CHAPITRE 12

Juno était sur le pont du Salvation, elle sentait le vaisseau et l’équipage s’agiter sans heurts autour d’elle, comme s’ils faisaient partie de son corps. Depuis qu’elle avait changé d’uniforme et pris un repas correct, elle se sentait transformée. De retour à son poste de commandement, elle avait l’impression de revenir à la vie. Il y avait du vrai dans ce que Leia lui avait dit : disposer d’une frégate était loin d’être négligeable.

Mais, dans un coin de son esprit, elle se souvenait d’une phrase que son instructeur de vol lui avait martelée pendant toute sa formation : être confortablement installé, cela revenait à attendre que l’univers vienne vous botter les fesses. Elle passa en revue tout ce qui s’était passé ces derniers jours, se demandant ce qui pouvait tourner mal. Elle cherchait la botte qui était sans doute déjà en route pour la tirer de son autosatisfaction.

— Euh, capitaine, dit Nitram avec une hésitation plutôt surprenante, le Rogue Shadow est en vue.

— C’est impossible, répondit Juno du tac au tac, pensant qu’il s’agissait d’une simple erreur. Il a été détruit sur Cato Neimoidia.

Mais, au moment même où elle achevait sa phrase, elle l’aperçut qui accélérait doucement dans leur direction.

— Ça ne peut pas être lui, se dit-elle, saisie à la fois par la surprise et la culpabilité.

Puis une autre possibilité, plus plausible, lui vint à l’esprit.

— Les Impériaux doivent l’avoir capturé et l’utilisent comme couverture. Visez-le : déployez toutes les armes !

L’équipe de la passerelle s’affaira autour d’elle. Des sirènes d’alarme se mirent à hurler. Puis la voix de Kota retentit dans le com.

— Ici le général Rahm Kota, je demande la permission d’arrimer le Rogue Shadow au Salvation.

— Cela ne peut pas être lui, répéta-t-elle, entendant à peine le code d’autorisation qu’il avait donné. Ce ne se peut pas.

— Capitaine ?

Elle cligna des yeux.

— Si c’est un piège, il n’y a qu’un moyen de le savoir. Laissez-le s’amarrer. Nous l’accueillerons avec tous les soldats dont nous disposons.

— Bien, capitaine.

Elle se redressa et plaça les mains dans son dos. Elle avait les poings serrés.

Tu l’as abandonné, se répéta-t-elle. Tu as renoncé à lui. Tu l’as laissé là.

Le soulagement quelle aurait pu ressentir en apprenant qu’il avait survécu était enfoui sous le poids écrasant du remords.

— Garde Noir à Dame Noire, dit la voix de Kota dans le com.

— Je le prends, dit-elle en saisissant son comlink.

Nitram lui transféra directement la communication.

— Ici Dame Noire, dit-elle après avoir inspiré profondément. Quel est votre statut. Garde Noir ?

— Je suis à nouveau en piste, dit-il avec un plaisir évident. J’ai des renseignements sur une cible majeure que je ne peux éliminer seul. Crois-tu que cela peut intéresser l’Alliance ?

La réunion avec Mon Mothma, Garm Bel Iblis et Bail Organa était encore fraîche dans son esprit.

— Je pense qu’ils seront très intéressés, Kota.

— Bien. Les renseignements arrivent.

Une seconde plus tard, ils étaient sur la passerelle. Elle prit le datapad et fit défiler les dossiers. Elle vit des plans de bâtiments et de systèmes de sécurité, le déploiement des troupes : tout ce dont la flotte avait besoin pour assurer la victoire sur ce qui, à première vue, semblait être une sorte de base médicale Impériale. Non, réalisa-t-elle : une usine de clonage. Elle était située bien au-delà de la Bordure Extérieure, trop éloignée pour que des renforts arrivent à temps en cas d’attaque. Mais il s’agissait visiblement d’une cible importante, sans quoi elle n’aurait pas été cachée si loin des hyper-routes fréquentées. Ce devait être l’une des nombreuses installations ultra-sécrètes qui fournissaient des stormtroopers pour l’armée de l’Empereur en expansion.

— Ça a l’air intéressant, dit-elle en cachant l’excitation qu’elle sentait monter.

Il n’y avait qu’un problème : tant qu’elle ne connaissait pas la provenance des données, elle ne pouvait être entièrement sûre qu’il ne s’agissait pas de mauvaises informations, voire d’un piège.

— Où avez-vous déniché ces renseignements, Kota ?

Il y eut un silence. Elle eut l’impression d’entendre du mouvement à l’autre bout de la ligne.

