Encore une fois, où était le comte Roland de Savray, le maître, le colonel, le père ?
Il n’y avait plus d’escalier, et les flammes léchaient les pans des murailles noircies. L’homme du balcon avec sa barbe saupoudrée d’étincelles, se mit à marcher, à descendre. Il se servait des débris de murailles comme de gradins, son pas était sûr et lent. L’enfant semblait dormir toujours entre ses bras.
Il atteignit le sol de la cour. Un grand cercle se fit autour de lui, composé de gens qui admiraient et qui avaient peur.
Joli-Cœur et Fanchon baisèrent un pan de sa houppelande brûlée. Le bon abbé Romorantin balbutiait une oraison. M. Galapian n’osa pas prier l’homme de lui aller chercher son autre pantoufle, mais il en eut envie.
L’homme traversa la cour et descendit la colline. On savait où il allait, et chacun disait : « La mère ! la pauvre mère ! comme elle va être heureuse ! »
Quand l’homme était tout près, on ne voyait point cette forme indécise qui ressemblait à la petite Lotte. Mais quand l’homme s’éloigna, descendant la pente, les lueurs de l’incendie éclairèrent une vision vague qui semblait onduler à la brise des nuits. La vision suivait l’homme.
L’homme remit l’enfant à la mère et ne s’arrêta point pour entendre ses actions de grâces. Il continua sa route. On le vit disparaître derrière les peupliers.
En ce moment, le colonel comte de Savray se montra tout à coup auprès de la calèche. Il y avait en lui quelque chose d’étrange et d’inusité. Quoi ? nul n’aurait su le préciser.
– Le bambin est sauvé, tant mieux ! dit-il d’une voix qui était bien la voix du colonel, mais où il y avait comme un écho de l’accent guttural de sir Arthur. Tout ça a donné bien de l’embarras !
La comtesse cessa de caresser passionnément le vicomte Paul, qui allait s’éveillant dans un sourire. Cette voix la blessait autant que les paroles prononcées.
Était-ce bien le comte Roland qui parlait de la sorte, le comte Roland qui avait pour son fils unique une tendresse si folle ?
Joli-Cœur et Fanchon échangèrent un regard.
– Le vieux gentilhomme, le père du colonel, avait cette voix-là à Lamballe… commença le hussard.
– Quand d’honnête qu’il était il devint damné coquin ! acheva la nourrice.
Le colonel, cependant, bâillait à se démettre la mâchoire.
– Ça, dit-il, allons coucher à l’auberge. La maison était assurée, je m’en moque !
La comtesse Louise se recula pour ne le toucher point. Son cœur s’étonnait de ne plus sentir qu’une froide répugnance pour cet homme qu’elle avait tant aimé. Elle serrait contre sa poitrine le vicomte Paul qui disait tout bas :
– Qu’a donc papa ? C’est bien papa, et pourtant je n’ai pas envie de l’embrasser.
Le lendemain, le colonel avait perdu tout à fait cet accent anglais, mais la comtesse Louise et son fils étaient bien tristes sans savoir pourquoi.
Sir Arthur avait disparu, et depuis on ne le revit plus jamais à Tours en Touraine.