Le ciel était d’un bleu profond ; les étoiles innombrables n’avaient point ce scintillant éclat des nuits de tempête. Il faisait chaud, mais une brise douce chantait dans les feuillées du Luxembourg. La voie lactée rayait le firmament de sa diagonale indécise et brumeuse.
La ville ne dormait pas, et pourtant il y avait un grand silence.
Pas une voiture ne roulait sur le pavé muet.
Quand cette voix de la cité remuante se tait par hasard, quand le roulement sourd des roues et le pas des chevaux font silence tout à coup, la nuit de Paris fait peur.
La porte du logis de la comtesse Louise s’ouvrit doucement. Minuit sonnait à l’horloge du palais du Luxembourg. Une femme, enveloppée d’une mante sombre, sortit et descendit la rue de l’Ouest d’un pas mal assuré.
Au détour de la rue de Vaugirard, un long groupe noir stationnait qui semblait immobile et muet.
Le groupe s’ouvrit pour laisser la femme passer.
La comtesse Louise put voir qu’à l’intérieur du groupe il y avait des hommes, armés de barres de fer, qui descellaient les pavés en silence.
À cinq cents pas de là, un détachement de la garde royale bivaquait vers la rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice. Les soldats jouaient aux cartes autour d’un feu. Les officiers se promenaient en causant de la prise d’Alger, qui était une nouvelle toute fraîche.
Officiers et soldats se moquaient un peu des Parisiens qui voulaient jouer au jeu des barricades.
Quand la comtesse Louise passa devant les galeries de l’Odéon, la brise apporta un tintement lointain. Des gens qui étaient là dirent :
– Voilà le tocsin !
Des étudiants joyeux sortirent du café Tabourey et crièrent :
– Vive la charte !
Les révolutions souhaitent toujours ainsi longue vie aux choses qu’elles veulent enterrer.
Ces étudiants étaient de jolis jeunes gens. Leur vue pressa le pas de la comtesse Louise, qui songeait à son fils.
Dans la rue Racine on faisait encore une barricade. Les rues neuves sont bonnes pour cela ; le pavé s’enlève bien. Aux fenêtres, il y avait des étudiantes qui s’amusaient à regarder l’ouvrage.
Rue des Mathurins-Saint-Jacques, l’hôtel de Cluny déchiquetait sur le ciel ses noirs pignons et parlait des temps chrétiens où naissaient les cathédrales, tandis qu’un professeur athée, grimpé sur une borne, faisait un cours de libre-pensage.
Ces professeurs sont comme les chiens hargneux, sauf le respect qui leur est dû : pour les empêcher d’aboyer, il suffit d’un os qu’on leur jette.
Mais si on les laisse mâcher à vide, ils mordent. Et leur morsure donne la rage.
Tout le long de la rue Saint-Jacques on dépavait et l’on riait.
Il y avait des gamins qui disaient, en faisant la barricade :
– Maman va bien me gronder !
La comtesse Louise arriva jusqu’au Petit-Pont, gardé d’un côté par des hommes en blouse, de l’autre par des dragons.
Ceux qui défendaient l’héritage de St Louis étaient de ci, ceux qui s’amusaient au colin-Maillard des révolutions étaient de là ; entre deux, la Seine coulait patiente et toujours la même. Des deux côtés c’était Paris. D’un camp à l’autre les gaies paroles allaient et venaient en attendant la bataille.