédé du terrain mais le commandement discuterait peut-être encore pendant des semaines avant de tomber d’accord sur une cible adéquate. Et cette fois, un objectif de petite envergure ne suffirait pas. Il faudrait que l’opération soit extrêmement visible pour déclencher l’effet désiré.

— Je suppose qu’il vaut mieux être vu en train de faire quelque chose que de ne rien faire, dit-elle, même s’il est parfois difficile de distinguer la différence.

— Attention, capitaine Eclipse, vous devenez cynique.

— C’est l’influence de la politique.

— Malheureusement, bien peu de gens y résistent.

Starkiller aurait résisté, eut-elle envie de dire tandis que la porte se fermait entre eux, mais elle garda cette pensée pour elle-même.

Durant le court trajet en navette jusqu’au Salvation, PROXY changea d’apparence sans prévenir.

Juno leva les yeux des commandes.

— C’est vraiment vous. Princesse, où est-ce PROXY qui fait à nouveau des siennes ?

— Appelez-moi Leia, répondit-elle sans hésiter.

Juno ne savait d’où la Princesse émettait mais le signal était bon.

— Félicitations pour le succès de votre mission, capitaine. Comment s’est passée la réunion ?

— Pas mal, je pense, dit Juno, soulagée que PROXY et elle soient seuls à bord. Je suis contente que votre père y ait participé.

— Oui. Il gère mieux les interlocuteurs que moi.

— Je ne dirais pas ça, l’assura Juno. Vous avez la jeunesse pour vous. Je crois que cela déstabilise Mon Mothma.

— Je n’ai pas l’impression que ce soit un avantage quand je discute avec certains vieux allumés avec qui je dois composer ici, chez moi. À côté de la politique d’Alderaan, l’Empire ressemble à un jeu d’enfants.

— Vous avez tout de même obtenu ce que vous vouliez. Ne sous-estimez pas vos talents.

— D’accord. Je les ai peut-être un peu préparés mais c’est mon père qui a conclu l’accord. Et nous n’y serions pas arrivés sans vous, bien sûr.

— À votre service, dit Juno, même si cela risque d’être un peu plus difficile maintenant que j’ai récupéré mon commandement. Je suis contente.

— Il n’y a jamais eu le moindre doute là-dessus. Vous serez toujours là où nous pouvons vous utiliser au mieux : pas trop loin de l’action, pour que vous n’oubliiez pas ce qui est en jeu, mais pas trop près, pour que vous puissiez garder une vue d’ensemble. Vous avez désormais une frégate à votre disposition, ce n’est pas négligeable non plus quand il s’agit de peser dans les discussions.

Juno sourit. Elle ne s’en sortait pas trop mal, présenté comme cela.

— L’essentiel, poursuivit Leia, est que nous continuions à nous battre sur tous les fronts à la fois. Accomplir de grands exploits, de petits, et tout ce qu’on peut imaginer entre les deux. L’Empire, ce n’est pas seulement l’Empereur : ce sont tous les gens en dessous de lui qui le servent de leur plein gré. Il faut les combattre également.

— Cela paraît épuisant.

— Cela me fatigue rien que d’y penser.

Elles rirent ensemble, plus par esprit de camaraderie que parce que c’était particulièrement drôle. Juno ne se souvenait pas de la dernière fois qu’elle avait eu une raison de rire.

— Quels sont vos plans maintenant ? demanda-t-elle.

— Eh bien, l’Étoile Noire est toujours là, répondit la Princesse. L’Empereur nous la cache bien mais elle ne pourra pas toujours rester hors de vue. Nous la débusquerons d’une façon ou d’une autre et nous ferons de notre mieux pour perturber sa construction. C’est notre priorité numéro un car, si un jour cette arme est opérationnelle, toute la galaxie en souffrira.

Elle haussa les épaules.

— À part cela, la vie continue. L’université, la formation et toutes les histoires ridicules de la Maison Organa. Si les choses se passaient comme le veulent mes tantes, je serais fiancée à un garçon sans cerveau avant la fin de l’année et mes chances d’accomplir un jour quelque chose par moi-même s’évanouiraient à tout jamais.

Cela rappela soudain à Juno combien Leia était encore jeune. Les problèmes avec les garçons, les espoirs des parents, les ambitions frustrées… Les problèmes de l’adolescence étaient universels, même en pleine révolution galactique. Juno avait connu tout cela il n’y avait guère longtemps.

Mon père a essayé de me caser avec le fils d’un ami une fois, confia-t-elle à la Princesse. Un garçon abominable, à peine une recrue, mais il se voyait déjà à la tête du Haut Commandement alors qu’il était tout juste capable de boutonner son uniforme correctement. Quand on y pense, son seul point fort était de se trouver du bon côté de la planète, c’était plus important que ce qu’il valait vraiment.

— Et qu’est-ce que vous avez fait ?

— J’ai appris à devenir le meilleur pilote de mon secteur et je me suis fait transférer. Le gamin ne m’a pas suivie : il n’a jamais dépassé le grade de caporal malgré toutes ses belles paroles. Mon père pense sans doute encore que j’ai raté ma chance.

