CHAPITRE 9

Dagobah était une petite planète verte et marron sans lune. Elle semblait complètement inhabitée et un examen plus approfondi confirmait cette impression. Starkiller inspecta également le reste du système. Il se demanda s’il ne s’était pas trompé de planète mais aucun doute n’était possible. Les planètes voisines étaient bouillonnantes, sans atmosphère, gelées ou gazeuses. Il n’y avait nulle part d’autre où aller s’il voulait survivre plus d’une minute à l’extérieur.

Pour la centième fois, il se demanda ce qu’il fabriquait là.

Il n’avait toujours pas de réponse.

Mon Calamari avait été un cul-de-sac complet. L’administration Impériale était en effervescence suite à des actes récents de résistance, il avait tout juste réussi à s’introduire dans les archives pour découvrir que personne du nom de Juno Eclipse n’était officiellement venu sur la planète, surtout pas dans la dernière semaine. Aucun autre moyen de recherche ne s’offrait à lui, il avait donc été obligé de partir et d’imaginer une autre solution. Malheureusement, une fouille approfondie à l’aide de la Force s’était révélée vaine. Soit elle était morte, soit elle se trouvait dans l’hyperespace. Ou bien elle se cachait. La dernière solution était la plus plausible, évidemment, mais il avait attendu longtemps avant de procéder à une nouvelle recherche, qui n’avait à nouveau rien donné. Si elle était en chemin vers une destination précise, le trajet était particulièrement long.

Frustré, il avait examiné une carte de la galaxie et était tombé sur un nom que Kota avait mentionné : Dagobah. Starkiller n’en avait jamais entendu parler et les dossiers du vaisseau n’avaient rien de précis à ajouter, à part sa localisation. La seule information dont il disposait, c’était la brève mention faite par Kota.

Va dans les forêts de Kashyyyk ou les grottes de Dagobah, là où tu crois que tu trouveras ce dont tu as besoin et laisse mourir la galaxie.

Les forêts de Kashyyyk lui rappelèrent des souvenirs de feu de bois et le visage d’un homme qui avait dû être son père. Le père du Starkiller original. Il avait trouvé son nom de baptême sur cette planète mais ce n’était pas là-bas que sa quête le menait à présent. Il allait de l’avant ; il ne remontait pas en arrière. Son instinct lui disait qu’il n’y avait plus rien sur Kashyyyk pour lui désormais.

Le problème, c’était les paroles de Kota. Avait-il mentionné Dagobah pour une raison précise ou tout à fait par hasard ? La Force le guidait-elle d’une façon que même lui ne comprenait pas ?

De toute façon, Starkiller n’avait pas d’autre piste à suivre. Kota avait mis le cap sur Commenor depuis longtemps, Starkiller s’était du coup dirigé vers le secteur Sluis et avait filé vers cette planète éloignée aussi vite que le lui permettait le Rogue Shadow.

Il était arrivé mais il ne savait pas s’il trouverait quelque chose ou s’il serait encore plus perdu qu’avant.

Il rasa l’atmosphère de la planète, camouflé avec précaution au cas où quelqu’un l’observait. Il ne détecta pas la moindre trace de Juno mais sentit une aura omniprésente qui émanait de ta planète. Comme Felucia, où le Starkiller original avait combattu Shaak Ti et sa jeune apprentie Zabrak, cette planète diffusait la Force avec intensité. Une multitude de formes de vie se développaient dans la riche biosphère. Il était donc étonnant que personne ne se soit installé ici.

La vie est une bonne chose en soi, raisonna-t-il, mais les choses vivantes ne sont pas toujours bonnes les unes pour les autres. Peut-être Dagobah était-elle infestée de prédateurs géants ? Peut-être sa faune dévorait-elle tout ce qui bougeait ? Peut-être y avait-il même quelque chose qu’il n’était pas capable d’imaginer ?

Il allait devoir se montrer prudent s’il se posait là.

Allait-il vraiment le faire ?

Il pesa le pour et le contre avec le plus de minutie possible.

