CHAPITRE 14

Juno reprenait difficilement conscience à travers la fumée épaisse et suffocante. Elle avait rêvé quelle était à bord de l’Empirique, enchaînée et suspendue des semaines durant, les poignets à sang et les épaules horriblement douloureuses. La douleur semblait bien réelle et incessante depuis son réveil, particulièrement dans sa main gauche et son épaule droite. Elle hurla d’une voix presque audible.

— Réveillez-vous, capitaine. Vous devez marcher maintenant. Mes troopers sont attendus ailleurs.

Des lumières l’aveuglèrent. Elle sentit une piqûre aiguë dans sa nuque. Une substance gicla dans son sang avec un sifflement. Elle fut soudain en état d’alerte et sentit un goût de métal dans sa bouche. Elle était maintenue debout par deux stormtroopers en armure, sa tête ballottait en avant et ses pieds frottaient le sol. Ses muscles tressautèrent. La douleur fusa.

Soudain pleinement consciente, elle se débattit puis tenta de s’éloigner de la silhouette en armure qui se tenait devant elle. Le casque gris et vert en duraplast s’approcha de son visage.

— Nous pouvons nous passer de vous, capitaine Eclipse, dit l’homme. Je vous préviens : ne m’embêtez pas trop.

La froideur de son ton la convainquit plus que les mots.

Elle arrêta de se débattre et se tint le plus droit possible. Un troisième trooper utilisa des liens pour entraver ses mains devant elle. Le mouvement tira sur son épaule blessée et provoqua un nouvel accès de douleur. Elle se souvenait d’avoir été touchée par un tir de blaster puis plus rien. Quelqu’un avait appliqué un bandage de fortune sur sa plaie. C’était mieux que rien mais ça l’empêchait de deviner la gravité de la blessure. Les doigts de sa main gauche étaient brûlés et rouges mais fonctionnaient encore.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas encore tuée ? demanda-t-elle à l’homme en vert.

Il en était certainement capable à en juger par l’arsenal impressionnant de lames, de lance-roquettes, de lance-flammes stratégiquement réparti sur son corps, sans parler du fusil blaster EE3 qu’il tenait dans la main.

— Tant que je serai en vie, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour reprendre le contrôle du vaisseau, lança-t-elle.

— Ce n’est pas votre vaisseau que je veux.

D’une main gantée, il fit un geste en direction des troopers, qui disparurent. De l’autre, il attacha une chaîne aux liens de Juno.

— Quand mon employeur en aura fini avec vous, vous pourrez récupérer votre vaisseau, ça m’est complètement égal.

— Votre employeur ?

Il se retourna et tira fermement sur la chaîne. La douleur dans son épaule effaça toute pensée. Elle n’avait d’autre choix que de le suivre. Des étoiles dansèrent devant ses yeux pendant un moment et, quand elles disparurent, les troopers étaient déjà loin. Son geôlier l’entraînait le long d’un passage ouvert dans la structure du vaisseau par une série d’explosions. Il y en avait plusieurs du même genre, si elle se souvenait correctement des données transmises par PROXY avant que la passerelle ne soit envahie. Il était difficile de projeter sur les plans originaux du vaisseau la trajectoire qu’ils empruntaient, mais elle pensait qu’ils se dirigeaient vers la batterie de communication principale.

— Si vous avez un employeur, vous êtes un chasseur de primes, dit-elle pour tenter d’en savoir plus. Vous êtes différent des Impériaux que j’ai vus jusqu’ici. Mais vous utilisez des troupes Impériales… J’imagine que vous connaissez des gens haut placés. Est-ce que le Grand Moff Tarkin râle encore pour ce que nous avons fait sur Dac ? C’est de cela qu’il s’agit ?

Le chasseur de primes ne répondit rien. Ils tournèrent à un coin et débouchèrent sur un conduit vertical.

— Vous avez un jetpack mais moi pas, lui fit-elle remarquer. Comment voulez-vous que j’escalade entravée de la sorte… ?

Il siffla : un câble et un harnais furent lancés depuis le haut du puits. Il les mit en place autour de sa taille en lui serrant les bras contre le corps. Elle se prépara à l’ascension mais, malgré tout, quand le câble se mit en mouvement, elle faillit perdre connaissance. La douleur était inimaginable. Celui qui avait bandé sa plaie s’était plus soucié d’arrêter l’hémorragie que de la soigner.

