Les autres convives de la préfecture avaient généralement prospéré. M. Le préfet se carrait au conseil d’État, le procureur général s’asseyait à la cour de cassation, Mme Lancelot, des domaines, et M. Lancelot, son mari, avaient une division au ministère des finances. Quelques danseurs étaient devenus des hommes chauves et sérieux, quelques danseuses avaient gagné en poids cent pour cent et même davantage. La sous-intendante n’avait rien perdu.
On était au mois de juillet en l’année 1830. Le général Lamadou (l’ancien commandant de la gendarmerie à Tours en Touraine) ayant donné une grande soirée à l’occasion du mariage de sa nièce avec M. Galapian, toutes nos anciennes connaissances tourangelles se trouvèrent naturellement réunies.
Mais parlons un peu de M. Galapian.
M. Galapian, nous l’avons dit, était un homme habile et bien comptant. Il ne méprisait plus autant le bon Dieu, depuis qu’il avait arrondi sa pelote, au point de justifier au contrat soixante mille francs de revenus. Personne, disait-il volontiers, n’avait jamais soupçonné sa probité. Je crois bien ! Il eût fallu débrouiller pour cela les affaires de la maison de Savray, et il y avait mis bon ordre ! Il faisait beaucoup de bien aux pauvres en leur prêtant son argent à la petite semaine.
Mme Lancelot le citait à ses surnuméraires comme un exemple de ce que peut la comptabilité jointe à l’esprit de conduite.
– Savez-vous ce qu’on dit ? s’écria-t-elle en entrant ce soir-là. Votre servante, mesdames. Bien des compliments aux mariés. Voilà qui fera un charmant ménage ! Savez-vous ce qu’on dit ?
À Paris, comme à Tours, Mme Lancelot était fort estimée comme gazette.
Depuis lors, l’agence Havas et les petits journaux ont déprécié ce genre de talent.
On fit le cercle autour de Mme Lancelot, qui reprit :
– Les affaires ne vont pas bien, le commerce murmure, la bourgeoisie n’est pas contente. Nous dansons sur un volcan !
– Permettez, madame et amie, interrompit le général Lamadou. Je ne souffrirai pas qu’on fasse de l’opposition dans le salon de mon propre domicile.
Galapian dit :
– Je suis un homme d’ordre, mais à la bourse d’aujourd’hui j’ai vendu, vendu, vendu ! Je rachèterai à moitié prix le lendemain de la révolution, voilà ma façon de penser.
Il y eut un murmure flatteur, et les dames dirent à l’oreille de la nièce du général :
– Léocadie, c’est une belle âme, et vous serez bien heureuse !
– Savez-vous ce qu’on colporte ? reprit impétueusement Mme Lancelot. Il s’agit bien de politique ! quoi ! ce n’est pas inquiétant la politique. Il faudra toujours bien des chefs de division, n’est-ce pas ? Je voulais vous parler d’un garçon… Le pauvre diable ! nous l’avons connu bien huppé. Vous souvenez-vous, là-bas, à Tours, comme on criait du haut du perron, à la préfecture : La voiture du colonel comte de Savray !
– Ah ! oui, fit la sous-intendante du bout des lèvres, ce malheureux homme…
– Pas de sérieux ! dit l’ancien chef du parquet tourangeau.
– Un hanneton ! murmura Galapian. Je l’avais prédit !
– Et vous avez bien fait ce que vous avez pu pour le sauver, Stanislas ! murmura la jeune Léocadie.
M. Galapian s’appelait Stanislas.
Il y eut des toux sèches qui voulaient exprimer sans doute une chaude approbation, puis le chapelet s’égrena :
– Un buveur ! déclara Lancelot.
– Un joueur !
– Un bretteur !
– Un mauvais sujet !
– Un monstre !
Cette litanie était en l’honneur du pauvre comte Roland de Savray.