CHAPITRE 6

Un jour plus tôt…

Juno jeta un dernier coup d’œil aux dômes pointus de la cité flottante d’Heurkea avant de plonger sous les vagues. Ses bâtiments ressemblaient à des coquillages lançant des reflets rouge et or dans la lumière de l’étoile principale du système de Mon Calamari. Ils ressemblaient plus à un amas organique qu’à une construction, comme le corail du récif de Mester au-dessous d’elle. Aucun des récifs ne dépassait au-dessus de l’eau et Juno était immergée jusqu’à la taille, ballottée par la mer tandis qu’elle observait la ville. Elle voulait garder de belles images en mémoire avant de respirer un air qui empestait le caoutchouc pourri.

Ackbar plongea sans hésiter, suivi une seconde plus tard par Bail Organa, qui avait enfilé une vieille combinaison de clone trooper marin. Dans son costume de plongée et son casque blanc dépareillé, il était ridicule – et Juno avait l’impression de l’être tout autant. Pour la première fois, elle ne redoutait pas de laisser ses armes dans un sac étanche jusqu’à ce qu’ils émergent de l’autre côté. Si quelqu’un les voyait sortir de l’eau, il ne les considérerait certainement pas comme une menace.

Les Quarrens étaient déjà sous l’eau. Juno retint instinctivement sa respiration, fit un pas en avant, quitta la surface rugueuse du corail et se laissa couler dans l’eau.

Elle était bleue et plus transparente que ce qu’elle avait imaginé. Le cargo était amarré hors de vue, à la base du récif, en toute sécurité. Il avait été amené là par pilotage à distance après le débarquement des dix conspirateurs. Juno distinguait sa proue presque aussi clairement qu’à travers l’air. En revanche, elle ne voyait pas où le groupe se dirigeait. Elle faisait confiance au sens de l’orientation des Quarrens et suivait leurs pieds qui fendaient l’eau avec force pour contourner le récif et atteindre la pleine mer. PROXY avait adopté la forme de Seggor Tels et utilisait ses répulseurs pour nager au lieu de couler jusqu’au fond. Juno s’efforçait de le distinguer du véritable Tels, au cas où.

Des courants favorables les portèrent pendant la moitié du trajet puis changèrent de direction quand le fond océanique se rapprocha, ce qui rendit leur progression plus difficile.

Heurkea était une véritable cité flottante, sans la moindre connexion structurale au substrat rocheux. Seuls quelques gros tuyaux partaient de la base ondoyante et s’enfonçaient dans la vase. Juno supposa que l’un d’eux servait à évacuer les déchets et qu’un autre servait à acheminer l’énergie géothermique, mais ce n’était pas le moment de s’interroger sur le fonctionnement interne de la ville. Quand le dessous de la cité apparut, elle chercha le conduit que Tels leur avait décrit. PROXY s’était introduit dans les plans de la ville et avait confirmé son existence. L’ouverture avait été condamnée au début de l’occupation Impériale, mais un équipement sous-marin de découpe au laser viendrait rapidement à bout de cet obstacle.

Elle aperçut une tache noire à la base de la cité. Elle fit signe aux autres pour attirer leur attention et leur montrer l’endroit. Elle aurait pu utiliser le comlink de l’équipement des troopers marins mais ils avaient choisi d’observer un strict silence radio.

Une lumière blanche se mit à briller quand l’un des apprentis de Siric activa l’équipement de découpe. Des bulles de vapeur s’élevèrent et s’aplatirent contre la coque de la cité, formant des lignes et des courants ondoyants.

Juno s’attendait à ce que des lumières clignotent et que des alarmes se déclenchent mais rien ne se produisit. Les Impériaux avaient visiblement assoupli les mesures de sécurité, du moins dans ce coin humide de la galaxie.

La lumière blanche s’éteignit dans un dernier éclair. La grille se détacha en un morceau circulaire qui sombra vers le fond de l’océan. Tels passa le premier, évitant soigneusement de toucher le métal encore chaud. Une minute plus tard, sa main réapparut pour faire signe que tout allait bien. Un par un, le reste de l’équipe le suivit dans le tuyau.