Le grondement des propulseurs du chasseur de primes rendit toute discussion impossible. Juno se concentra pour imaginer un moyen de se sortir de cette situation. Ses liens étaient très serrés, au point que ses mains commençaient déjà à s’engourdir. Impossible de les dégager. Son blaster était probablement resté sur la passerelle et elle n’avait aucun moyen d’appeler à l’aide, à part en hurlant. Elle n’avait pas vu la moindre trace des membres de l’équipage en chemin. Il y avait beaucoup de chance pour qu’ils soient occupés ailleurs ; le chasseur de primes devait avoir utilisé ses troopers pour détourner l’attention de l’équipage.

Sa meilleure chance de s’échapper se présenta à la fin de leur voyage, quand les liens se détachèrent et que ses mains furent libres : mais elle espérait encore une diversion qui lui donnerait un avantage. Blessée comme elle l’était, elle ne pouvait attaquer un chasseur de primes lourdement armé et espérer prendre le dessus.

Le câble s’arrêta net près d’un trou creusé dans la paroi du vaisseau. Le chasseur de primes la rejoignit et se posa sans problème sur le rebord. Ses propulseurs s’éteignirent avec un sifflement. Il l’attrapa et la porta jusqu’au pont. Juno ne se débattit pas.

Un pas de travers quand le câble était détaché et la chute serait mortelle.

Les bruits de la bataille lui parvenaient : tirs de blasters, explosions, hurlements, cris, pas précipités dans toutes les directions. L’air était imprégné d’une odeur lourde et dangereuse, comme si le vaisseau lui-même était blessé. Elle espérait que les gardes quelle avait postés aux endroits critiques avaient réussi à repousser au moins une partie des attaquants. Si elle devait mourir bientôt, elle ne voulait pas que son dernier fait de guerre connu soit la destruction de son vaisseau.

— L’Alliance vous offrira le double de ce que votre employeur vous paie, lui proposa-t-elle.

Il ne répondit pas et continua à la traîner dans son sillage dans le corridor de fortune noirci par la fumée.

— Vous êtes un homme de principes, alors ?

— C’est plutôt une question de carrière. Votre Alliance ne survivra probablement pas assez longtemps pour régler mes premiers honoraires.

— Vous êtes trop confiant, comme l’Empereur.

— J’ai des raisons de l’être. Il a du crédit.

— C’est lui qui vous emploie.

Il ne répondit pas.

— Ça doit être Tarkin, alors, poursuivit-elle, en pensant : essaie de le faire parler. Tôt ou tard, quelque chose finira bien par lui échapper. C’est le seul qui a une raison de me capturer. Il veut que je devienne son nouvel esclave, c’est ça ?

Il l’ignora.

— Qui, alors ? Qui se donnerait cette peine ?

— Il ne s’agit pas de vous.

— Mais vous avez besoin de moi. Pourquoi ?

Une idée lui vint soudain.

— C’est à cause de Kota. À cause de ce que lui et moi avons fait sur Cato Neimoidia. Ça doit être ça… Mais je ne pensais pas que le Baron Tarko avait de telles relations…

— Silence !

Le chasseur de primes avait ralenti, comme s’il sentait un danger devant eux. Elle écouta mais n’entendit que le bruit d’une démolition au loin, dont l’écho lui parvenait au travers du sol et des murs. On aurait dit qu’un droïde de destruction avançait dans le vaisseau et se dirigeait vers elle.

— Dites-moi au moins comment vous avez découvert la flotte, insista-t-elle. Qui avez-vous torturé pour obtenir cette information ?

Il ne répondit pas.

Derrière eux, du métal se déchirait et du verre se brisait. Le chasseur de primes se retourna et leva son fusil. Quelque chose ou quelqu’un était en train de monter par le sol, à une dizaine de mètres de là.

Juno, abasourdie, regarda une silhouette entièrement vêtue de noir surgir d’un nouveau trou dans le sol, faisant tournoyer dans les airs deux lames bleues brillantes. Le chasseur de primes tira trois coups précis en rafale. Les tirs d’énergie furent déviés vers les murs, où ils se déchargèrent avec des éclairs brillants. Dans leur lumière, Juno aperçut le visage de l’homme qui courait à présent vers elle.

C’était lui.

Le temps s’arrêta. L’univers s’écroula autour d’elle. Les lois de la nature s’annulèrent et tout ce qu’elle pensait savoir fut réduit à néant.

Elle le voyait. C’était impossible, pourtant il n’y avait pas le moindre doute. Son cœur bondit au moment où les pièces du puzzle se mirent en place, formant un nouveau motif, affreux. Elle comprit qui le chasseur de primes cherchait vraiment et qui avait fomenté ce plan. Le motif lui sembla soudain clair, tandis que tout le reste s’effondrait.

Starkiller fonçait droit dans un piège et elle servait d’appât.

