CHAPITRE 25

Starkiller courut et dépassa Dark Vador pour rejoindre l’endroit où gisait Juno, disloquée, sur le rebord du toit de la tour de clonage. Son esprit fut submergé par un mélange d’horreur et de culpabilité. Il ne l’avait pas vue ramper pour saisir le sabre laser, il n’avait deviné son plan désespéré qu’à la dernière minute. Et c’était son inquiétude qui avait alerté Vador, il en était sûr. Son ancien Maître et lui avaient réagi exactement en même temps. Si Starkiller avait bougé un instant plus tôt, avait eu une fraction de seconde en plus pour réfléchir au problème, il aurait poussé Vador comme Vador avait poussé Juno, il l’aurait empalé sur la lame avant que celle-ci ne soit balayée au loin. Au lieu de cela, il n’avait pensé qu’à sauver Juno. Une fois de plus, sa tentative avait échoué.

Il la tira à l’aide de la Force avant qu’elle ne tombe du toit mais le craquement sinistre de ses os quand elle s’abattit sur le sol ne laissait pas le moindre doute. Sa tête était rabattue sur le côté et ses yeux ne le suivaient pas pendant qu’il courait vers elle.

— Juno !

Une main gantée de noir attrapa son épaule. Il se dégagea en hurlant de rage. Ses sabres laser volèrent à travers l’espace pour rejoindre ses mains et s’allumèrent instantanément. Les deux lames bougeaient en tandem : il frappa son ancien Maître avec toute sa force, toute sa rage et tout son chagrin. Dark Vador para les coups mais de justesse. Starkiller avança sans fléchir et le Seigneur Noir tituba vers l’arrière.

Au lieu de poursuivre l’attaque, Starkiller fit mine d’aller vers Juno mais, une fois encore, Dark Vador s’interposa sur son passage.

— Écartez-vous de mon chemin.

— Tes sentiments pour elle ne sont pas réels, dit Vador sans bouger.

— Pour moi, ils le sont.

Starkiller attaqua à nouveau le Seigneur Noir mais Vador parvint à le repousser.

Avec un sentiment de désespoir exacerbé, il vit exactement comment la bataille allait se dérouler. Son ancien Maître et lui danseraient comme des marionnettes tandis que Juno agoniserait, si elle n’était pas déjà morte. La guerre faisait rage autour d’eux, pas affectée le moins du monde par cette tragédie mineure. Comparée à la souffrance de la galaxie, Juno n’était qu’une combattante de la liberté tombée au champ d’honneur. Une perte humaine parmi les innombrables victimes de la bataille de Kamino. Mais celle-ci n’était pas morte au combat ou pour sauver la vie d’une personne en danger. Elle avait été tuée par les manigances d’un homme torturé, un homme à l’obstination infinie qui n’acceptait jamais ni d’abandonner, ni d’admettre une erreur, encore moins d’établir un compromis.

Starkiller ne savait rien des origines du Seigneur Noir mais il savait ce qu’il était devenu. Il tenait plus du monolithe que de l’homme, son ombre planait sur l’Empire, jetant l’obscurité partout où il passait. Mais quelle était la source de ce fléau ? Quelle psychologie tordue l’avait conduit à un état pareil, prêt à risquer sa vie pour empêcher le clone de son apprenti raté d’approcher du corps de celle qu’il aimait ?

Soudain, Starkiller comprit. Dark Vador avait cherché cet instant depuis le début. Le vrai danger pour Juno n’était pas les clones comme lui mais ce Vador qui voulait la tuer pour déstabiliser Starkiller et l’amener à foncer, tête baissée, du Côté Obscur, poussé par la colère et le désespoir. Là où Starkiller avait vu de l’espoir, là où il avait été prêt à sacrifier son destin pour donner à la femme qu’il aimait une chance de vivre, son ancien Maître n’avait vu qu’une opportunité de trahir : sans Juno, quelle raison avait encore Starkiller de vivre et de se battre ? Il n’avait ni famille, ni amis, ni alliés. Vador avait prévu depuis le début que Juno serait le catalyseur qui causerait la chute de Starkiller. Son attaque précipitée n’avait fait qu’avancer le moment critique.

Starkiller voyait les choses bien différemment. Ce n’était pas la mort de Juno qui devait mettre un point final à la formation de Starkiller. C’était celle de Dark Vador. Il l’avait bien cherché. Si Vador avait accepté de laisser partir Starkiller, rien ne se serait produit. Si Starkiller était mort ou s’il avait été libre de chercher Juno, de toute façon, il ne serait jamais revenu sur Kamino de son plein gré. Il serait allé n’importe où sauf ici.

Mais Dark Vador était incapable de renoncer. Cette immense usine de clonage en était la preuve. Il avait élevé Starkiller pour en faire un monstre et il atteindrait ce résultat coûte que coûte. Même la mort de Starkiller ne mettrait pas fin à son projet. Même si cela nécessitait des milliers de réincarnations et la mort de billions d’innocents, Dark Vador n’abandonnerait pas. Son obstination, son incapacité à accepter la défaite constituaient à la fois sa plus grande force et sa plus grande faiblesse.

