CHAPITRE 8

En se posant sur la lune de Dac, le transport cargo émit un bruit sourd étouffé par la poussière. Bail Organa, qui avait à nouveau enfilé son équipement de pilote, relâcha les commandes et mis les instruments en veille.

Personne ne les avait suivis pendant le court trajet. Qui prêterait attention à un vaisseau non-autorisé dans un endroit aussi peu intéressant ? Pour un certain temps au moins, ils passeraient inaperçus et seraient au-dessus de tout soupçon.

— L’emplacement n’est pas mal pour un palais d’été, décréta Juno tandis que PROXY se rendait à l’arrière pour faire chauffer le R-22.

— Vous devriez songer à vous installer ici.

— Le calme est tentant.

Le ton d’Organa était aussi ironique que le sien.

— Mais je ne pense pas que je vais m’installer quelque part de sitôt. L’Empereur finira par en avoir marre de me chercher et l’heure de réapparaître aura sonné. Il reste beaucoup à faire.

Sur ce dernier point, Juno était entièrement d’accord. Ils avaient discuté des plans du Sénateur en chemin. Il pensait être trop connu pour se faire tuer en public. Et, d’après Organa, si l’Empereur ne pouvait espérer l’assassiner à l’abri des regards, il le garderait près de lui pour le surveiller et s’appuierait sur d’autres méthodes pour éradiquer la Rébellion montante.

Juno supposait qu’Organa était la personne vivante qui connaissait le mieux l’Empereur, Dark Vador mis à part, mais elle se demandait s’il était secrètement aussi inquiet qu’elle l’aurait été à sa place. Peindre une cible sur sa tête et la placer dans la ligne de mire ne lui avait jamais paru une bonne stratégie de défense. Ni pour soi-même ni pour sa famille.

— Avez-vous une idée précise de ce que vous voulez entreprendre, demanda-t-elle ?

— Je devine la portée de votre question. Vous voulez savoir si je me rangerai du côté de Mon Mothma ou de Garni Bel Iblis.

— Tout juste, Sénateur.

— Eh bien, c’est une question difficile à trancher pour le moment. Avec l’appui de la résistance Dac, nous aurons bientôt plus de vaisseaux, mais cela ne veut pas dire que nous pourrons nous permettre d’être trop confiants. Un chantier naval ne nous permet pas de lutter à armes égales avec l’Empire. J’en suis content. Je me méfie du pouvoir strictement militaire. Il est difficile, voire impossible, d’oublier une leçon qu’on a apprise à ses dépens.

— À condition que nous ne nous fassions pas tous tuer en cours de route.

— À cette condition, oui.

Il la regardait, la joue posée sur une main.

— Et vous, où vous situez-vous, Juno ? Vous n’avez pas peur de l’action mais je vous imagine mal lancer votre propre révolution.

Elle n’éluda pas la question.

— Je pense que nous devons agir avec résolution mais aussi avec sagesse. Ce que nous avons accompli ici, par exemple, a fait bouger les choses. Et si nous avions pris Tarkin en otage, l’effet aurait été plus grand encore.

— Pensez-vous que cela aurait importé à l’Empereur que nous menacions de tuer Tarkin ? Je ne crois pas.

— Non mais cela aurait pu faire réfléchir ceux qui l’entourent. Quand le dirigeant de la galaxie ne lève pas le petit doigt pour sauver un Grand Moff, quel genre de message est-ce que cela envoie ?

— C’est vrai.

Il hocha la tête.

— À ce sujet, je suis d’accord avec vous. Il y a des lignes de faille et des leviers que nous pouvons utiliser pour agir en force à travers toute l’administration Impériale, et plus vite nous commençons à les utiliser, plus vite l’Empereur sentira la pression. Mais il ne faut jamais minimiser ni l’importance d’une victoire symbolique ni les risques. Il y a trop de choix et trop de choses en jeu, comme toujours. L’avenir nous jugera, ce n’est pas à nous de juger nos actes.

— Si nous avons un avenir…

— Oh, il n’y a pas de doute là-dessus, capitaine Eclipse. La question est plutôt : quel avenir aurons-nous ?

Juno sourit en remarquant qu’il avait finement évité d’apporter une réponse directe à sa question. Mais elle n’insista pas. Cela lui faisait plaisir de le voir et elle n’avait pas envie de gâcher ce moment avec des discussions politiques.

— Cela a été un plaisir de servir à vos côtés à nouveau. Sénateur Organa, dit-elle en lui tendant la main.