D’un côté, il n’avait aucune raison de penser que quoi que ce soit d’utile à sa quête se trouvait sur cette planète. D’un autre, Kota n’était pas un imbécile et possédait des connexions à la Force qui lui étaient propres et qui auraient pu devenir apparentes si elles avaient été explorées plus en profondeur.

C’est son instinct qui le convainquit. Sa première idée quand il avait quitté Vador avait été de chercher Kota. Une fois qu’il l’avait trouvé, il avait été déçu que celui-ci ne puisse pas lui dire où se trouvait Juno mais peut-être était-ce en cela que le rôle de Kota avait été important ? Faire demi-tour maintenant risquait de le laisser encore plus perdu, même s’il ne voyait pas où ce chemin pouvait le mener. À tout le moins, il pourrait dénicher un endroit idéal pour méditer. Il avait expliqué à Kota qu’il en cherchait un.

Il se fia à ses sens pour manipuler les commandes du Rogue Shadow et obéit à son instinct pour descendre dans l’atmosphère. Il chercha un endroit pour se poser sans danger.

Ce n’était pas facile. La canopée était dense et cachait un terrain traître et marécageux. D’épais nuages étaient accrochés à des promontoires et à des chaînes de montagnes basses, ce qui ne les rendait visibles qu’au radar. Il imagina des milliers d’yeux affamés qui l’observaient quand il survola la planète. Il se décida finalement pour une étroite bande de terrain isolé, visible à travers un trou dans la couche nuageuse. Le Rogue Shadow descendit en piqué dans un grondement des répulseurs et se posa sur le sol couvert de mousse verte. Rien ne surgit des sous-bois pour tenter de dévorer le vaisseau. Aucune énorme mâchoire de plante ne se referma sur lui. Rien ne se produisit, ce qui ne fit qu’augmenter sa nervosité.

Au moins, le sol était stable, Starkiller éteignit les moteurs et attendit que le vaisseau devienne plus calme. De la pluie se mit à crépiter sur la coque, on aurait dit le bruit de fragments d’astéroïdes heurtant les boucliers. Des bans de brume soufflèrent dans les arbres.

Quand il se leva et ouvrit l’écoutille, une odeur forte lui frappa les narines. Le mélange de pollen, de phéromones et de pourriture provenait de partout autour de lui. Tous les êtres vivants de cette petite planète dégageaient cet effluve. Il n’avait jamais rien senti de tel. Felucia était plus mielleuse avec une pointe prononcée de champignons ; Raxus Prime n’était que pourriture ; l’odeur caractéristique de Kashyyyk provenait du bois et de ses dérivés : Dagobah était bien différente.

Peut-être était-ce la puanteur qui expliquait pourquoi personne ne s’était installé ici ?

Il fit un bond léger de la rampe d’accès vers le sol moussu.

De l’eau s’écoulait des arbres et des feuilles autour de lui en un crépitement constant. Aucun vent ne venait accélérer le rythme régulier. L’air était épais et immobile, comme s’il ne bougeait jamais.

Juno n’était pas là. Il en était sûr. Mais qu’est-ce qui se trouvait là ?

Où étaient les grottes de Dagobah ?

Il ferma les yeux et laissa la Force lui dire ce qu’elle pouvait.

La vie remuait autour de lui et tirait son esprit dans une dizaine de directions en même temps. Il se laissa ballotter, il pencha la tête d’un côté puis de l’autre pour tester les flux. Une trace indiquait quelque chose d’inhabituel à l’est, un nœud dans la Force qui ne ressemblait à rien qu’il ait déjà ressenti.

Cela l’attirait et le repoussait en même temps. Plus il l’étudiait, plus il avait l’impression que c’était lui qui était observé par ce nœud.

Il ouvrit les yeux. Un grand oiseau reptilien le guettait depuis les arbres. Il cligna de ses yeux noirs mais ne fit aucun autre mouvement. Dans un battement d’ailes couvertes de peau épaisse, un second oiseau de la même espèce plongea en piqué pour le rejoindre.

Starkiller tendit les bras derrière lui pour refermer l’écoutille du Rogue Shadow. Puis il alluma un sabre laser par mesure de précaution. Les Reptaviens ne firent pas le moindre mouvement.