Juno nagea pendant dix mètres jusqu’à une échelle qui menait à un pont intermédiaire. Là, l’eau n’arrivait pas plus haut que les genoux et l’atmosphère était respirable. Elle fut contente de se débarrasser de son appareil respiratoire et inspira une bouffée d’air naturel, légèrement empreint d’écume. Le pont était illuminé par de faibles lumières clignotantes. On aurait dit que personne n’était venu ici depuis au moins une décennie. Ils se déplacèrent néanmoins aussi silencieusement que possible vers un niveau supérieur, complètement sec.

Là, Juno ôta sa combinaison de plongée et arrangea l’uniforme de pilote qu’elle portait dessous. PROXY reprit sa forme habituelle et la suivit, ses yeux jaunes clignotant dans la faible lumière.

— Tu te sens bien ? demanda-t-elle au droïde.

Ses circuits étaient stables, excepté un ou deux dérangements ponctuels, mais il était resté quasiment silencieux depuis son réveil.

— Y a-t-il quelque chose qui devrait m’inquiéter ? demanda-t-elle encore.

— Oh non, Juno, je m’occupe simplement de mon absence de programmation primaire.

— Cela affaiblit sérieusement ton fonctionnement ?

Elle se demandait si elle avait bien fait d’inclure PROXY dans la mission.

— Non, répondit PROXY, mais cela m’inquiète. J’ai été désactivé deux fois depuis Raxus Prime et, à chaque fois, cela tient du miracle que je sois de nouveau en état de fonctionner. Qui suis-je, sinon ma programmation primaire ? Que suis-je, si je n’ai pas de raison de fonctionner ?

Cela semblait une inquiétude très humaine à laquelle il n’était pas facile de répondre.

— Je suppose que tu es toi, tout simplement, répondit-elle. Et tu m’as l’air d’être en pleine forme.

— Je vous remercie, capitaine Eclipse. Cela me rassure un peu.

— Chaque être est la somme de ses expériences et de ses actions, intervint Bail Organa en s’approchant d’eux.

Il balança sa combinaison de plongée à côté de celle de Juno avant de poursuivre :

— Il arrive que nous ne connaissions pas notre programmation primaire jusqu’à ce que nous ayons vécu assez longtemps pour réfléchir avec du recul à notre vie.

— J’ai bien peur de ne pas savoir comment fonctionner dans ces circonstances, dit PROXY. Les droïdes ne sont pas conçus pour s’autoprogrammer.

— Je suis désolée, PROXY, dit Juno avec sincérité. Je ne me rendais pas compte que c’était si important pour toi. Tu aurais préféré que je ne te réveille pas cette fois ?

— Pas du tout, capitaine Eclipse. Je suis content de faire à nouveau partie de ce monde et j’espère que je recevrai une nouvelle programmation primaire un jour. Je ne suis quand même pas le seul droïde de ma classe en opération.

Juno n’en était pas si sûre. Elle n’avait jamais vu de droïde comme lui auparavant et elle pensait qu’il s’agissait d’une commande spéciale de Dark Vador, conçue des années plus tôt pour servir de jouet et de tuteur à son apprenti. Penser à Starkiller ne lui faisait aucun bien. Pourquoi pensait-elle tellement à lui ? À certains moments, elle aurait aimé que sa programmation primaire puisse être changée aussi facilement que celle du droïde. Cela lui jurait épargné beaucoup de peine.

Quand les Quarrens furent prêts, ils se rassemblèrent au sommet de la passerelle, où un corridor menait dans deux directions opposées.

— C’est ici que nous nous séparons, dit Ackbar. Siric, tu sais ce que tu dois faire ?

L’expert en explosifs et ses assistants tapotèrent leurs sacs imperméables et hochèrent la tête.

— Très bien, bonne chance. Vous agirez au signal de Seggor.

Ils s’éloignèrent tous les cinq dans l’obscurité peu rassurante, avançant à pas feutrés. Ackbar guida Juno, Organa, PROXY et Seggor Tels dans l’autre direction. Ils se déplaçaient en silence, bien conscients que la cité était entièrement aux mains des Impériaux. Ils ne pouvaient se fier à personne et portaient visiblement leurs blasters au cas où ils croiseraient quelqu’un dans les profondeurs des caves.