Il saisit sa main et la secoua.

— Le sentiment est partagé, capitaine Eclipse. J’espère que ce ne sera pas la dernière fois que j’aurai de vos nouvelles.

— C’est réciproque.

— Le poste vous est toujours ouvert, vous savez.

Elle roula des yeux.

— Le mieux que vous ayez à me proposer pour le moment, ce serait du transport mal payé. J’ai assez donné quand j’étais avec l’Empire.

Il rit et la salua tandis qu’elle se dirigeait vers la cale.

PROXY avait allumé les lumières d’atterrissage du R-22 et mis les répulseurs en marche.

Elle grimpa dans le cockpit et se glissa lestement à ses côtés, dans le siège du pilote. Quand l’écoutille fut refermée, Organa ouvrit les portes du hangar et elle guida le chasseur dehors dans la lumière lunaire grise. Juno leva la main pour lui dire au revoir, elle savait qu’Organa la regardait depuis l’un des ports d’observation à l’avant. Le transport cargo s’éleva, l’écoutille se referma lentement sur la cale vide.

— Tous les systèmes sont pleinement opérationnels, annonça PROXY. Nous sommes prêts à rejoindre la flotte pour le rapport.

Elle n’avait pas hâte. Elle ne savait pas exactement ce qu’elle devrait dire. Devrait-elle débriefer en priorité auprès de Leia ou rapporter les événements au commandement de l’Alliance Rebelle ?

— Nous devons d’abord trouver où la flotte se trouve exactement, dit-elle. Trace une trajectoire pour Malastare. C’est le meilleur endroit pour commencer les recherches.

— Bien, capitaine Eclipse.

Juno tapota sur le panneau de commandes tandis que PROXY effectuait les calculs d’hyperespace. La mission sur Dac avait été un grand succès mais lui avait laissé un léger sentiment de vide, comme si des opportunités avaient été manquées et qu’ils étaient passés à côté de l’essentiel. Elle ne savait pas d’où lui venait exactement cette impression. Peut-être simplement parce qu’à chaque fois qu’elle travaillait seule avec Bail Organa, Starkiller surgissait dans son esprit.

Sur Felucia, ils avaient discuté du mystère qui entourait son passé. Il voulait savoir si elle lui faisait confiance. Sur Corellia, ils avaient cherché PROXY pour que les informations que le droïde contenait ne tombent pas aux mains de l’ennemi. Cette fois, il n’avait pas été question de Starkiller mais elle n’avait pu s’empêcher d’y penser. Si Starkiller avait encore été en vie, Kota ne serait pas mort non plus ; si Kota n’était pas mort, ils ne se seraient pas retrouvés sur Dac. Son ombre s’étendait toujours sur la Rébellion, un an après son décès.

Elle s’agita dans son siège. Combien de temps faudrait-il encore avant qu’elle ne se remette de sa disparition ? Ne l’avait-elle pas assez pleuré ?

— Les coordonnées sont prêtes, lui dit PROXY. Vous allez bien, capitaine Eclipse ?

— Oui, répondit elle en se frottant les yeux et en tentant de se reprendre. Je vais bien. Donne-moi les commandes. Je vais nous conduire jusque-là.

— Bien, capitaine.

Le R-22 ronronna sous ses mains, prêt à faire tourbillonner la poussière. Elle inspira profondément. Elle se rappela que la vie c’était cela : le grondement des moteurs, le flux des données, la magie routinière du déplacement d’un point à l’autre à travers l’hyperespace. Cela lui avait manqué d’être directement aux commandes d’un vaisseau. C’est la seule chose quelle avait regrettée en acceptant de prendre le commandement du Salvation.

Elle se demanda brièvement comment Nitram et l’équipage s’en sortaient sans elle. Ils lui semblaient incroyablement lointains, comme s’ils n’étaient plus qu’un rêve.

Comme le passé qu’elle ne pouvait faire revenir.

— Ça suffit maintenant, s’ordonna-t-elle.

Elle mit les répulseurs en marche avec une fermeté qui la surprit.