Tous les clones étaient détruits. Pour autant que Starkiller le sache, il était le dernier : c’était au moins une vision d’évitée. Quoi qu’il arrive, aucune copie de lui ne tomberait plus dans le piège machiavélique de Dark Vador.

Ils se battirent comme les anciens Seigneurs Sith, avançant et reculant avec rage sur le toit de la tour, insensibles à ce qui se passait autour deux. Starkiller poursuivait ses efforts pour rejoindre Juno et Dark Vador faisait tout ce qui était en son pouvoir pour l’en empêcher. Aucun des deux ne voulait capituler. Aucun des deux ne voulait céder. Leurs volontés étaient liées.

Ils se séparèrent, les sabres laser sifflant sous la pluie incessante. Un éclair déchira le ciel et dessina des milliers de lignes dentelées. Le tonnerre gronda. Aucun d’eux ne sentit la bataille faiblir.

— Laissez-moi partir, lui demanda Starkiller, qui paraissait calme alors qu’il bouillonnait intérieurement.

Son cœur battait à toute vitesse et ses poumons brûlaient :

— Vous m’avez tout pris. Vous devez bien voir que je ne vous servirai plus jamais maintenant.

— Tu te trompes, répondit Vador. Je t’ai tout donné.

— Ça ?

Starkiller fit un geste en direction du corps inerte de Juno. Il ne savait pas si elle respirait mais il en avait encore l’espoir.

— Vous n’avez rien fait pour moi.

— C’est ton destin de détruire l’Empereur. Toi et moi, ensemble.

Et voilà, pensa Starkiller. Encore cette promesse. Dark Vador devait comprendre quelle n’avait plus aucun sens pour lui à présent. Il l’avait formulée tant de fois par le passé sans jamais la tenir.

À moins que… Une couche de compréhension plus profonde remonta à la surface de son esprit. Jusqu’où l’Empereur, le Maître de Dark Vador, était-il allé pour le créer ? Et jusqu’où irait Dark Vador pour obtenir sa revanche ? Pour accomplir son destin de Sith ?

— Les Rebelles veulent détruire l’Empereur, dit Starkiller. Pourquoi ne travaillez-vous pas avec eux au lieu d… ?

Vador l’attaqua avant qu’il ne puisse achever sa phrase. Le mélange explosif de coups mit Starkiller en mauvaise posture. Ses mots avaient visiblement touché un point extrêmement sensible. Pendant un bref moment, le plan presque parut bien inspiré. Si Dark Vador combattait aux côtés de Kota, rien ne serait impossible pour l’Alliance.

Mais c’était un rêve. Les Rebelles ne feraient jamais confiance à l’apprenti de l’Empereur et Vador lui faisait comprendre qu’il ne voulait pas de ce plan non plus. La véhémence de sa réaction ne laissait pas place au doute.

Starkiller se retrouva repoussé presque au bord de la tour de clonage. Un pas de plus et il tomberait. Sa chute permettrait à Vador de l’emporter. Cela ne causerait probablement pas sa mort mais cela mettrait fin à la bataille.

Elle devait se terminer maintenant, sinon, elle risquait de ne jamais finir.

Les coups pleuvaient sur lui, les uns après les autres, l’obligeant à reculer. Il devait y avoir un moyen de se libérer et de venger Juno par la même occasion… mais l’impasse semblait bien réelle. Le moindre mouvement le mettrait dans une position indéfendable.

Puis l’idée jaillit. Une position indéfendable était exactement ce qu’il lui fallait.

Il sauta. Dark Vador le vit venir et fendit l’air de son sabre avec une force surpuissante, faisant voler le sabre laser de Starkiller en morceaux. Starkiller bondit à nouveau sur Vador et son sabre laser droit subit le même sort que le gauche. Il recula, vaincu, et regarda son ancien Maître.

— C’est ta dernière chance, décréta Vador.

Il se pencha sur Starkiller, la pointe du sabre laser fermement pointée sur sa poitrine.

Starkiller leva les yeux vers le masque noir, sûr de deux choses. Vador ne voulait pas le tuer. Non par clémence ou par compassion. Le Seigneur Noir avait investi bien trop de temps et d’énergie afin de recréer son ancien apprenti ; il ne gâcherait pas tout cela. Pas quand il semblait sur le point de vaincre, Juno était morte ou mourante. Starkiller était désarmé et impuissant. Toute personne rationnelle envisagerait au moins l’offre de Vador.

Starkiller était sûr d’une deuxième chose : le meilleur moyen de vaincre Dark Vador est de le laisser croire qu’il a gagné.

Il pensa à Wedge Antilles et dit :

— Le risque ne me fait pas peur.

Des deux mains, il envoya une vague d’éclairs vers l’entaille que Juno avait percée dans le panneau de contrôle situé sur la poitrine de Vador.

