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ELAINE CARRINGTON était encore au lit lorsque les inspecteurs du bureau du procureur sonnèrent à sa porte, peu après six heures et demie du matin. Stupéfaite, elle passa en hâte une robe de chambre et se dépêcha d’aller répondre. Elle craignait qu’il ne soit arrivé quelque chose à Richard. Peut-être n’avait-il pas remboursé ses dettes de jeu ? Redoutant ce qu’elle allait entendre, elle ouvrit la porte d’un coup sec.

Quand on lui remit le mandat de perquisition, elle éprouva d’abord une sensation proche du soulagement. Puis, accompagnée d’un inspecteur dont elle fit mine d’ignorer la présence, elle alla dans le bureau et alluma la télévision.

Quelques minutes plus tard, la vue de Peter sortant de la voiture menottes aux poignets devant la prison la fit sursauter. Il a toujours été bon à mon égard, pensa-t-elle en le regardant tenter de dissimuler son visage aux photographes.

« À vingt-deux ans, après la mort soudaine de son père, Peter Carrington s’est retrouvé à la tête de l’empire familial », disait le commentateur.

Une photo du père et du fils, prise peu de temps avant l’attaque cardiaque qui avait emporté le plus âgé des deux hommes, apparut à l’écran, déclenchant aussitôt une réaction de colère chez Elaine. Aussi jeune qu’ait été Peter, il avait compris ce qu’était pour moi la vie avec ce misérable grippe-sou. Un des hommes les plus riches de la planète, et pourtant nous nous sommes disputés pour des questions d’argent le jour même de son anniversaire. Il me menaçait sans cesse de ne pas régler les factures. « C’est vous qui faites les dépenses. Débrouillez-vous pour les régler. » C’était son sermon favori. Pendant les cinq années où nous avons été mariés, il m’a reproché le moindre centime que je dépensais, se souvint-elle amèrement.

Dès que la séquence concernant Peter fut terminée, Elaine éteignit la télévision. Quand je l’ai épousé, tout ici avait été laissé à l’abandon pendant des années, se rappela-t-elle. La seule chose pour laquelle il était prêt à claquer du fric était le jardin. Un amoureux de la nature.

Chaque fois qu’elle était nerveuse ou inquiète, une bouffée de colère l’envahissait au souvenir de la mesquinerie du contrat prénuptial qu’elle avait eu à signer. Un bruit à l’extérieur l’attira à la fenêtre. De la neige fondue commençait à frapper les vitres, mais elle entendait autre chose. « Il y a des chiens dehors ? » demanda-t-elle, incrédule, au jeune inspecteur qui était assis sur une chaise à l’entrée du bureau.

« Ce sont les chiens qui fouillent le parc, madame, répondit-il d’un ton professionnel.

– On a déjà retrouvé le corps de Susan Althorp. Que cherchent-ils maintenant ? Ils se croient dans un cimetière ? »

Le policier ne répondit pas.

 

À midi, les enquêteurs chargés de la perquisition avaient quitté la maison et Elaine monta dans sa chambre. Tout en prenant sa douche et en s’habillant, elle passa en revue les conséquences possibles de l’arrestation de Peter. Qu’arrivera-t-il si Peter est condamné à la prison à vie ? se demanda-t-elle. Kay et lui décideront-ils de vendre la propriété ? Peuvent-ils le faire de mon vivant ? Mon contrat prénuptial peut les en empêcher, au minimum ils devront m’indemniser.

Le contrat qu’elle avait signé lui garantissait ce que son avocat avait pu obtenir de mieux. Dix millions de dollars à la mort de Carrington père ; résidence à vie dans la propriété et jouissance du plus petit des deux appartements des Carrington dans Park Avenue. Un revenu de un million de dollars par an pour le reste de ses jours. Mais, naturellement, il y avait un piège : l’usage de l’appartement et le versement de la pension cesseraient en cas de remariage. Les dix millions étaient envolés depuis longtemps, la plus grande partie dans la galerie de Richard, pensa Elaine avec amertume. Il m’aurait fallu dix millions de plus.

J’ai eu tort de tenter de dissuader Peter d’épouser Kay, songea-t-elle avec inquiétude en prenant un pantalon et un pull de cachemire dans sa penderie. Elle va m’en vouloir. J’aurais dû aller leur rendre visite à leur retour de voyage de noces, mais je n’avais pas envie de la voir se pavaner dans la maison.

Elle ralluma la télévision. Selon les dernières informations, Peter devait être inculpé à trois heures. Elle décrocha le téléphone. Quand Kay répondit, elle commença : « Kay, ma chère, je suis vraiment désolée pour Peter et vous. Je veux être à vos côtés à la lecture de l’acte d’inculpation. »

Kay réagit immédiatement à son témoignage de compassion. « Non, ne venez pas au tribunal, dit-elle, mais comme il est probable que Peter pourra rentrer à la maison ce soir, dès que le montant de la caution aura été fixé, nous serions heureux de vous avoir à dîner avec Richard. Je demanderai à Vincent de se joindre à nous. Je pense que Peter aura besoin de voir autour de la table des gens qui l’aiment et le soutiennent. »

Puis Kay perdit son sang-froid et se mit à sangloter : « J’ai tellement peur pour lui, Elaine. Tellement peur. Et vous aussi, je le sais.

– Kay, je ferai tout, tout au monde pour aider Peter. Je vous verrai ce soir, chérie. »

Elaine raccrocha. Kay, si vous saviez ce que j’ai déjà fait pour aider Peter, pensa-t-elle.