Elle dormit brièvement et par à-coups pendant le saut en hyperespace. Le voyage depuis la Bordure Extérieure jusqu’à la Bordure Médiane, de l’autre côté de la galaxie, était long. Ils suivirent d’abord la liaison d’Overic jusqu’à Quermia, où ils rejoignaient la Route Commerciale Perlemienne, presque toujours encombrée. Le risque de se faire découvrir était plus grand là où la circulation était plus fluide, à Antemeridias. Ils empruntèrent donc une voie latérale qui suivait la Route Commerciale de Triellus, en contournant l’Espace Hutt tout le long des bras galactiques jusqu’à la Passe Corellienne. Là, ils empruntèrent une série de tronçons compliqués qui comprenaient des parties de la Passe des Épices de Llanic, la Route des Cinq Voiles et le Corridor Sanrafsix jusqu’à une planète inhabitée du nom de Dagobah sur la Route Commerciale de Rimma. Ils la suivirent jusqu’à la Voie Hydienne et atteignirent donc Malastare par l’autre côté.

Juno s’étira autant qu’elle put dans le cockpit exigu alors que la planète à forte gravité était en vue. L’orbite était encombrée de vaisseaux équipés de transpondeurs Impériaux et indépendants. Le dernier Magistrat avait été transféré parce qu’il avait la mauvaise habitude de tirer sur la population indigène pour se délasser. Depuis lors, la domination de l’Empire était contestée. Des quadripodes TB-TT conçus pour résister à la forte gravité combattaient des avant-postes Rebelles dans les déserts tandis que des groupes d’insurgés tiraient sur des représentants de l’Empire en ville. Les Dugs indigènes et les colons Grans se battaient avec férocité côte à côte pour maintenir leur indépendance. Juno espérait que les citoyens de Dac prendraient exemple sur Malastare pour mener à bien la résistance dans les mois à venir.

Même ici, réalisa-t-elle le cœur gros, des choses lui rappelaient le passé. L’ancien Magistrat en chef était Ozzik Sturn, qui avait été muté de Malastare sur Kashyyyk, où il avait eu un affrontement final avec Starkiller.

Des remous dans un étang, pensa-t-elle comme elle se l’était déjà dit sur Cato Neimoidia. Et Starkiller s’était avéré un galet particulièrement grand…

Elle prit les commandes et mit le cap sur Port Pixelito, la capitale de la planète et le plus grand spatioport. Trois chasseurs TIE volèrent en rase-mottes au-dessus d’elle mais elle les dépassa facilement. Contrairement à Dac et Cato Neimoidia, Malastare n’avait pas grand-chose à offrir à l’Empire, sinon les Impériaux auraient envoyé des masses de Destroyers Stellaires pour rappeler à la planète le sens de la loyauté. La campagne à petite échelle contre les citoyens Rebelles visait à leur rappeler qu’ils ne devaient pas se croire tout permis. Leur heure viendrait.

Port Pixelito était constitué d’un enchevêtrement de bâtiments bas et trapus, adaptés à la forte gravité. Le trafic aérien était moins dense et moins régulé, qu’ailleurs et Juno guida son R-22 soumis à la gravitation particulièrement forte vers un emplacement libre, sans devoir s’enregistrer auprès des autorités locales. Malastare était en effet un port libre pour non-impériaux, ce qui permettait à l’Alliance Rebelle de l’utiliser comme base pour redistribuer des marchandises et du personnel. Juno s’y était déjà rendue à plusieurs reprises avant d’être aux commandes du Salvation et y avait noué plusieurs contacts importants. L’homme quelle venait voir en faisait partie.

Le réparateur.

Quand le chasseur stellaire s’arrêta sur son emplacement, elle éteignit les moteurs et ouvrit l’écoutille. Les odeurs de la ville lui montèrent aux narines ; elle grimaça. Une administration civile sur le déclin n’avait pas que des avantages.

— Garde le vaisseau, ordonna-t-elle à PROXY. Si quelqu’un s’approche, imite un Wookiee du mieux que tu peux pour l’effrayer. Je ne serai pas longue.

— Bien, capitaine Eclipse. Je vous informerai de tout événement inattendu.

Elle vérifia que son blaster était chargé et se mit rapidement en route, toisant d’un air menaçant quelques types louches qui regardaient d’un peu trop près le R-22. Suite au conflit en cours, Malastare n’était pas un endroit très sûr. Les chasseurs stellaires avaient une valeur marchande et pouvaient être facilement trafiqués pour remplir d’autres fonctions. Laissé sans surveillance, le R-22 n’aurait pas tenu une heure.

Juno sortit du spatioport et s’arrêta pour regarder autour d’elle. Les rues avaient pas mal changé depuis sa dernière visite. Un des bâtiments qui lui servait de point de repère avait disparu, probablement démoli par une frappe aérienne d’un camp ou de l’autre. Les passants doublaient Juno en grommelant avec impatience. Elle repéra plus d’une dizaine d’espèces pendant les dix premières secondes.