Le Seigneur Noir tituba en arrière, décontenancé par ces représailles inattendues. Starkiller bondit sur ses pieds et le suivit, maintenant son attaque d’éclairs et utilisant la télékinésie pour arracher le sabre laser des mains affaiblies de Vador. Des nappes d’énergie déferlaient sur le toit mouillé. De la fumée et de la vapeur s’élevaient en une spirale tortueuse. Le gémissement plaintif de Vador prit un ton désespéré.

Il mit un genou en terre. Starkiller se tint au-dessus de lui. Le sabre laser de Vador se balançait dans la main de son ancien apprenti. La lame s’arrêta sur sa gorge. Un simple mouvement de la lame et Vador serait mort, enfin.

— Attends, dit une voix derrière lui.

Starkiller se figea. Il se souvenait de la vision où il était poignardé dans le dos. Mais tous les clones étaient morts. Et il n’avait pas besoin de tourner la tête pour reconnaître son interlocuteur, qui lui aussi le voyait sans le regarder.

Des pieds bottés martelèrent les flaques d’eau tandis que Kota et les membres de son escouade gravissaient la rampe en courant et l’entouraient, pointant leurs armes sur Vador. Starkiller ne bougea pas. Il garda son sabre laser contre le cou de Vador, prêt à terminer ce que le Seigneur Noir avait commencé.

— Pourquoi attendre ? demanda-t-il. Vous avez autant envie que moi qu’il meure.

— Oui, bien sûr.

Le général ne cachait pas le fiel dans sa voix. Il poursuivit :

— Mais pas encore. Pas tant qu’il ne nous a pas livré les secrets de l’Empire.

— Vous voulez le faire prisonnier ?

— L’emmener sur une base Rebelle où nous pourrons l’interroger puis lui intenter un procès pour crimes contre République.

Starkiller sentit la main de Kota sur son épaule.

— Et puis nous l’exécuterons pour montrer à la galaxie que nous n’avons plus à le craindre.

Pendant quelques secondes, les seuls sons provenaient du respirateur rauque de Vador et de la tempête qui redoublait de furie. L’eau ruisselait sur le visage de Starkiller. La main de Kota le maintenait fermement et son geste ne cherchait pas à le rassurer. C’était plutôt une mise en garde.

Kota ne comprenait pas : Starkiller n’était absolument pas menacé par le Côté Obscur. Il ne basculerait pas s’il tuait Vador.

— Si je le laisse vivre, dit Starkiller, il me hantera pour toujours.

Le général se rapprocha et murmura à voix basse pour que seul Starkiller puisse l’entendre :

— N’oublie pas que Vador est le seul à savoir si tu as survécu et comment. S’il meurt, il ne pourra jamais te dire si tu es l’original.

Starkiller regarda Kota. Le visage du général semblait sincère. Il croyait ce qu’il disait, même si cela lui faisait de la peine. Dans n’importe quelle autre circonstance, Kota aurait pris plaisir à tuer Vador lui-même, mais il argumentait dans le sens contraire, une main serrée sur la poignée de son sabre laser pour signifier sa détermination.

Starkiller regarda Vador, agenouillé sous la pluie, le sabre laser contre la gorge, qui attendait que Starkiller termine sa formation et accomplisse ce que Vador lui-même n’avait jamais été capable de faire : tuer son propre Maître.

De toute façon, pensa Starkiller, je l’ai vaincu.

C’était la seule chose qui comptait encore.

Il désactiva son sabre laser et se retourna. Kota prit immédiatement sa place, tenant son sabre laser contre la poitrine de Vador tandis que les soldats Rebelles se rapprochaient.

— Trouvez quelque chose pour le ligoter, ordonna Kota, vite !

— Bien, général.

Starkiller ne s’attarda pas. PROXY était agenouillé près du corps de Juno, il cherchait des signes de vie. Starkiller courut vers eux et se jeta à genoux aux côtés de Juno. Ses yeux étaient fermés. Des cheveux mouillés étaient collés sur son front sans vie et sans couleur.

— Est-ce qu’elle est… ?

— Je suis désolé. Maître, dit le droïde, je ne peux pas la ranimer.

Les traits de Juno apparurent sur la surface de métal de PROXY puis s’évanouirent.

— Je vous ai encore déçu.

Starkiller entendit à peine les paroles de PROXY. Il la prit dans ses bras et la serra contre sa poitrine. Son corps était encore tiède malgré la pluie.

— Ce n’est pas ta faute, PROXY. C’est la mienne.

— La vôtre, Maître ? Est-ce que votre programmation primaire ne fonctionne plus correctement non plus ?

Tout ce que Starkiller voyait, c’était de la fumée, des nuages de tempête et les dégâts d’une guerre.

— Je n’aurais jamais dû te laisser ici, Juno, lui dit-il, même si les mots ne pouvaient plus rien pour elle. Je n’aurais jamais dû revenir…