— Il vaut mieux que tu voies ça par toi-même, finit-il par répondre. Nous serons à bord dans quelques minutes. Viens à notre rencontre.

— Est-ce que vous m’expliquerez aussi comment vous avez tué le Baron Tarko et comment vous vous en êtes sorti vivant sur Cato Neimoidia ?

Il y eut une nouvelle pause, plus brève que la précédente.

— Tu as fait ce qu’il fallait, Juno. J’aurais fait la même chose.

La ligne se déconnecta avec un clic.

Elle regarda le comlink dans sa main, elle se sentait épuisée et excitée à la fois. Le retour de Kota, avec ou sans les renseignements, constituait un changement radical pour l’Alliance. Désormais, la mission sur Cato Neimoidia pouvait vraiment être considérée comme un succès. Ils n’avaient rien perdu, au contraire, ils avaient réussi sur tous les fronts. À l’avenir. Mon Mothma aurait beaucoup de mal à s’opposer à ce genre de mission.

Si Kota était la botte, elle était entourée de velours. Nitram regardait Juno et son regard trahissait ses pensées – elle comprit soudain que c’était lui qui avait informé le commandement de l’Alliance de ses activités avec Kota. Lui, son loyal commandant en second, était aussi un soldat de l’Alliance loyal qui agissait toujours pour servir la cause. C’était bien naturel qu’il ressente le même conflit intérieur qu’elle avait ressenti en aidant Kota dans ses activités : il n’était pas un automate.

Au lieu de se sentir trahie, Juno n’éprouva que de la sympathie.

Pendant combien de temps s’était-il torturé l’esprit avant de décider de la conduite à suivre ? Pourquoi n’était-il pas venu lui parler ? Que ressentait-il maintenant que l’acte qu’il croyait juste se révélait totalement infondé ?

Il ouvrit la bouche comme s’il voulait dire quelque chose mais une alarme retentit et l’empêcha de parler. Il se retourna pour vérifier la console devant lui.

— Il y a un problème avec la batterie de senseurs à la proue, capitaine.

Elle examina les écrans autour d’elle.

— Des interférences de la nébuleuse ?

Ils avaient connu quelques avaries depuis que la flotte était stationnée là, conséquence des sinistres forces de la nature.

PROXY examinait l’incident lui aussi. Il leva ses yeux jaunes brillants.

— Peut-être. Je vais essayer de localiser le problème.

Elle réfléchit à de nombreux facteurs en même temps : l’arrivée de Kota, l’annonce d’une cible, cet étrange problème avec la batterie de senseurs…

Mis bout à bout, ces éléments devaient former un tout mais elle ne saisissait pas ce qu’elle devait en déduire.

— Ne prenons aucun risque, dit-elle en appuyant sur le bouton « toutes stations » de la console devant elle.

— Ici capitaine Eclipse, lança-t-elle.

Sa voix, diffusée dans tout le vaisseau, lui revint en écho. Elle poursuivit :

— Mettez en route les protocoles de défense dans tous les vaisseaux. Amorcez les boucliers et vérifiez les scanners afin de détecter toute présence ennemie.

Nitram hocha la tête, toujours occupé à scruter les écrans.

— Rien à signaler, capitaine.

— Continuez à surveiller, Nitram. Nous ne serons jamais trop prudents.

— Bien sûr, capitaine.

Sur un écran secondaire, elle aperçut le point qui représentait le Rogue Shadow occupé à se poser. Elle se demanda ce que présageait son arrivée. Quelque chose la tracassait, une sorte de pressentiment encore flou. Le sol bougeait sous ses pieds mais le paysage n’avait pas encore changé. Elle s’attendait à ce que son monde soit bouleversé à tout moment.

Une lumière clignota sur l’écran devant elle pour indiquer un appel privé de Viedas. Il voulait sans doute l’interroger au sujet de son alerte, même s’il n’y avait rien de mal à rappeler à l’équipage des vaisseaux qu’ils devraient être prêts à tout moment à être découverts et attaqués. La suffisance, et le manque de vigilance qui en découlait, avait tué bien plus de soldats que la soif de bataille.

Elle attrapa le comlink pour répondre à l’appel.

Une voix crépita dans le com avant qu’elle n’ait eu le temps d’ouvrir la bouche.