Là. Elle avait trouvé le panneau qu’elle cherchait et elle se fraya un chemin dans la foule pour le rejoindre. Composé de pixels jaunes et verts clignotants, il promettait des réparations sans poser de question. Il pendait au-dessus de l’entrée d’un bâtiment vert à deux étages qui aurait pu autrefois abriter un petit théâtre. Des graffitis qui annonçaient la dernière course de podracers couvraient presque entièrement les murs du sol au plafond. Elle avait assisté à un de ces spectacles à grande vitesse la dernière fois quelle était venue : même son pouls avait fait la course.

Juno passa la porte et croisa un vieil insectoïde Riorien qui serrait un gyrostabilisateur cabossé contre sa poitrine. Il lui dit quelque chose dans un dialecte quelle ne comprit pas puis s’éloigna rapidement.

— Encore un client satisfait, dit le Gran derrière le comptoir en souriant plein d’espoir.

Il la regardait en clignant de ses trois yeux protubérants dans la faible lumière. Deux singes-lézards Kowakiens, peut-être un couple reproducteur rare, se poursuivaient sur les rayonnages supérieurs couverts de pièces détachées poussiéreuses. Leurs rires stridents retentissaient dans l’espace confiné.

— Je cherche votre patron, dit-elle au Gran. Le réparateur.

— Y a beaucoup de gens qui le cherchent. Qui a dit qu’il était ici ?

— Il ne va jamais nulle part. Dites-lui que Juno est là.

Le Gran hésita puis baissa son museau pour parler dans un comlink fixé au comptoir. Juno ne comprenait pas sa langue maternelle mais elle entendit son nom mentionné au moins deux fois.

Une voix répondit dans le même dialecte et le Gran fit un signe de tête en direction des étagères.

— Vous connaissez le chemin ?

— Oui, si vous ne l’avez pas changé.

Le Gran appuya sur un bouton caché et une partie du mur se déroba, glissant latéralement. Juno s’engouffra dans l’ouverture et attendit que le panneau se referme derrière elle. Il y eut un moment de noir et de silence complets puis le panneau intérieur émit un clic. Elle le fit glisser sur le côté et pénétra dans l’atelier.

C’était un capharnaüm de composants de vaisseaux stellaires, de membres de droïdes, de photorécepteurs, de senseurs, de fils électriques, de processeurs, de générateurs de champs, d’unités environnementales et autres. Des piles de pièces détachées s’étendaient jusqu’au très haut plafond, tandis que d’autres pendaient suspendues dans des filets tendus d’un coin à l’autre. Plusieurs rampes d’accès montaient ou descendaient vers d’autres couches et Juno savait que les niveaux les plus enfouis contenaient les composants nécessaires pour fabriquer des armes et pour infiltrer les ordinateurs. Beaucoup des machines cassées qui aboutissaient dans le magasin contenaient des informations relatives aux activités de l’Empire et l’Alliance Rebelle avait déjà obtenu des informations utiles en exploitant ces fuites involontaires et mis la main sur du matériel militaire à partir d’éléments récupérés ou complètement reconstitués.

Elle se dressa sur la pointe des pieds et regarda autour d’elle, tentant de voir au-dessus des piles.

— Par ici, Juno, lança une voix familière. Passe par ici.

Une mèche de cheveux blonds était tout juste visible de l’autre côté de la pièce. Elle se fraya un chemin dans les passages étroits de l’atelier vers le centre, où le propriétaire était en train de travailler. Le principal établi avait changé de place mais il était aussi encombré que la dernière fois qu’elle était venue.

Les fragments d’une multitude de machines couvraient la surface disponible, ainsi que les outils les plus sophistiqués, qu’ils soient matériels, soniques ou laser. Tandis qu’elle approchait, le propriétaire posa la lance sur laquelle il travaillait et releva sa visière.

— Eh bien, eh bien ? C’est donc toi ! Prends un siège et raconte-moi d’où tu viens. Tu n’écris pas, tu n’appelles pas… Je commençais à m’inquiéter.

Elle tira un tabouret jusqu’à l’établi et se percha dessus avec soulagement. Elle souffrait atrocement des chevilles à cause de la forte gravité.