Elle était au bord de l’hystérie. D’abord Kota et maintenant lui. Est-ce que tous les morts ressuscitaient ?

D’autres questions l’envahirent.

Il est de retour… mais comment ? Et comment le chasseur de primes était-il au courant avant moi ?

Le temps reprit son cours. Son cœur se remit à battre. Elle n’avait plus l’occasion de penser. L’homme qu’elle avait aimé courait vers eux, son visage était un masque de détermination féroce et elle savait qu’il l’avait vue, lui aussi.

Elle ouvrit la bouche pour le mettre en garde mais le chasseur de primes la poussa dans une embrasure de porte, hors de vue. Elle s’arrêta net, retenue par la chaîne tendue, et se mit à genoux pour chasser l’angoisse qui la submergeait. Derrière elle, Starkiller cria son nom mais la seconde syllabe fut recouverte par une formidable explosion.

De la fumée et des débris jaillirent du corridor et emplirent la pièce. Même si elle n’était pas dans la ligne directe de l’explosion, elle fut tout de même arrosée par les débris. Elle se couvrit la bouche et ferma les yeux une seconde trop tard. Clignant des yeux, toussant, assourdie, elle était à deux doigts de perdre à nouveau connaissance. Le chasseur de primes la remit sur pied de force et la tira dans le corridor.

À travers ses larmes, elle vit un énorme trou là où Starkiller s’était tenu. Des gouttes de métal fondu retombaient en pluie dans l’espace caverneux en dessous.

— Si vous l’avez tué, commença-t-elle à dire.

— Vous êtes aussi folle que lui, rétorqua le chasseur de primes d’un ton méprisant.

Il courut dans le corridor en la tirant derrière lui. La chaîne était secouée en tous sens et les maillons coupants lui meurtrissaient les poignets. Entre la douleur et les efforts pour maintenir l’équilibre sur le sol irrégulier, elle n’avait plus envie de parler. Elle ne savait toujours pas où le chasseur de primes remmenait, mais il semblait beaucoup plus pressé qu’avant.

Ils quittèrent le corridor brûlé et pénétrèrent dans une zone relativement intacte. Juno eut l’impression de reconnaître l’endroit, et son hypothèse se confirma quand son geôlier et elle atteignirent une double porte ouverte. Ils arrivaient dans la cale. Elle était vide, à l’exception d’une dizaine de caisses et du cadavre de deux membres d’équipage Rebelles. Une faible lumière rouge clignotait le long des parois. Juno se demanda à nouveau si le réacteur fonctionnait encore.

Le chasseur de primes la tira à l’intérieur de la pièce et ferma les portes derrière eux. Tandis qu’elles glissaient, Juno aperçut quelque chose qui bougeait dans l’ombre au-dessus sans pouvoir distinguer de quoi il s’agissait. Ce n’était pas le bras de déchargement, non, c’était beaucoup plus gros que cela.

Derrière eux, les bruits de destruction redoublaient. Le chasseur de primes courut jusqu’aux doubles portes identiques de l’autre côté de la cale, tirant sa prisonnière derrière lui comme une enfant récalcitrante.

— Vous n’imaginez pas à qui vous avez affaire, lui dit-elle.

Elle ne reçut que le silence en réponse.

Les portes devant eux commencèrent à s’ouvrir pour révéler une vue jaune-orange sur la Nébuleuse Itani. La bataille pour le contrôle de l’espace autour du Salvation se poursuivait. Des armes d’énergie projetaient des éclairs et des explosions. La lumière des étoiles se reflétait aussi bien sur l’épave que sur les vaisseaux de combat.

De l’autre côté du champ de force qui empêchait l’espace de les aspirer se trouvait un transport d’un genre que Juno n’avait jamais vu auparavant. Trop compact pour un cargo mais trop trapu pour un chasseur stellaire, il était beaucoup plus haut que large ou profond, ce qui lui faisait un profil particulièrement inhabituel. Il avait la même apparence fonctionnelle et sophistiquée que le chasseur de primes à côté d’elle. Juno ne doutait pas que ce vaisseau lui appartenait.

— Dommage qu’il se trouve de l’autre côté du champ de force, remarqua-t-elle. Qu’est-ce que vous allez faire ?

Tandis que, dans leur dos, le fracas de métal déchiré se faisait plus fort, le chasseur de primes appuya sur un des boutons de son gant droit et se retourna pour faire face à l’ouverture.

Juno se dit que le moment était venu : l’attention du chasseur de primes était détournée, elle agrippa fermement la chaîne et la lui arracha des mains. En même temps, elle se balança en arrière sur une jambe et le frappa de toutes ses forces dans le dos, le poussant en direction du champ de force. Profitant qu’il perdait l’équilibre, elle courut vers les autres portes, espérant trouver le bouton d’activation pour les ouvrir avant qu’il ne se rétablisse.