Tous les sens en alerte, il s’enfonça dans la forêt marécageuse.

La limace géante avait vingt-quatre pattes et une bouche remplie de dents. La bête mesurait huit mètres de la tête à la queue et se penchait sur lui en rugissant. Son haleine était fétide.

Starkiller traça une double ligne sur le ventre de la limace avec ses deux sabres laser et bondit pour éviter le flot dégoûtant qui en sortit. Parmi les organes rejetés par l’estomac de la créature se trouvait la tête d’un des reptiles géants qu’il avait rencontrés plus tôt. La limace se tordait de douleur et gémissait. Il la laissa mourir à son rythme. Il approchait de sa destination.

Il se fraya un chemin parmi un enchevêtrement de longues racines semblables à des pattes et dispersa un groupe d’araignées blanches sur son passage. Le nœud qu’il avait senti se trouvait juste devant, à la base du plus gros arbre qu’il ait jamais vu. Malgré sa taille, l’arbre semblait malade et dégageait une malveillance qui surprit Starkiller. Si Dagobah dans son ensemble était animée par la Force, alors cet arbre avait été empoisonné par le Côté Obscur.

Son regard aiguisé découvrit un trou profond à la base, camouflé par des racines et des plantes grimpantes. C’était sans aucun doute la source du poison qui avait endommagé l’arbre. Quelque chose de maléfique rôdait ici, attaché à cet endroit aussi fermement que l’arbre au sol. Ses racines s’en fonçaient profondément et s’étendaient loin. Il s’approcha en redoublant de prudence. Il ne se souciait plus des prédateurs les plus manifestes de la planète. Ce trou était-il la grotte à laquelle Kota avait fait allusion ? Une partie de lui espérait que non, même s’il avait envie que ce volet de la mission s’achève au plus vite. Juno ne se trouvait pas ici et il n’avait pas envie de s’y trouver non plus, pas plus que nécessaire.

Une clairière s’étendait devant la grotte. Il y courut et rassembla son courage avant d’entrer dans la caverne. Il était traversé par de lourds pressentiments. Il avait l’impression que des filaments noirs s’infiltraient dans son esprit et réveillaient des souvenirs qui avaient eu la bonne idée de sommeiller jusqu’à présent. Les voix de Dark Vador et de la Maître Jedi Shaak Ti se bousculaient dans son esprit, comme si elles bataillaient pour décider qui le contrôlerait.

— Le Côté Obscur sera toujours avec toi.

— Tu es l’esclave de Vador…

— Ta haine est devenue ta force.

— Tu vaux beaucoup mieux que ça.

— Tu maîtrises enfin le Côté Obscur.

— Es-tu prêt à affronter ton destin ?

Un doux bruit de tapotement le tira de sa rêverie.

Il se retourna, les deux sabres laser levés. Quelque chose l’observait : une petite créature vêtue de haillons couleur marécage, avec une peau verte, de longues oreilles pointues et un visage très ridé. Elle se tenait sur une bûche et prenait appui des deux mains sur une courte canne. C’est la canne qui produisait le bruit de tapotement.

La créature ne cilla pas à la vue des sabres laser. Ses yeux marron pétillaient même plutôt d’amusement. Elle hocha une fois la tête dans sa direction. Était-ce pour souligner sa présence ou pour montrer qu’elle le reconnaissait, Starkiller ne pouvait le dire. La canne cessa alors son doux martèlement.

Starkiller baissa ses lames et, au bout d’un moment, les désactiva. Il ne ressentait aucune menace de cet être inattendu. C’était plutôt même le contraire. Le vide béant de la grotte sembla s’effacer durant un moment, débarrassant son esprit de toute confusion. L’être qui se tenait devant lui était peut-être petit en taille mais était en réalité beaucoup plus grand qu’il ne paraissait.

— Vous gardez cet endroit ? lui demanda Starkiller en indiquant la grotte à l’aide de la poignée de son sabre laser.

La créature gloussa, comme si cette question lui faisait plaisir.

— Oh oh. Seulement un observateur je suis maintenant.

— Alors vous allez me laisser passer ?