Autour d’eux, la ville bourdonnait et bougeait à la surface de la mer. On ne sentait pas le mouvement, on entendait juste des craquements et des grincements de soudures. Juno se demanda si ces cités flottantes connaissaient parfois des fuites, mais elle se dit que le moment était mal choisi pour poser la question. C’était le cadet de leurs soucis.

Ackbar et Tels échangèrent leurs positions quand ils atteignirent les niveaux supérieurs. Les Quarrens connaissaient les codes de sécurité de l’enceinte utilisés par l’escadron. Pour les obtenir, ils avaient soudoyé une équipe de maintenance qui avait brièvement travaillé pour l’administration de la ville. Tels avança doucement en tête – il se déplaçait avec confiance et discrétion le long des corridors métalliques. S’il était nerveux, il n’en laissait rien paraître.

Ils atteignirent l’un des sept postes de contrôle de la ville. C’était le moins fréquenté mais il était tout de même lourdement gardé.

Sept stormtroopers patrouillaient la zone et surveillaient de près quiconque approchait.

— À ton tour de te distinguer, PROXY, lui dit Juno. Tu as assimilé les dossiers Impériaux ?

Les générateurs holographiques du droïde se mirent à crépiter et à émettre des étincelles, tandis que son apparence faisait place à celle d’un humain blanc rondouillard et chauve en uniforme Impérial.

— Oui, capitaine Eclipse.

Sa voix avait aussi changé afin de correspondre à celle du commandant de l’escadron.

— Si vous voulez bien me suivre, ajouta-t-il.

— Désolée, s’excusa Juno auprès d’Ackbar en pointant son blaster sur lui.

Organa fit de même avec Tels.

— Vous savez que c’est juste pour faire illusion.

— Pas de souci, l’assura Ackbar en camouflant son propre blaster.

PROXY avança d’un pas confiant jusqu’à être en vue. Il mena les deux humains et les deux « prisonniers » de Dac jusqu’au poste de sécurité. Les gardes levèrent les yeux en le voyant approcher et se mirent au garde-à-vous.

— Commandant Derricote ?

— En effet, dit PROXY sans s’arrêter.

Le trooper qui avait parlé leva la main.

— Je suis désolé, monsieur, je dois enregistrer vos compagnons.

— Bien sûr. Il s’agit de deux informateurs et de deux membres de la résistance Dac qui doivent être interrogés d’urgence. J’ai des raisons de penser qu’une attaque est imminente.

Les troopers échangèrent des regards nerveux.

— Les codes de sécurité ? demanda le chef de l’escadron.

Juno cacha son angoisse. Pourquoi un stormtrooper demandait-il au commandant de l’escadron les codes de sécurité ? Quelque chose clochait.

Elle serra son blaster plus fort.

— Vingt, trente-cinq, dix-neuf, soixante-sept, dit PROXY sans hésiter, répétant l’information qu’il avait obtenue par effraction dans le réseau Impérial.

— Merci, monsieur, allez-y.

Les troopers s’écartèrent pour leur laisser franchir le poste de sécurité. Juno retint sa respiration en passant entre les troopers. Il aurait suffi que l’imitation holographique de PROXY se mette à clignoter et leur ruse aurait été découverte.

— Commandant Derricote, un instant s’il vous plaît.

PROXY s’arrêta mais ne se retourna pas.

— Qu’y a-t-il maintenant ? Vous ne voyez pas que je suis pressé ?

Juno ne saisit pas ce qui avait éveillé les soupçons du trooper. Un tir de blaster d’Organa l’attrapa à la gorge et le projeta en arrière. Un deuxième tir abattit le trooper le plus proche de lui et un troisième fit voltiger le suivant. La vitesse et la précision des trois tirs étaient aussi impressionnantes qu’inattendues.

Juno tira elle-même deux coups tandis que les deux groupes de gardes se dispersaient, ne laissant plus que quatre troopers pour répondre aux tirs.

Des éclairs d’énergie éclatèrent en tous sens. De petites explosions projetaient des fragments de plastoïde des murs et du plafond. La fumée épaississait l’air et fit pleurer les yeux de Juno.

