C’est une immense ville souterraine qui a des milliers de rues, des places publiques, des églises, des palais, des canaux, des lacs, des boutiques, des théâtres, des hôpitaux et des salles de bal.
On pourrait rebâtir Berlin en argent avec toutes les richesses qui sont sorties de cette inépuisable mine.
Dans la banlieue de cette féerique cité, à neuf cents mètres au-dessous du sol, deux hommes piquaient le minerai, auprès d’une flaque d’eau sombre comme l’Achéron.
Leurs lanternes brûlaient tristement à leurs pieds. Tous deux s’arrêtèrent pour essuyer la sueur de leurs fronts.
– Ami, dit l’un d’eux, causons encore de ce rêve que nous faisons tous les deux.
– Soit, répondit l’autre, ce rêve guérit ma fatigue. Il me semble que ce rêve me rend le parfum des fleurs, l’air libre et les doux rayons du soleil.
Ils s’assirent côte à côte, et le premier reprit :
– Je m’appelais donc sir Arthur…
– Certes, interrompit l’autre, j’ai gagné bien des louis à un gentilhomme de ce nom, mais ce n’est pas vous !
– Vous avez peut-être raison, ami, ce n’est pas moi ; du moins il y a des moments où je ne saurais l’affirmer moi-même… on m’a pris mon corps, voilà ce que je crois, et n’est-ce pas folie de croire ainsi à l’impossible ?
Son compagnon secoua lentement la tête.
– Moi dit-il, j’étais comte… et colonel. J’avais une femme que j’aimais, un enfant adoré… Il faut bien que cela soit, puisque leur souvenir emplit mes yeux de larmes !
– Et l’on vous a pris votre corps aussi, n’est-ce pas ? interrogea sir Arthur.
– Oui, une nuit, mon château brûlait ; cet homme… mais c’était lui qui s’appelait sir Arthur !
L’autre mineur songeait laborieusement, la tête penchée sur sa poitrine.
– Alors, dit-il, c’est le même qui nous a pris nos deux corps !
Ils échangèrent des regards sans rayon. Quelque chose pesait sur leurs intelligences engourdies.
– Allons, dit la grosse voix d’un gardien, voilà encore ces deux fous qui se reposent ! À l’ouvrage coquins ! vous ne gagnez pas le pain que vous mangez !
Les deux pauvres mineurs reprirent leurs pics docilement et se remirent à l’ouvrage.
Derrière le gardien, une belle jeune fille venait, vêtue comme une demoiselle de riche maison.
Le gardien se tourna vers elle et lui dit :
– Voyez-vous, mademoiselle, il faut sans cesse surveiller ces deux-là. Ils ont un coup de marteau, sauf le respect que je vous dois. En voici un qui se croit baronnet d’Angleterre, c’est sir Arthur… En a-t-il bien l’air, hein ?
La jeune fille approchait. Le regard de ses beaux yeux tomba sur le second mineur qui tressaillit.
– Celui-la, reprit l’inspecteur en haussant les épaules, c’est un colonel, français, un colonel de hussards…
– Le colonel comte Roland de Savray !… murmura la belle jeune fille.
L’inspecteur éclata de rire et poussa rudement le pauvre homme, dont le pic attaqua un bloc de minerai.
Mais en travaillant le pauvre homme se disait :
– Lotte ! J’ai vu Lotte ! Sous le nuage qui est dans mon esprit y a-t-il donc la vérité ?