Cette question lui valut un haussement d’épaules.

— Amené ici, la galaxie t’a. Clairement, ton chemin, ceci est.

Starkiller se retourna pour regarder derrière lui, dans l’ouverture de la grotte.

La jungle marécageuse était devenue complètement silencieuse autour d’eux. L’air était aussi épais que du verre.

— Vous savez ce que je cherche ?

Quelque chose s’enfonça dans l’arrière de son genou. Il bondit. La petite créature avait sauté de sa bûche et s’était approchée pour le tester avec sa canne – si légèrement et silencieusement que Starkiller n’avait rien remarqué.

— Hé !

La créature persista et enfonça sa canne dans sa combinaison de pilote, ses sabres laser, ses gants. Elle le disséquait de ses yeux intenses.

— Perdu quelque chose, dit-elle. Une partie de toi-même, peut-être ?

Starkiller le repoussa, profondément irrité par la justesse de l’analyse alors qu’il n’avait rien demandé.

— Peut-être.

— Ce que tu cherches, seulement à l’intérieur tu trouveras.

La créature reposa ses mains sur sa canne et observa Starkiller avec un regard si intense que, pendant un moment, il eut l’impression d’être observé de très haut. Toute trace d’humour avait disparu.

— À l’intérieur ? répéta-t-il.

La pointe de la canne se leva et indiqua la grotte.

Starkiller hésita. La pression insidieuse du trou dans les racines de l’arbre se fit plus forte et son esprit s’obscurcit à nouveau.

Fais attention, mon garçon, dit Kota depuis le passé. J’entends l’ombre du Côté Obscur s’étendre jusqu’à toi.

Comme un plongeur qui se prépare à une longue descente, Starkiller prit une profonde inspiration et pénétra dans la grotte.

Il faisait noir à l’intérieur, bien sûr, mais bien plus noir qu’il ne se l’était imaginé. Il se débattit avec d’épais rideaux de racines et de lianes. Il résista à l’envie de les trancher avec ses sabres laser. Il veillait à garder ses armes inactives car il comprenait intuitivement que tout mouvement agressif lui serait renvoyé au centuple. Il n’avait que l’intuition pour se guider en ces lieux.

Ses doigts tâtonnants rencontrèrent un mur de pierre qui lui barrait le passage.

Mais ce n’était pas un cul-de-sac. Il se rendit compte que la grotte tournait brutalement sur sa droite. Il continua à avancer. Il sentait le Côté Obscur battre dans ses oreilles et contre ses yeux. L’air semblait vibrer. Chaque respiration lui donnait envie de crier, mais il ne savait pas si c’était d’angoisse ou de plaisir.

Il se trouva à nouveau face à un mur. Cette fois, le tunnel tournait vers la gauche. L’humidité rendait ses mains moites. Il les voyait maintenant, tendues devant lui tandis qu’il cherchait son chemin à tâtons dans les profondeurs de la grotte. Petit à petit, les lianes tombèrent et il n’y eut plus que des racines pour obstruer le passage.

Dans un brouillard qui rappelait un rêve, il pénétra en titubant dans une pièce plus grande, dont les limites extérieures n’étaient pas perceptibles. Il baissa les yeux vers ses pieds mais ne pouvait pas non plus les voir. Le sol était caché par une brume grise rampante.

Il réalisa avec consternation que sa combinaison de pilote avait disparu. Il portait maintenant, sans qu’il sache comment, la tunique traditionnelle des Chevaliers Jedi. Un éclair de souvenir lui revint alors, il se vit exactement vêtu ainsi, sur Kashyyyk, manipulant la lame de son père.

Il s’entendit demander à Dark Vador :

— Vos espions ont localisé un Jedi ?

— Oui. Le général Rahm Kota. Tu dois l’éliminer et me ramener son sabre.

Les voix de sa mémoire semblaient se répercuter dans la salle. Elles chuchotaient. L’attiraient.

— … tout de suite, mon Maître…

— … il ne reste plus qu’une épreuve…

— … Comme vous voulez, mon Maître…

— … ça te rapprocheras de ton destin…

— … je ne vous décevrai pas. Seigneur…

— … ne me déçois pas…

Il déboucha dans une grotte beaucoup plus grande. Le brouillard se dissipa et révéla des murs boueux couverts de racines. Le sol était semé d’embûches.