— Capitaine Eclipse, nous avons repéré cinq, non six petits vaisseaux de guerre qui se dirigent…

Ça y est, pensa-t-elle, en reportant son attention sur les écrans, le Lexi Dio, un bombardier d’assaut, était attaqué. Sa coque était grêlée de vives explosions. Les missiles provenaient de deux des sept petits vaisseaux qui filaient et slalomaient dans le ciel. Leurs pilotes étaient doués : les quatre missiles suivants fendirent le Lexi Dio du nez à la poupe, ce qui causa une décompression et entraîna la mort de tous ceux qui étaient à bord.

Horrifiée, elle s’agrippa des deux mains à la console. D’où sortaient ces vaisseaux ? Ils ne venaient pas de l’hyperespace, sinon la flotte les aurait remarqués. De même s’ils provenaient des champs d’astéroïdes tout proches… à moins d’être équipés d’un système de camouflage aussi sophistiqué que celui du Rogue Shadow, ce qui signifiait qu’ils n’étaient pas de fabrication Impériale standard.

La question de leur provenance céda la place à un problème plus urgent : les sept vaisseaux prirent pour cible le Salvation et se mirent à attaquer.

— Boucliers au maximum, ordonna-t-elle dans l’intercom. Ouvrez le feu. Toutes les batteries !

Un signal codé lui parvint du commodore Viedas. Autour d’elle, la flotte commença à se séparer. Il s’agissait de la procédure normale s’ils étaient découverts. Un nouveau point de rendez-vous se trouvait dans un cylindre de sécurité en possession du commandant de chaque vaisseau. Les vaisseaux survivants se regrouperaient à cet endroit et la flotte compterait ses pertes. Juno espérait ne pas connaître le même sort que le pauvre Lexi Dio.

Un missile franchit les boucliers et explosa dans la section d’ingénierie, faisant tressauter la passerelle sous ses pieds. Des lumières rouges se mirent à clignoter pour signaler des ouvertures et des dommages structurels près de l’hyperpropulseur. Quatre des sept vaisseaux visaient l’épine dorsale principale. Ils durent faire face à une solide opposition de la part de l’escorte d’Ailes-Y de la frégate. Juno vit l’un des trois vaisseaux hostiles restants heurter le Salvation juste à l’arrière du bloc opératoire. Le vaisseau n’explosa pas. Sa proue était encastrée dans la coque de la frégate : ses moteurs clignotèrent puis s’éteignirent.

— Il y a une brèche dans le vaisseau, aboya son commandant en second. Des stormtroopers montent à bord !

— Envoyez un détachement de sécurité au réacteur principal. Bouclez le système de survie.

Un nouvel impact, beaucoup plus fort, renversa l’équipage mais Juno s’agrippa à la console. Les systèmes de diagnostic de l’unité de senseurs à la proue étaient dans le rouge.

— Sortez les boucliers déflecteurs ! cria-t-elle dans l’intercom.

Encore un impact de cette intensité et la frégate serait perdue. Juno vérifia les caméras internes. Elles clignotaient sous l’effet des interférences. À travers l’épaisse fumée, elle aperçut son équipage qui luttait à la fois contre le feu et contre les troupes qui l’envahissaient. Celles-ci clignotaient et scintillaient comme si elles étaient équipées de systèmes de camouflage. Juno n’avait jamais vu une chose pareille. Heureusement, ils se battaient dans un environnement complexe, à l’intérieur d’un vaisseau. Leur camouflage était surtout efficace sur un décor immobile. Les endroits calmes n’étaient pas légion sur le Salvation en ce moment.

Le vaisseau ne pouvait prendre le risque d’effectuer un saut en hyperespace tant que l’hyperpropulseur n’avait pas été examiné. La seule stratégie envisageable pour le moment était le combat.

Une main métallique se posa sur l’épaule de Juno et elle vit les photorécepteurs jaunes de PROXY se pencher vers elle.

— Les balises de sécurité internes s’affolent, capitaine Eclipse, je pense que nous devrions…

Avant qu’il n’ait pu terminer sa phrase, des éclats brûlants parsemèrent la peau de Juno, suivis d’une vague de chaleur intense. Elle eut le réflexe de se baisser, comme tout le monde sur la passerelle. Des tirs de blasters percèrent le nuage : deux stormtroopers les canardaient avec des armes à forte puissance. La main droite de Juno empoigna le blaster accroché à sa ceinture. Elle ne l’avait encore jamais utilisé à bord de la frégate. Quand elle l’avait attaché une heure plus tôt, elle ne s’imaginait pas qu’elle allait vraiment devoir l’utiliser.

La botte de l’univers était entrée dans la danse.