Cela ne dura pas longtemps. Ackbar et Tels abattirent trois des troopers restants et le dernier tomba bientôt en avant sur un de ses collègues, touché par Juno et Organa des deux côtés simultanément.

— Jolis tirs, dit Juno au Sénateur en quittant son abri.

Le compliment était sincère. Il était à la fois plus rapide et plus précis qu’elle.

— Je manque un peu d’entraînement, rétorqua-t-il en scrutant le couloir pour voir si le remue-ménage avait été remarqué. Vous auriez dû me voir quand jetais à l’Académie…

Ils dissimulèrent les corps dans une armoire de rangement. Avec un peu de chance, personne ne remarquerait l’intrusion avant qu’ils n’aient mené à bien leur mission. PROXY garda l’apparence du commandant Derricote tandis qu’ils reprenaient leur marche rapide dans l’enceinte sécurisée.

Il y avait plus de monde que dans la ville. Des droïdes et des techniciens se pressaient dans les corridors mais, heureusement, plus aucun trooper n’était en vue. On leur jeta de temps en temps un regard méfiant et Juno se demanda pour quelle raison. Qu’est-ce qui clochait dans l’imitation de PROXY ? Quand ils atteignirent les baraquements vides de l’escadron, elle commença à comprendre l’erreur du droïde.

— Quel désordre ici, dit-elle en regardant les uniformes mal pliés et les bottes pas cirées.

Des pièces d’armes gisaient sur les lits à côté de rations renversées. Comme les hommes suivaient toujours l’exemple de leur supérieur, elle ne doutait pas que l’état des baraquements reflétait la personnalité du véritable Derricote.

— Qui sont ces types ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas, répondit Organa, mais nous devons nous dépêcher. Le briefing commence dans dix minutes.

Ils interceptèrent un passant et l’interrogèrent pour savoir où se trouvait le véritable commandant.

— À la pou-pouponnière, bégaya le technicien.

— Ils ont des enfants ici ?

Juno était encore plus choquée par cela que par le désordre. Elle n’aurait jamais permis pareil laxisme sous son commandement.

— Pour ses p-plantes, parvint à articuler le technicien. C’est comme ça qu’il ap-pelle sa serre.

Une fois qu’il leur eut fourni les indications pour s’y rendre, Organa le mit KO d’une simple tape adroite à l’arrière du crâne.

— Tels et moi, nous allons nous occuper du commandant, expliqua-t-il à Juno. Ackbar et vous, allez avec PROXY au briefing. Soyez convaincants.

— Nous ferons de notre mieux, l’assura Juno, bien qu’elle fût prise d’un doute grandissant : si Derricote était aussi négligé que ses pilotes, c’était sans doute l’apparence de PROXY qui les trahissait.

Ils se séparèrent. En se hâtant vers la salle de briefing avec Ackbar, elle donna des instructions à PROXY pour qu’il ressemble plus au Derricote original. C’est du moins ce qu’elle espérait.

— Détache encore un bouton. Desserre ton col. Retrousse tes manches aussi et décoiffe tes cheveux.

— Êtes-vous bien sûre que c’est mieux ainsi, capitaine Eclipse ? lui demanda le droïde.

— Aussi sûre que je puisse l’être, PROXY. Croisons les doigts.

Il n’y avait pas de garde à l’entrée de la salle de briefing. Ackbar et Juno se glissèrent au fond de la pièce tandis que PROXY montait sur le podium à l’avant. Les pilotes étaient vautrés dans leurs sièges et ne se mirent pas au garde-à-vous quand leur commandant entra. Même si elle avait quitté l’Empire depuis plus d’un an, cela faisait enrager Juno. Ces types ternissaient la réputation des pilotes.

Personne ne prêta attention au déguisement modifié de PROXY. Son préambule fut bref.

— Oubliez les horaires de vol qui vous ont été communiqués, dit-il. Je vous donne une nouvelle mission : vous allez vous entraîner en vol de démonstration au-dessus de la ville. Tous.

Il y eut des grognements, en particulier chez les pilotes qui venaient de terminer une mission.

— Est-ce que cela a un rapport avec la navette qui est arrivée hier soir ? demanda l’un d’eux.