Il avança avec prudence mais s’arrêta net quand il réalisa que les racines enchevêtrées devant lui bougeaient.

Il faisait trop noir pour qu’il puisse discerner ce dont il s’agissait. Il était temps d’éclairer la situation. Il alluma ses deux lames et les tint au-dessus de sa tête, croisées en X.

Elles jetaient une lumière bleue, pas rouge. Ce fut le premier détail déconcertant. À la lumière douce de ses sabres, il distingua quelque chose que les racines dissimulaient – et c’était ça qui bougeait, qui se débattait pour se libérer du filet de racines. Il s’approcha prudemment, examinant la pénombre.

Était-ce un bras qu’il voyait là, avec une main qui se tendait vainement vers la liberté ? S’agissait-il d’une hallucination, d’une vision ou de quelque chose qui se passait vraiment ?

Un visage s’avança à travers les racines boueuses. Starkiller poussa un cri et recula en baissant son sabre laser entre lui et la silhouette prisonnière. Il reconnaissait les traits. C’étaient les siens : minces, désespérés et affamés.

Il y eut un mouvement sur sa droite. Un autre corps se débattait contre la végétation qui l’agrippait. Une autre version de lui. Et encore une autre. Ils étaient tout autour de lui, des dizaines, qui gigotaient, se tortillaient, se débattaient et murmuraient, angoissés.

— Oui, mon Maître.

— Je suis fort, mon Maître, et je suis en train de devenir plus fort.

— Quand ma formation sera-t-elle terminée, Maître ?

Ils portaient l’uniforme noir de Kamino. C’étaient des clones, comme lui.

— Qu’alliez-vous faire de moi ?

Starkiller frissonna et gémit. Il chercha une issue pour quitter la salle et aperçut une brèche peu profonde dans la pierre mais il ne réagit pas assez vite pour éviter les mains qui le saisirent. Elles agrippèrent sa combinaison de pilote avec force, elles essayaient de le retenir, de l’enfermer avec elles, là où était sa place. Il cria et se débattit pour se libérer. Il retomba dans la salle. Il leva ses deux sabres laser par réflexe pour se tailler un chemin.

— Si tu me tues, c’est toi que tu détruiras.

Il entendit la voix clairement, comme sur Kashyyyk. Cette fois-là, il n’avait pas hésité à frapper le double qu’il avait vu dans son esprit. Cette fois-ci, il se raisonna et éteignit à nouveau ses lames. Il avait l’énergie et le courage de continuer.

Dans la quasi-obscurité, il affronta les mains de ses autres moi qui essayaient de l’agripper et les repoussa avec fermeté. Leurs doigts glissants dérapèrent sur son uniforme de vol et retombèrent. Derrière lui, les plaintes devinrent des gémissements avant de s’éteindre. Il n’entendait plus que sa respiration, rapide et lourde, comme s’il avait couru. Il était sous terre depuis des heures, c’est du moins l’impression qu’il ressentait. Quelle distance aurait-il encore à parcourir avant d’atteindre le bout de la grotte et de trouver ce qu’il cherchait… ou ce qui le cherchait ?

Il pénétra dans une nouvelle salle, pleine d’ombres tourbillonnantes. Il continua à marcher et les ombres s’élevèrent autour de lui, formant des silhouettes éphémères qui allaient et venaient, bloquant sa route. Il essaya de forcer le passage, comme il l’avait fait avec les visions de ses autres moi, mais il se trouva perturbé et désorienté. La tête lui tournait.

Par deux fois, il se retrouva face à l’endroit d’où il était venu. Il étendit ses deux mains pour empêcher le monde de tourner. Il devait bien y avoir une issue quelque part, si seulement la grotte le laissait la trouver.

Il entendait de la pluie au loin et il tituba dans cette direction.