Elle émergea de derrière la principale console d’écrans et tira deux coups rapides avant de se replier à l’abri et de répondre à nouveaux aux tirs. Le premier abattit un des troopers : elle entendit son respirateur siffler quand il tomba dans une pluie d’étincelles. Le deuxième manqua l’autre de justesse. Elle se prépara à lui tirer dessus une deuxième fois mais l’arrivée de quatre nouveaux troopers fit échouer ce plan.

Elle n’était pas la seule à défendre le vaisseau. Nitram était accroupi derrière un écran comme elle et arrosait les troopers de tirs à chaque fois qu’ils apparaissaient dans sa ligne de mire. PROXY avait récupéré le blaster d’un navigateur abattu et l’utilisait pour viser les envahisseurs. Le droïde affichait une silhouette en camouflage. Juno vit passer ses propres traits, avec un peu de Mon Mothma et de Leia. Ses transformations semblaient n’avoir ni rime ni raison, mais Juno n’avait vraiment pas le temps de s’y attarder pour le moment.

Le bruit de la bataille résonnait dans tout le vaisseau, pas juste sur la passerelle. Les soldats émettaient des rapports en un flux continu mais personne n’y prêtait attention. Deux troopers de plus s’effondrèrent près de l’entrée, abattus par des tirs concentrés des trois côtés. Juno roula sur le sol pour changer de position, couverte par Nitram. Il l’avait peut-être dénoncée à Mon Mothma mais, contre les Impériaux, elle pouvait lui faire confiance. Son but était d’empêcher les troopers d’atteindre la console principale, même si cela devait la tuer. C’était le symbole de son commandement. Ils ne mettraient pas la main dessus.

Au moment où elle abattait un nouveau trooper, la fumée se mit à tourbillonner bizarrement entre les murs où se trouvaient auparavant les portes de la passerelle. Juno fut parcourue de frissons. Des vaisseaux et des troopers équipés de systèmes de camouflage : comment était-elle censée affronter un ennemi invisible ?

Elle visa les tourbillons, non sans effet. Un tir chanceux atteignit le camouflage d’un des troopers et elle l’acheva d’un second coup bien placé. Mais elle n’avait aucune idée du nombre de troopers qui l’accompagnaient. Il pouvait ne plus en rester un seul ou y en avoir des dizaines de plus sur la passerelle. Peut-être que si elle tirait dans l’éclairage, ils seraient tous désavantagés ?

Au moment où elle eut cette idée, PROXY fut touché à la poitrine. Il tomba en arrière dans une pluie d’étincelles et un grincement d’entrailles fumantes. Elle était incapable de savoir d’où provenaient les tirs. Nitram fut le suivant : un ennemi invisible lui tira dans le dos.

Les muscles de sa mâchoire étaient comme des pierres. L’injustice de la bagarre la scandalisait. Elle chercha à tâtons le blaster lâché par PROXY dans sa chute, se remit debout et commença à tirer au hasard à deux mains en hurlant de rage et de frustration.

Le tir qui la mit hors d’état provenait du coin de la passerelle, là où la fumée était la moins épaisse. Le trooper était peut-être tapi là depuis plusieurs minutes, à son insu, attendant le bon moment pour frapper. Elle le lui avait offert et il ne s’était pas privé.

Le coup l’atteignit à l’épaule et l’assomma presque.

Son bras droit devint tout mou et le blaster qu’elle tenait dans cette main rebondit sur le sol. La douleur était inconcevable. Elle tomba sur un genou, serra les dents plus fort encore puis leva la main gauche pour tirer sur le trooper qui l’avait touchée. Elle visa bien. Le camouflage disparut en clignotant et, redevenu visible, il s’effondra en avant.

Sa satisfaction fut de courte durée. Une décharge d’énergie passa à toute allure devant elle et son pistolet explosa dans sa main. Elle le regarda, surprise d’avoir encore des doigts. Le tir provenait d’une sorte d’arme incapacitante, apparemment. Un trooper s’avança vers elle à travers la fumée, arme au poing, au cas où elle aurait gardé un autre blaster caché sur elle.

Elle n’en avait pas et personne d’autre sur la passerelle n’en avait. Ils étaient tous morts. La douleur dans son épaule s’accentua et le monde réel lui sembla gris et distant.

La silhouette s’approcha davantage. Elle semblait énorme. Ce n’était pas un trooper, comprit-elle dans son état de semi-conscience. Son armure était verte.

— Qui… ?

Il ne la laissa pas achever sa phrase. Son blaster lança un nouvel éclair aussi brillant que le soleil et Juno perdit connaissance.