Celui qu’on appelait le réparateur et qui l’était bel et bien, Berkelium Shyre, était un technicien humain qui vivait sur Malastare depuis plus de dix ans et, malgré quelques problèmes initiaux, il avait réussi à surmonter la transition du gouvernement Impérial à l’indépendance. Il était large d’épaules et particulièrement musclé grâce aux conditions planétaires, et sa loyauté aux Rebelles n’avait d’égal que sa maîtrise des machines. Juno n’avait aucune idée de son âge car la fraîcheur de ses traits et de sa peau était entachée par des rides de stress et d’inquiétude, dont elle ignorait l’origine. Ils s’étaient liés d’amitié au cours des mois où elle avait résidé ici pour aider la Rébellion à renforcer son emprise sur la planète. Ils avaient passé un nombre incalculable de soirées à discuter de tactiques en arrosant leur conversation de whisky Corellien bon marché. Depuis, il lui avait envoyé de temps à autre un message enjoué pour lui dire que tout allait bien dans son ancien territoire. Elle avait été trop occupée pour lui répondre.

— Je cherche la flotte, lui dit-elle. Tu sais où elle s’est déplacée ?

— Eh là, pas si vite, répondit-il avec un sourire. C’est vrai, quoi. Raconte-moi d’abord ce que tu deviens. Je ne le laisserai pas partir tant qu’on n’aura pas eu au moins un semblant de conversation.

Elle détecta une légère méfiance dans son ton et se demanda s’il la soupçonnait d’avoir changé de camp. C’était un souci compréhensible et rassurant. Il ne devait pas révéler l’emplacement de la flotte sans certaines assurances, même à quelqu’un qu’il pensait connaître.

— Bon, tu sais que j’ai été promue, commença-t-elle.

— Tu me l’as dit la dernière fois que tu es venue ici. Tu nous as manqué dans le secteur. Comment est-ce que ça se passe ?

Elle ne voulait pas lui parler de son contretemps avec Mon Mothma, mais elle finit par le faire. Cela faisait du bien de vider son sac. Avec Shyre, elle avait toujours pu parler ouvertement. Il était lui même très direct et accueillant. Elle ne vit aucun jugement dans ses yeux bleus pétillants.

— Suspendue, hein ?

Il repoussa quelques fusibles sur son établi avec la pointe d’un tournevis magnétique.

— Cela doit être difficile.

— Bah, j’ai été très occupée.

— Je m’en doute. Tu ne peux pas t’en empêcher. Et ton droïde, il fait toujours des siennes ?

— En fait, non. Il est réparé maintenant. Plus de pépins visuels, surtout. En revanche, il est parfois inquiet de ne plus avoir de programmation primaire. J’imagine que tu ne peux pas m’aider ?

Il secoua la tête.

— J’ai bien peur que non. Avec des unités spécialisées comme PROXY, il faut probablement remplacer tout le noyau.

— C’est ce que je pensais. Hélas, c’est une pièce plutôt difficile à trouver. Merci quand même.

— De rien, Juno.

Il y eut un silence, bref mais gênant.

— Et la flotte ? insista-t-elle.

— Elle n’est pas loin d’ici, répondit-il sans la quitter des yeux. Dans la Bordure Intérieure, près de la Voie Hydienne. Tu as déjà entendu parler de Nordra ?

— Non, dit-elle, mais je trouverai.

— Reste dans le coin et ils te trouveront.

— Merci, Shyre.

Elle sauta prudemment du tabouret en veillant à ne pas se tordre une cheville.

— Attends, dit-il en lui prenant le bras. Tu dois vraiment t’en aller si vite ?

— J’ai des lieux à visiter, des Empereurs à renverser, blagua-t-elle.

— Mais tu viens à peine d’arriver. Tu ne m’as pas dit comment tu te sens, à quoi tu penses…

Elle ne se rappelait pas avoir jamais parlé de ce genre de choses avec quiconque et ce fut à son tour de se demander ce qui se passait. Se pourrait-il qu’il ait averti des agents Impériaux qui étaient peut-être déjà en train de converger vers elle ?

Elle essaya de se dégager mais il la tenait trop fermement. Elle réussit tout de même à le déséquilibrer et le système de rotation du tabouret de Shyre grinça. À partir de la taille, il n’était que machine. Il avait perdu ses jambes aux premiers jours de l’indépendance de Malastare, quand un détonateur thermique s’était déclenché en plein milieu d’une escouade de saboteurs qu’il aidait, le laissant estropié à tout jamais. Il avait conçu sa prothèse lui-même et avait abandonné le combat actif pour le soutien en coulisses. Il affirmait être tout à fait satisfait de son sort.