Des coups de tonnerre retentirent et, tout à coup, il se retrouva dans l’usine de clonage sur Kamino, près du trou qu’il avait pratiqué dans le mur au cours de son évasion. Au travers de l’ouverture, on voyait le ciel bas et agité par un terrible orage électrique. Le métal poli brillait même dans la lumière grise. Le hurlement du vent était incessant et irréel.

Une silhouette s’approcha du trou afin d’inspecter le métal déchiré. Couverte d’une armure grise et verte des pieds à la tête, avec un étrange viseur en forme de T et une sorte de jetpack attaché dans le dos, sa voix avait le grincement monocorde d’un vocodeur. Il était toutefois clair qu’il ne s’agissait pas d’un droïde. Ses cordes vocales avaient peut-être été endommagées.

— Il a une bonne longueur d’avance.

Starkiller s’approcha. Ce n’est que quand il se mit à avancer qu’il reconnut l’étroitesse de l’armure, la lourdeur des membres, l’impression d’être pris au piège. Il avait déjà ressenti ces sensations. Il dit d’un ton froid :

— L’Empire vous fournira tout ce dont vous avez besoin, chasseur de primes.

Starkiller fit tout son possible pour bouger les membres de son ancien Maître, mais il fut incapable de faire quoi que ce soit d’autre qu’attendre la fin de la vision. Il pouvait juste voir à travers les yeux de Vador et espérer que la vision prenne fin.

— J’aurais besoin de renforts, dit la silhouette en armure verte.

La main gantée de noir de Starkiller fit un geste vers l’extérieur du trou, en direction de la plateforme d’atterrissage. Là, une longue colonne de stormtroopers se dirigeait vers deux navettes de classe Lambda, suivie par un droïde d’un type qu’il n’avait jamais vu auparavant. Il était immense, avec de longues jambes, un armement puissant et un blindage épais. Il était si grand qu’on ne le distinguait pas dans son entièreté, il était en partie caché par les bâtiments près de la baie d’atterrissage.

Le chasseur de primes se tourna vers Starkiller et dit d’un air satisfait :

— Cela suffira.

Une rafale de pluie obscurcit la vision et…

Il se retrouva à nouveau dans son propre corps. Les ombres se retiraient en formant un nœud dense devant lui. Il s’écarta en titubant, les mains en avant pour se protéger. Elles étaient en chair et en os, il ne s’agissait plus de prothèses. Lui-même était entier et redevenu lui-même, ce qui le soulagea beaucoup, même s’il venait d’apprendre que son ancien Maître le traquait. C’est cela que la vision lui annonçait, aucun doute n’était possible. Il se croyait libre mais Dark Vador n’était pas du même avis.

Les ombres tourbillonnèrent, explosèrent et se jetèrent sur lui en remplissant sa tête…

avec une image de PROXY, ce qui était impossible puisqu’il avait été détruit par Dark Vador sur Corellia. Il devait s’agir d’une image du passé, décida Starkiller. Mais quand et où ? Et qui était-il à présent ?

Il n’y avait rien de la lourdeur de Vador et pas le moindre signe de présence Impériale. Il était sur un vaisseau, un vaisseau important, plus grand que le Rogue Shadow. Des membres d’équipage s’affairaient autour de lui, avec efficacité mais sans urgence. Ils portaient des uniformes identiques à ceux contre lesquels il s’était entraîné sur Kamino.

C’étaient des soldats de l’Alliance Rebelle.

Un officier à tête de chien se tourna vers lui.

— Il y a un problème avec la batterie de senseurs à la proue, capitaine.

Starkiller regarda par la baie d’observation l’espace qui s’étendait devant le vaisseau. Un petit groupe de vaisseaux s’avançaient, accompagné par une escorte d’Ailes-Y. À l’arrière-plan pendait une nébuleuse dense et belle, toute en courbes et en tourbillons. Elle brillait de toutes les couleurs du spectre.

Une voix familière demanda :

— Des interférences de la nébuleuse ?

PROXY détacha son regard de l’instrument qu’il était en train d’examiner.

— Peut-être. Je vais essayer de la localiser.

— Ne prenons aucun risque.