Ce qui se déroula ensuite fut presque trop rapide pour quelle réalise ce qui se passait vraiment.

D’abord, les portes s’ouvrirent violemment, défoncées par un choc incroyable en provenance de l’autre côté.

Puis le champ de force s’effondra et tout ce qui se trouvait dans la pièce fut aspiré par le vide infini de l’espace, y compris elle-même et la silhouette noire qui venait d’apparaître derrière les doubles portes défoncées. Juno perdit l’équilibre et se cogna l’épaule. Étourdie par la douleur, elle se serait mise à tourbillonner hors de la cale sans pouvoir s’arrêter si un câble jeté autour de sa taille ne l’avait ramenée de force vers le chasseur de primes.

Au même moment, un missile trapu qui dépassait de son jetpack fut propulsé vers l’extérieur. À mi-chemin entre la cale et le vaisseau, sa pointe se déplia en un grappin qui, un instant plus tard, s’accrochait au flanc du vaisseau.

Juno fut tirée par le câble en forme de lasso jusqu’à arriver à portée du chasseur de primes. Il ne semblait pas affecté par l’atmosphère qui se raréfiait à toute vitesse. Il lui plaqua un respirateur sur le visage et se jeta hors de la cale en l’emmenant avec lui.

Elle rua et se débattit mais il la tenait fermement et, entravée par le câble, elle n’était pas de taille à lutter. Son cri de rage et de frustration embua le masque du respirateur. Pendant un moment, elle ne distingua plus ce qui se passait. Ils s’arrêtèrent brusquement. Elle crut d’abord que c’était parce qu’ils avaient atteint le vaisseau du chasseur de primes, mais une rapide volée de tirs de blaster en provenance de l’intérieur de la cale, suivis par le son poussif du rétracteur de grappin qui forçait lui révéla qu’il se passait tout à fait autre chose.

Elle retint sa respiration, maudissant la visière embuée et souhaitant que la vue se dégage plus vite. Dans la lumière ardente de la nébuleuse, elle aperçut la silhouette du Salvation, des jets scintillants jaillissaient des multiples brèches par où l’air s’échappait dans le vide. Des flammes s’élevaient derrière plusieurs fenêtres en transparacier. Des corps chutaient comme des étoiles mortes, trop nombreux pour qu’on puisse les compter.

Accroché à la porte de la cale, résistant à l’appel du vide intersidéral, alors que les portes essayaient de se fermer sur lui, Starkiller essuyait les tirs du chasseur de primes. Il tendit une main dans la direction de Juno, les doigts serrés comme s’il tenait un objet invisible. Il tentait de la ramener à l’aide de la Force.

Le moteur du grappin gémit un ton plus haut encore. Ce n’était plus qu’une question de temps avant que quelque chose ne lâche : le câble ou le moteur qui essayait de le rembobiner. Juno n’en doutait pas. Starkiller avait déjà déplacé des Destroyers Stellaires entiers. Affronter un simple moteur était un jeu d’enfant pour lui.

Le chasseur de primes se pencha et appuya sur un autre bouton de son gant. Pendant une seconde, cela sembla n’avoir aucun effet. Puis, dans la cale derrière Starkiller, quelque chose de vaste et d’anguleux se mit à bouger.

Des étincelles volèrent en gerbes, Starkiller se retourna en fendant l’air de ses deux sabres laser. Juno sentit la force qui la tirait vers le Salvation diminuer puis disparaître totalement quand les portes de la cale se refermèrent sur Starkiller.

Juno ne pouvait plus retenir sa respiration. Elle se mit à pester contre son geôlier, le traitant de tous les noms, usant de termes quelle n’avait plus prononcés depuis son entrée à l’Académie. Elle donna des coups de pied et lui frappa la poitrine sans se soucier du mal que cela faisait à son épaule. La douleur s’enfonçait dans les profondeurs de son corps. Tout son être souffrait atrocement.

Il était en vie. Elle l’avait vu. Elle était assaillie d’un millier de questions, qu’elle n’avait pas envie de poser mais qu’elle devrait affronter plus tard car elles ne disparaîtraient jamais.

Comment avait-il survécu ?

Où avait-il passé cette dernière année ?

Pourquoi avait-il disparu alors que l’Alliance Rebelle avait tant besoin de lui ?

Pourquoi ne lui avait-il rien dit ?

Pour le moment, c’était assez affreux d’être emmenée loin de lui sans pouvoir rien faire – ni elle ni personne d’autre – pour empêcher cela.