Mais il y avait ces rides d’inquiétude…

Serait-il capable, se demanda-t-elle, de livrer ceux qu’il tenait pour responsables de sa vie gâchée ?

— Laisse-moi partir, Shyre.

Il s’exécuta immédiatement.

— Désolé, Juno. Je ne voulais pas me montrer aussi insistant. J’aimerais juste que tu restes.

— Je reviendrai, ne t’inquiète pas.

— Non, je veux dire, que tu restes ici. Avec moi.

Elle comprit soudain le sens de ses paroles et se sentit complètement stupide d’avoir si mal interprété les signes. La trahison était la dernière chose à laquelle il pensait.

— Non, dit-elle en reculant.

— Écoute-moi, implora-t-il, il faut que je te dise ce que j’ai sur le cœur. Tu es partie trop vite la dernière fois et tu ne réponds jamais à mes messages.

— Je ne veux pas entendre ce que tu as à me dire. Je ne peux pas l’entendre.

— Tu as peut-être besoin de l’entendre, dit-il avec bien plus que de la simple insistance dans la voix. Tu as le cafard depuis que ton ami a été tué. Je ne sais ni qui il était ni ce qui lui est arrivé mais je vois bien ce qu’il signifiait pour toi. Je te comprends et je sais que tu avais besoin d’une période de deuil, pour lui, pour ce que tu avais perdu. Crois-moi, je comprends très bien.

Il frappa du poing sur le métal de son tabouret mécanique.

— Mais cela fait plus d’un an maintenant. Tu ne penses pas que c’est le moment de tourner la page ?

Elle se détourna pour cacher les larmes qui lui montaient aux yeux. Était-il temps ? Oui, probablement. Non, ce n’était pas l’impression qu’elle ressentait. Starkiller lui venait si facilement à l’esprit. C’était comme s’il était encore avec elle, même dans la mort. Elle ne pouvait tourner la page tant qu’il n’avait pas disparu. Mais quand cela se produirait-il ? Peut-être jamais et elle ne voulait pas donner de faux espoirs à Shyre. C’était un homme bien : il était beau, intelligent, loyal, courageux et avait bon caractère. Il méritait mieux qu’elle. Elle n’était même pas capable de lui parler maintenant. Encore moins de lui donner ce qu’il voulait.

— Je suis désolée, dit-elle. Je pense qu’il vaudrait mieux que tu arrêtes de te faire du souci pour moi et que toi, tu tournes la page.

Il ne dit rien pendant un long moment. Quand il parla enfin, son ton était résigné mais pas empreint de ressentiment.

— D’accord, dit-il. J’espère que tu n’as pas une moins bonne opinion de moi parce que j’ai tenté ma chance.

— Non, le rassura-t-elle en se tournant vers lui. Et l’espère que tu n’as pas une moins bonne opinion de moi parce que j’ai dit non.

— C’est impossible, répondit-il avec un sourire courageux.

Elle serra son épaule large, brièvement impressionnée par les muscles durs comme le roc, puis fila.

Après l’obscurité confinée de l’atelier, la lumière extérieure lui sembla particulièrement vive et le bruit assourdissant. Au lieu de se rendre directement au spatioport, elle parcourut les rues à la recherche d’un vendeur de nourriture dont elle se souvenait, un vieux Cantrosien plein de sagesse qui préparait les meilleurs nouilles Pashi qu’elle n’ait jamais goûtées. L’odeur familière et très puissante des épices lui changea les idées presque immédiatement. Elle réussit à chasser de son esprit le regard triste de Shyre pendant assez longtemps pour penser au trajet qu’elle allait emprunter vers la Bordure Intérieure. Les interdicteurs stationnés sur la Voie Hydienne étaient nombreux, aussi bien les pirates que les Impériaux. Il ne fallait pas se faire attraper par l’un d’eux.

Cela fait plus d’un an maintenant. Tu ne penses pas que c’est le moment de tourner la page ?

Tandis qu’elle traversait la foule pour retourner à la baie d’atterrissage, elle crut apercevoir le chignon argenté de Kota s’élever au-dessus des têtes, dans une foule de mercenaires occupés à marchander. C’était impossible, évidemment. Il était tombé sur Cato Neimoidia plus d’une semaine auparavant.

Elle secoua la tête et se remit en marche en se réprimandant sévèrement. Si ses amis morts surgissaient en hallucinations, c’est quelle était vraiment coincée dans le passé.