— Les parents ne comprennent rien.

Elles rirent à nouveau et Juno se demanda ce qui se passait. La Princesse avait-elle tellement peu de contacts avec les gens de son entourage qu’elle non plus n’avait personne à qui se confier ? Cela ne semblait pas possible : elle avait évoqué l’université, elle devait y fréquenter des tas de personnes de son âge, et Juno était sûre que Bail Organa ne laissait pas sa fille grandir isolée sans liens sociaux.

Au moins, Leia voyait encore son père, pensa Juno. Le sien était si distant et hostile qu’elle ne savait même pas s’il était encore en vie.

— Avez-vous un petit ami en ce moment’ ? lui demanda Juno, profitant de l’occasion pour voir jusqu’où irait cette conversation.

Leia ne rougit pas :

— Aucun qui plairait à mes tantes.

— Ah, c’est comme ça. Attention aux mauvais garçons, ce sont eux qui font le plus de dégâts au cœur.

— C’est ce que tout le monde dit.

— Parce que c’est vrai. Ne l’apprenez pas à vos dépens, comme moi.

Au lieu d’associer Juno à « tout le monde » et de rejeter son conseil, Leia hocha la tête avec sérieux.

— J’imagine que c’est vrai.

Juno devint sérieuse, elle aussi. Elle n’avait pas pensé à Starkiller, mais soudain elle ne pensait plus qu’à lui. La douleur était si vive et perçante qu’elle l’obligea à baisser les yeux pour échapper au regard inquisiteur de la Princesse.

Elle comprit alors comment Leia la considérait. Pas comme une amie ou une confidente, même si elle prétendrait sans doute le contraire si on lui posait directement la question. Qu’est-ce qu’une Princesse de la Maison Royale d’Alderaan avec des aspirations Rebelles voyait dans un capitaine à l’esprit indépendant qui avait toujours été au cœur du combat, sinon un modèle ?

C’était une lourde responsabilité.

— Je suis désolée, reprit Leia. Je ne peux imaginer ce que cela fait quand une personne vous manque à ce point.

— J’espère que vous ne le saurez jamais.

Juno reprit le contrôle d’elle-même et se força à sourire. Il était temps de changer de sujet.

— Par comparaison, combattre l’Empereur et nos amis les Sénateurs paraît bien facile. Au moins, ce sont des batailles que nous pouvons gagner.

En bonne diplomate en cours de formation, Leia comprit le signal.

— Eh bien, je suis sûre que vous trouverez le moyen de vous occuper. Merci de votre soutien, Juno. Nous serons en contact bientôt.

— Nous n’allons pas nous tourner les pouces ici, c’est sûr. Dès que nous aurons une cible, la flotte sera prête à intervenir.

Leia sourit et leva la main comme pour atteindre un bouton de son côté.

— Oh, avant que je ne parte, dit-elle encore, si votre droïde fait à nouveau des siennes, avez-vous pensé qu’il ne s’agit peut-être pas d’un dysfonctionnement aléatoire ? Il pourrait ne pas s’agir d’un simple problème technique, il y a peut-être une autre explication.

— Un sabotage délibéré, vous voulez dire ?

— Peut-être. Ou un message. Ou tout à fait autre chose, proposa Leia en haussant les épaules. Je ne sais pas. Mais cela vaut la peine d’y réfléchir.

Juno hocha la tête.

— C’est ce que je vais faire, merci.

Leia coupa le contact et Juno se retrouva tout à coup face à face avec le droïde lui-même.

— Qu’est-ce que tu en penses, PROXY ? Est-ce que tu essaies de me dire quelque chose ?

— Je ne vois vraiment pas quoi, capitaine Eclipse. Quand je dois communiquer avec vous, j’utilise l’interface verbale dont mes concepteurs m’ont doté.

— Tu n’es que parole, autrement dit.

— En effet.

— C’est exactement ce que je pensais.

Cela faisait penser à un sabotage ou à un message provenant de quelqu’un d’autre. Mais qui prendrait tant de peine pour lui envoyer des images de Starkiller et d’elle-même ? Cela n’avait aucun sens.

— Vous êtes en approche, capitaine Eclipse, annonça une voix familière dans le com. Bon retour parmi nous.

— Merci, Nitram, dit-elle en faisant rapidement le point sur la localisation de la navette. Elle décélérait doucement en pilotage automatique pour atteindre le tunnel d’amarrage du Salvation. Elle prit les commandes, ajusta la trajectoire et donna une poussée supplémentaire aux propulseurs. La seule vue de la frégate suffit à lui remonter le moral.

— Ouvrez la bouteille de spiritueux Old Janx. C’est bon d’être de retour.

— Euh, vous êtes sérieuse, capitaine ?

Le ton de son commandant en second fit sourire Juno. Parfois, le Bothan était trop facile à taquiner.

— Bien sûr que non. On a du pain sur la planche. La bouteille reste dans mon coffre-fort jusqu’à la mort de l’Empereur.

— Bien, capitaine. Compris.

Le Salvation apparut devant elle. Juno chassa toutes les autres pensées de son esprit, tandis qu’elle menait la navette au dock.