Chapitre 55 LE PARVIS NOTRE-DAME

Quand la comtesse Louise arriva au parvis Notre-Dame, elle était bien lasse et bien essoufflée. D’instinct elle leva les yeux vers cette galerie merveilleuse qui rejoint les deux tours. Les colonnettes frêles se distinguaient vaguement dans le noir, mais il n’y avait là nul mouvement humain.

Le parvis lui-même était complétement solitaire.

Au milieu de la fièvre qui tenait la ville éveillée, l’immense église semblait une sentinelle endormie. Auprès d’elle, l’Hôtel-Dieu, cette autre immensité, symbole respectable mais lugubre des charités administratives, – sphinx menaçant, couché en travers de cette gaie rivière de Seine, à deux pas de la cathédrale, à portée du palais de Charlemagne, proposait silencieusement aux prêtres et aux rois cette énigme de la misère qui enfante les révolutions.

Non pas par elle-même, car, depuis que le monde est monde, la misère patiente se laisse mourir sans se révolter jamais, – mais par les tribuns qui ont su deviner ce qu’on gagne de pouvoir, d’honneur et d’argent à se servir de la misère comme d’une artillerie pour jeter bas les maisons de l’aumône.

L’univers vieillit. On dit que les saisons se troublent. La lune, sensiblement détériorée, donne des inquiétudes à l’Observatoire. Dieu n’a pas d’âge.

Tout en haut, tout en haut de la cathédrale antique il y avait un homme qui contemplait la ville folle, occupée à chasser un roi vieillard au profit d’un autre vieillard qui voulait être roi.

Cet homme-là, depuis dix-huit siècles, marchait jusqu’au genou dans la démence humaine. Il savait ce que gagne la misère aux plaidoyers sanglants de ses avocats. Il songeait.

Et mélancolique image du monde lui-même qui ne sait s’arrêter, le Juif errant ayant atteint le faîte de la tour, fut contraint de redescendre.

Les enfants rient à regarder l’écureuil affairé qui tourne dans sa cage. Ils disent que l’écureuil travaille.

Voilà dix-huit cents ans que ce Juif regarde sans rire la cage tournante où travaille l’humanité.