Starkiller entendait à peine les mots. Il était sous le choc car il venait de comprendre que c’était Juno qui parlait. Il vivait ce quelle vivait. Ce qui était arrivé à la jeune femme lui arrivait à présent.

Il appuya sur un bouton de la console avec la main de Juno.

— Ici le capitaine Eclipse.

Sa voix résonna dans le vaisseau.

— Mettez en route les protocoles de défense dans les vaisseaux. Amorcez vos boucliers et vérifiez vos scanners pour détecter toute présence ennemie.

L’officier à tête de chien hocha la tête et vérifia les écrans devant lui.

— Rien à signaler, capitaine.

— Continuez à surveiller, Nitram. On n’est jamais trop prudent.

— Bien sûr, capitaine.

Starkiller examina les écrans avec elle, à la recherche du moindre signe de perturbation. Ses sens se mirent en alerte. Quelque chose approchait. Elle le sentait et lui aussi.

Une voix grésilla à travers le com :

— Capitaine Eclipse, nous avons repéré cinq, non, six petits vaisseaux de guerre qui se dirigent…

Des explosions se produisirent à côté d’un vaisseau qui les précédait. Starkiller ne saisit pas d’où venaient les ennemis mais il vit les dégâts qu’ils causaient. Quatre missiles tirés avec précision fendirent le vaisseau en deux. Les membres d’équipage et l’air furent propulsés dans la brèche. Maintenant qu’un premier vaisseau était abattu, l’attaque se concentra vers le centre du groupe : le vaisseau dans lequel se trouvait Juno.

— Boucliers au maximum, ordonna-t-elle dans l’intercom. Ouvrez le feu avec toutes les batteries !

Un impact fit trembler le sol sous ses pieds. Le pont chancela.

— Nous sommes envahis, cria le commandant en second. Des troopers montent à bord !

— Envoyez, un détachement de sécurité au réacteur principal. Bouclez le système de survie.

Une nouvelle explosion, plus proche que la précédente. Des Rebelles furent projetés dans tous les sens mais Juno réussit à rester en place.

— Sortez les boucliers déflecteurs !

PROXY se pencha vers elle.

— Les balises de sécurité internes s’affolent, capitaine Eclipse, je pense que nous devrions…

Les portes du pont explosèrent. De la fumée et des débris brûlants emplirent l’air. Deux stormtroopers lourdement armés émergèrent du nuage. Ils tiraient déjà. Juno se baissa, un blaster en main. Un tir précis à la jointure du cou eut raison d’un des stormtroopers. Un deuxième tir faillit rater l’autre.

Quatre stormtroopers supplémentaires accoururent sur le pont. Le labyrinthe de tirs de blasters s’intensifia. Starkiller sentit son cœur s’accélérer tandis qu’il se dirigeait vers une meilleure position, tirant sur les troopers dit mieux qu’il pouvait. Son équipage mourait autour de lui. Dans une pluie d’étincelles, PROXY fut projeté en arrière, puis le commandant en second à tête de chien suivit le même sort. La rage monta en Starkiller, pure et nette. Il se releva pour mieux voir dans la fumée qui s’épaississait. Un tir de blaster l’atteignit à l’épaule et le projeta sur le côté. Il tomba…

Quand il toucha le sol de la grotte, il se rendit compte que, même si c’était le cœur de Juno qui avait battu pendant tout ce temps, le sien continuait à battre exactement au même rythme que celui de la jeune femme. Il était couvert de sueur et l’odeur âcre de fumée emplissait ses narines. La douleur causée par le tir dans le bras de Juno le faisait encore plus souffrir du fait qu’il n’avait pas été là pour l’arrêter. Il était tracassé par la vision. Du vivant de PROXY, le plus grand vaisseau dont Juno avait été capitaine était le Rogue Shadow – quand le véritable Starkiller était encore en vie également. On ne lui avait jamais tiré dessus non plus. Se pouvait-il que PROXY ait été ramené à la vie ou simplement remplacé ? Il avait vu d’autres droïdes de ce type sur Kamino, ce n’était donc pas impossible. Cela situait la vision quelque temps après les événements sur l’Étoile Noire. Mais quand ? S’étaient-ils déjà produits ou devaient-ils encore arriver ?