— Cette information est confidentielle, répondit PROXY sans la moindre hésitation. Je veux que vous soyez dans les airs dans cinq minutes. Rompez.

Les pilotes protestèrent et ronchonnèrent mais ils se mirent lentement en mouvement.

Certains firent même mine de se presser. Cinq minutes auraient déjà été un délai très court pour un escadron bien entraîné. Juno n’aurait pas misé un crédit sur le fait que cette bande y parviendrait en dix ou en quinze minutes.

Tout de même, le délai était serré pour que les conspirateurs arrivent là où ils devaient être ensuite.

— Beau travail, PROXY, le félicita Ackbar quand la salle fut vide. Maintenant, nous retournons au point de rendez-vous.

Ils repartirent sur leurs pas dans l’enceinte sécurisée et repassèrent devant le poste de sécurité. Personne ne semblait avoir remarqué qu’il était hors d’état. Ils entrèrent dans la ville, où PROXY reprit son apparence normale. Aucune alarme ne fut déclenchée et ils n’entendirent pas de cris. Jusqu’ici, tout semblait fonctionner selon leur plan.

Les cinq Quarrens les attendaient dans les niveaux inférieurs mal éclairés. Ils se réhydrataient dans l’eau agitée. Ils communiquèrent par gestes pour indiquer que les charges étaient placées et que les détonateurs avaient été installés exactement comme prévu.

Jusqu’ici tout va bien, pensa Juno.

— Bail et Tels devraient déjà être là, dit-elle en vérifiant son chrono et en comptant les minutes qui s’étaient écoulées. Les chasseurs TIE du 181e escadron seraient bientôt en l’air, même en comptant qu’ils prenaient leur temps.

— Cherche-les dans le réseau de sécurité de la ville, PROXY. Ils ont peut-être été arrêtés quelque part…

— Inutile, cria le Sénateur depuis le sommet de la passerelle.

Il courut pour les rejoindre. Tels sur les talons. Ils poussaient leur prisonnier devant eux.

— Désolé de vous avoir retardés. Notre ami se déplace plus lentement que prévu.

— Que signifie tout cela ? ragea le vrai Evir Derricote, commandant du Groupe de chasse 181.

Il avait l’air encore plus négligé que l’imitation de PROXY, même si c’était peut-être le résultat de sa capture.

— Vous ne vous en tirerez jamais !

— Défaites ses liens, dit Ackbar quand le commandant fut devant lui. Nous avons un message pour l’Empereur. Quittez Dac et tenez-vous à l’écart du système Mon Calamari sinon…

Quelque chose bougea dans la pénombre. Ackbar saisit son blaster. Juno l’imita. Les Quarrens se rapprochèrent les uns des autres.

— Qui est là ? appela Organa. Sortez !

— Je pense qu’ils en ont dit assez, dit une voix. Emmenez-les.

— C’est un piège ! s’exclama Ackbar.

Deux dizaines de stormtroopers s’avancèrent dans la lumière, les armes pointées sur le groupe de conspirateurs qu’ils encerclaient. À leur tête se tenait un homme grand et mince portant l’uniforme de gradé de l’administration Impériale. Si haut gradé, en fait, que Juno n’avait jamais vu cet insigne en vrai. Il arborait un nez en lame de couteau et des yeux assortis. Sa bouche cruelle était pratiquement sans lèvres.

Ackbar le connaissait, de toute évidence. Il leva immédiatement son blaster pour lui tirer dessus mais un trooper le désarma d’un tir de blaster plus rapide encore.

— Il est inutile de résister, Ackbar, dit le personnage sévère.

Son ton était poli mais glacé. Il avança vers eux d’un air confiant, les mains derrière le dos.

— Nous sommes bien plus nombreux que vous. Jetez vos armes, je vous prie, ou je vous ferai exécuter sur-le-champ. Tous sauf vous, Ackbar. Je me réjouis d’avance de vous reprendre à mon service. Cela rappellera à mes autres esclaves qu’il est impossible de s’échapper.

La peau tachetée d’Ackbar prit une teinte jaunâtre.

— Je ne redeviendrai jamais votre esclave, Tarkin. Jamais.

Le Grand Moff Wilhuff Tarkin sourit froidement.

