Chapitre 47 MÈRE ET FILS

C’était le vicomte Paul, ce superbe bambin d’autrefois, le vicomte Paul qui faisait des fortifications contre les Anglais. Il avait maintenant la stature d’un homme ; une fière et gracieuse taille. Il ressemblait à son père, le colonel comte Roland de Savray, mais il était plus beau.

Autour de son front des cheveux blonds se bouclaient. Ses grands yeux bleus exprimaient la tristesse et la vaillance.

– J’aurais à te parler dit-il en s’adressant à Joli-Cœur, et avant même d’embrasser sa mère. Est-il vrai que le comte de Savray, mon père, passe la nuit à marcher dans sa chambre ?

– C’est vrai, répliqua le hussard.

– Est-il vrai que son lit n’est jamais défait ?

– C’est vrai, répéta Joli-Cœur. Ceci, cela et le reste. Tout ce qu’on dit de lui est vrai. Mais est-ce bien M. le comte ? voilà ce que nous ne savons plus.

Paul baissa la tête en fronçant le sourcil.

Il s’approcha de sa mère, qui le pressa contre son cœur avec plus de tendresse encore qu’à l’ordinaire.

– Tu as quelque chose à me dire ? murmura-t-elle.

– Oui, ma mère.

Elle fit un signe. L’abbé, Fanchon et Joli-Cœur se retirèrent dans la pièce voisine.

Or, nous savons que l’abbé, depuis plusieurs années, était aux gages du gros petit docteur Lunat, spécialement pour compulser tous les bouquins écrits en toutes langues sur ce mythe qui a traversé les siècles : le JUIF ERRANT.

L’abbé trouvant des auditeurs dociles, vida son sac, et dit des curiosités bien extraordinaires, – principalement au sujet du Pharisien Nathan, qui louait le temple aux marchands. Ce Pharisien est le quatrième Juif-Errant et soixante fois milliardaire.

Le cinquième est le valet de Caïphe.

Le vicomte Paul, lui, s’était assis sur un tabouret, aux pieds de sa mère. Il mit sa tête blonde sur les genoux de la comtesse Louise, qui lisait dans ses grands yeux bleus comme en un livre.

– Tu souffres ? dit-elle.

– Pas quand je suis ainsi, près de toi, mère chérie, répondit-il tandis qu’un sourire naissait autour de ses lèvres.