Pouvait-il encore les empêcher ?

Il se rétablit à quatre pattes avec difficulté. Les ombres se massaient autour de lui et rendaient tout mouvement difficile. Ses sabres laser lui avaient échappé des mains et avaient roulé hors de sa vue. Il les chercha à tâtons dans l’obscurité mais ils étaient introuvables.

— Rendez-les-moi, cria-t-il aux ombres. Rendez-les-moi !

Mais il obtint juste une nouvelle vision.

Accroupi sur une surface de métal, il tenait Juno dans ses bras. La pluie s’abattait sur eux. Les yeux de la jeune femme étaient fermés. Elle était couverte de sang. Elle ne respirait plus. La tête en arrière, il hurlait vers la tempête.

L’image de Juno disparut et il tomba face en avant sur le sol boueux de la grotte, comme si la gravité avait été multipliée par mille. Dans cette vision, il était bien lui. Il s’agissait soit du futur, soit d’un passé dont il ne pouvait plus se souvenir. Ou d’un autre clone. Ou d’une autre possibilité tout aussi étrange et qu’il ne pouvait imaginer pour le moment.

— Nous formons une bonne équipe, dit sa voix du passé. C’est dommage qu’on ne puisse continuer comme cela.

Le souvenir lui donna la force de résister au terrible poids des ombres. Juno avait dit cela lors de leur retour sur l’Empirique. À l’époque, il croyait encore aider Dark Vador à renverser l’Empereur. Il croyait qu’elle serait affectée à une autre mission. Elle s’était trompée cette fois-là et cette vision pouvait également être fausse à son tour. Passé, présent, futur : si quelqu’un pouvait le changer, il le ferait.

Juno ne pouvait pas mourir.

La pression disparut. Il bondit sur ses pieds. Ses sabres laser surgirent des ombres et atterrirent dans ses mains. Un instant plus tard, ils étaient allumés. Ils étaient à nouveau rouges, rouges comme le sang dans sa vision finale.

Les ombres s’enfuirent.

Dans la lumière cramoisie, il vit qu’il ne pouvait plus avancer. Il avait atteint le fond de la grotte. Il devait revenir en arrière.

Il se prépara à affronter à nouveau ses mois griffus, au cas où la grotte n’en aurait pas fini avec lui, et continua sa route.

Même la lumière glauque du marécage lui sembla lumineuse et verte quand il sortit enfin de sous la terre en chancelant. L’air avait une odeur douce et fraîche. Il s’accrocha à une cascade de plantes grimpantes et prit un moment pour se remettre. Il était complètement épuisé par ce qu’il venait de subir et complètement découragé par ce qui l’attendait.

Juno ne pouvait pas mourir.

C’était la seule chose qui le faisait tenir.

Le martèlement d’une canne de bois le tira de ses pensées. Il leva la tête et son regard finit par tomber sur la petite créature assise sur un rocher, qui le regardait d’un air paisible.

Starkiller ne comprenait pas comment elle pouvait rester aussi près de la grotte. Il sentait le Côté Obscur s’enrouler en vagues vers lui. Le courant était puissant. Il y avait échappé de justesse. Être constamment à portée d’un tel assaut et rester sain d’esprit – ou ce qui passait pour sain d’esprit sur cette planète humide et oubliée – étaient totalement inconcevable pour lui…

La petite créature était dotée d’un pouvoir complètement disproportionné par rapport à sa taille.

— Ce que tu as vu, dit le petit être en pointant avec l’extrémité de sa canne la poitrine haletante de Starkiller, le suivre, tu dois.

Starkiller hocha la tête. Si c’était de la sagesse, alors il la partageait.

— Jusqu’au bout de la galaxie, s’il le faut, dit Starkiller.

La créature hocha la tête à son tour et baissa sa canne. Ses yeux se fermèrent et Starkiller comprit que son audience, si c’était de cela qu’il s’agissait, était terminée.

Il bondit hors de la clairière, propulsé par un sentiment d’urgence qui transcendait le temps et l’espace, puis courut aussi vite qu’il le pouvait jusqu’au Rogue Shadow.