— Ce choix ne vous appartient plus désormais.

Derricote se libéra et se frotta les poignets.

— Merci, Grand Moff. Merci d’être venu me sauver.

— Ce n’était pas ma priorité mais j’accepte votre gratitude. Veillez à ce que cela ne se reproduise plus.

Tarkin se tourna vers Organa.

— Votre arme, Sénateur. Je vous ai demandé de la jeter.

Organa obéit et les autres aussi, à l’exception de Tels. Son arme resta dans sa main et aucun des Impériaux ne fit mine de régler le problème. Lentement, sans dire un mot, il s’avança pour les rejoindre.

— Pourquoi ? lui demanda Ackbar.

— Traître un jour, traître toujours, répondit Tarkin à sa place avec un ricanement triomphal. Messieurs les Rebelles, vous devriez choisir vos amis avec plus de soin. Il m’a contacté hier pour proposer de me rendre mon esclave en échange de plus de liberté pour son peuple et une place dans l’administration civile. Il n’aura ni l’un ni l’autre, bien sûr. Je n’ai pas la réputation de changer d’avis, surtout quand il s’agit de négocier avec des espèces étrangères.

Ce fut au tour de Tels de pâlir.

— Vous voulez dire que…

— Oui, baissez votre blaster et rangez-vous avec les autres pendant que je décide si vous êtes assez important pour que l’Empereur vous tue lui-même ou si je dois simplement me débarrasser de vous maintenant. Je penche pour cette dernière solution, ne fût-ce que pour éviter la corvée…

À ce moment-là, la ville fut secouée par une série d’explosions. Le sol trembla sous leurs pieds.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Tarkin au trooper le plus proche. Allez voir !

Une nouvelle suite d’explosions fit tomber une partie du plafond. Tels leva son blaster et tira sur les lampes pour les éteindre. Une obscurité totale envahit aussitôt les lieux. Dans la confusion, Juno plongea sur son blaster. Elle entendit un stormtrooper crier :

— C’est le 181e escadron, monsieur. Ils tirent sur la ville.

— C’est impossible ! explosa Derricote. Je ne leur en ai pas donné l’ordre.

— Venez vers moi ! ordonna Tarkin à ses hommes depuis la rampe. Venez vers moi !

Juno tira dans la direction d’où provenait la voix. Son tir fut perdu et l’explosion révéla le visage aux pommettes hautes du Grand Moff. Bientôt, l’espace fut un tourbillon de lumières et de sons tandis que de nouvelles explosions en chaîne faisaient trembler la ville, et que les deux parties échangeaient des tirs de blasters. Juno trouva Organa et se mit dos à dos avec lui. Elle admira la précision stylée de ses tirs. Quand il tirait, il atteignait presque toujours sa cible, même dans le noir.

Les stormtroopers battirent en retraite sur la rampe, suivant la voix du Grand Moff. Juno et les autres restèrent exactement où ils étaient, attendant que les échos de la dernière explosion s’évanouissent. Quand ce fut le cas, il y eut un silence béni, interrompu seulement par le cliquetis des débris et le clapotis de l’eau.

Une torche s’alluma, tenue bien haut dans la main d’Ackbar.

— Est-ce que nous sommes tous ici ?

Juno compta rapidement les personnes présentes. Tout le monde était là, à part PROXY et un des assistants de Siric qui avait été touché à la poitrine par un tir perdu. Organa trouva Derricote recroquevillé dans un coin de la pièce, les mains sur la tête. Il ne semblait pas avoir remarqué que les tirs avaient cessé, jusqu’à ce que le Sénateur le remette debout. Il clignait des yeux et semblait terrifié.

Il n’y avait pas la moindre trace de Tarkin.

Il a dû profiter de l’agitation pour s’enfuir, dit Ackbar, l’air déçu.

— Ne vous en faites pas, répondit Organa en lui tapotant l’épaule, nous l’avons presque eu et cela lui fera comprendre le message.

— Et nous avons toujours celui-ci, ajouta Tels en serrant le visage de Derricote entre ses longs doigts.

Il le fixa du regard, le relâcha puis ajouta :

— Pour ce qu’il vaut.

— Vous voulez dire que vous n’êtes pas… bégaya le commandant de l’escadron en regardant un visage après l’autre, l’air perplexe. Et vous êtes…

— Tous du même côté, oui, compléta le Quarren. Merci de votre aide.

— Mais je n’ai pas…

Juno se sentait presque désolée pour lui.

— Des explosions, prévues pour coïncider avec la démonstration que vous n’avez pas ordonnée. Personne ne sera dupe longtemps mais cela a eu l’effet voulu au bon moment, vous ne trouvez pas ?

Des pas retentirent sur la passerelle au-dessus. Ils levèrent les yeux et virent PROXY qui revenait. Le déguisement de Tarkin qu’il avait adopté pendant la bataille commençait à disparaître avec des crépitements électriques.

— J’ai mené les troopers dans la direction opposée au vrai Grand Moff, les informa le droïde. En ce moment, ils se rendent vers les rampes d’atterrissage pour arrêter les pilotes responsables.

— Beau travail, PROXY. Tout s’est presque déroulé à la perfection.

Derricote, encore sous le choc, regardait le droïde. Il commençait à reconstituer les événements dans sa tête.

— Qu’allez-vous faire de moi ? demanda-t-il.

— Rien, répondit Ackbar.

Il plissa les yeux.

— Rien ?

— Tarkin acceptera vos justifications, lui expliqua Organa, mais je dirais que votre carrière est à peu près fichue de toute façon. Les Grand Moffs n’aiment pas que leurs inférieurs attirent l’attention sur eux. Vous devriez faire profil bas pendant un temps. Si vous êtes encore en vie…

Le Sénateur le relâcha et Derricote s’éloigna lentement, comme s’il s’attendait à se faire tirer dessus à tout moment.

— Vous me laissez vraiment partir ?

— Oui, confirma Ackbar. Vous pourrez témoigner de ce qui se passe quand on interfère avec la résistance Dac.

Le commandant était bien trop occupé à courir le long de la passerelle pour promettre quoi que ce soit, mais Juno ne doutait pas que le message serait transmis. En très peu de temps, l’Empire avait été humilié et la résistance locale s’était renforcée. C’était l’incarnation même des méthodes de Kota.

Juno se demanda si Mon Mothma verrait les choses de cette façon quand elle l’apprendrait.

Quand ils furent seuls, Organa posa une main sur l’épaule de Tels et l’autre sur celle d’Ackbar :

— Inutile de dire quoi que ce soit… déclara-t-il en écho à la philosophie de Garm Bel Iblis. Les actions parlent plus fort que les mots.

— Dans ce cas, oui, dit Tels, les tentacules courbés en signe de gratitude. De la part des personnes libres de notre planète, merci de nous avoir montré que nous pouvions nous battre ensemble et que nous devions nous battre ensemble pour débarrasser notre planète du joug de l’Empereur. Nous nous joindrons à votre Rébellion tous ensemble, comme une planète unie, ainsi que vous nous l’avez montré.

— Est-ce qu’il parle aussi en votre nom, Ackbar ?

— Vous savez bien que c’est le cas, mon ami. Et je vous remercie, vous aussi.

Les grands yeux dorés d’Ackbar englobaient aussi Juno et PROXY.

— Nous devons déjà beaucoup à votre Alliance Rebelle, conclut-il.

— Ce n’est pas la nôtre, corrigea Organa.

Pendant un moment, Juno craignit qu’il ne déclare que c’était celle de Starkiller, comme Kota l’avait fait un jour sur Felucia. Organa poursuivit :

— La Rébellion ne peut appartenir à une seule personne, sinon elle ne vaut pas mieux que l’Empire. C’est la vôtre. Elle appartient à tout le monde. À nous tous.

— À nos morts aussi, ajouta Tels, en hommage au corps que ses compagnons avaient emporté en se préparant à quitter la ville. Nous avons déjà perdu un homme.

Ils restèrent silencieux pendant un moment. Juno pensait à Kota et à Starkiller, et elle se demandait ce qu’ils penseraient de cet étrange moment de communion entre trois espèces dans une cave pleine d’eau.

Il n’y avait plus moyen de le savoir maintenant.

Plus aucun moyen.