43.

Compromission

Ambre recula.

– Ces hommes sont fous. Ils sont tous déments.

Tous les Pans, et même leurs chiens, se tenaient figés face à l’horreur.

– Oz cherche le secret de l’immortalité, dit Tobias. Nous sommes dans la demeure d’un empereur tueur d’enfants.

– Qu’ils aillent se faire foutre ! pesta Floyd. On prend le Cœur de la Terre et on se tire. Laissons-les crever ! Que Entropia les balaye !

Dehors des hommes passèrent en courant sous les fenêtres du palais. Matt crut d’abord qu’ils accouraient en renfort mais leurs cris terrifiés trahissaient une fuite affolée.

– Il faut se dépêcher, coupa-t-il. Ça dégénère en ville.

À ces mots, une des portes de la salle s’ouvrit en grand et des soldats entrèrent d’un pas décidé, suivis par des hommes en livrée de domestiques. Ils encadraient un individu de taille moyenne, mais à la corpulence adipeuse. Entièrement chauve, les sourcils gris broussailleux, la bedaine pendante, et les lèvres épaisses, il arborait une tunique en soie vert sombre, brodée d’un O en fil d’or.

– Prenez toutes les notes ! clama-t-il. Et chargez aussi sur mon navire les derniers flacons obtenus. Dépêchez-vous ! Je veux être parti avant que…

Il se figea en découvrant les intrus, et toute sa garde se précipita autour de lui. Une vingtaine d’hommes en tenue de combat.

– Qui sont ces… jeunes ? demanda-t-il avec autant de surprise que de dédain.

– Mais… je le reconnais ! s’exclama Tobias. C’est le mec de la télé anglaise ! Il est super connu !

Matt et Floyd regardèrent Tobias.

– Toby, fit Matt, c’est l’empereur.

Oz les toisait, un sourcil relevé.

– Votre Altesse, dit un page, ils m’ont tout l’air d’être les rebelles mentionnés par le corbeau en provenance de Maester Luganoff.

– Gardes ! dit l’empereur. Amenez-moi ces gamins !

Les soldats brandirent épées et haches et aussitôt les Pans dégainèrent tandis que Torshan et Ti’an pointaient leurs bâtons vers les Ozdults. Les gardes hésitèrent, surpris par tant de détermination, puis chargèrent.

Deux éclairs illuminèrent la pièce tandis que les flèches sifflaient.

Avant même d’atteindre les adolescents, six hommes s’effondrèrent.

Plume en attrapa un et le projeta à travers les alambics qui explosèrent et d’un coup de patte en fit voler un autre.

Gus, Zap, Marmite et Draco s’occupèrent des six suivants pendant que Chunk, Safety, Nak et Kolbi se resserraient autour de leurs maîtres pour protéger leurs flancs et leurs arrières.

Matt accueillit le Cynik qui lui fonçait dessus du plat de sa lame et lui expédia un puissant coup de coude dans le nez qui se solda par des os brisés et un blessé de plus à terre en train de gémir.

Le temps de se retourner, il vit une hache s’abattre sur lui et para le coup in extremis avec la poignée de son épée. Sa force lui permit de repousser le soldat d’un coup de rein et l’acier de l’épée fendit l’air pour entailler le cou de l’homme.

Matt était couvert de sang.

Floyd de son côté esquiva une attaque et, se servant de son élasticité, allongea le bras pour planter son poignard dans la cuisse du soldat qui tomba à genoux en hurlant.

Un autre voulut le prendre par le côté mais il reçut deux éclairs des Kloropanphylles en même temps et il s’effondra, de la fumée sortant de son heaume.

Tobias abattit les deux derniers d’une flèche dans l’œil avant qu’ils puissent même lever leurs masses d’armes.

Oz et sa suite étaient médusés.

Les vingt éléments de la garde impériale gisaient sur le parquet. La bataille n’avait pas duré trente secondes.

Matt leva sa lame en direction de l’empereur :

– Nous sommes là pour ton âme, s’exclama-t-il.

– Qui êtes-vous ? demanda le gros homme sans peur dans les yeux.

Ambre glissa dans sa direction.

– Le Cœur de la Terre est là, dit-elle, derrière lui.

Elle désigna un accès au fond de la salle et Oz ne s’écarta pas, il resta sur son chemin.

– Qui êtes-vous ? insista-t-il. Vous n’êtes pas comme les autres.

Matt s’approcha d’un pas attentif, guettant les pages en livrée qui n’avaient pas bougé. Il voulut repousser Oz du bout de son épée mais, au moment de le toucher, la lame s’envola de ses mains et alla se planter dans le parquet trois mètres plus loin.

– J’ai dit : qui êtes-vous ? fit l’empereur avec la même assurance.

Matt n’en revenait pas. Une force prodigieuse. Il aurait dû s’y attendre ! Oz prenait de l’Élixir.

L’adolescent voulut se jeter en direction de son arme mais il décolla à son tour et fila droit sur les lustres de bougies pour s’empaler sur les bras d’acier lorsqu’une force contraire l’arrêta en plein vol.

Ambre !

Oz tourna la tête vers la jeune femme.

– Tiens, tiens…, dit-il plus amusé qu’étonné.

Et d’un geste de la main il la propulsa contre un mur où elle s’encastra avec fracas avant de retomber violemment sur le sol.

Lâché de toute part, Matt retomba de six mètres pour venir se briser les os sur le parquet.

Mais Plume sauta pour le saisir dans sa gueule et amortir la chute. Matt roula et s’échoua contre une paillasse, qui lui arracha cris et gémissements.

Tobias multiplia les tirs. L’heure n’était plus à l’hésitation. Voyant ses deux amis en danger de mort, il encocha, visa et banda avec toute la célérité de son altération pour projeter quatre flèches dans l’abdomen de l’empereur.

Les quatre traits s’écartèrent de lui au dernier moment pour venir mourir au pied des murs. Une force invisible assena deux coups à Tobias en plein visage, un aller et retour si sec qu’il tituba avant de s’écrouler en avant, sonné.

– J’ai dit : qui êtes-vous ? articula l’empereur, plus lentement, maintenant qu’il avait fait la démonstration de ses talents. Dois-je briser l’échine de vos chiens pour que vous daigniez me répondre ?

Dehors les fenêtres se voilèrent, tandis qu’une brume enveloppait brusquement le palais.

– Nous sommes là pour vous aider, fit Tania en avançant d’un pas.

Oz étouffa un rire moqueur et désigna ses gardes à terre :

– Je n’en ai pas l’impression.

– Vous ne nous avez pas laissé le choix.

– M’aider en me prenant mon âme ?

– Votre ville est assiégée, dit Matt en se relevant avec difficulté. Par une force étrange, n’est-ce pas ?

– Vous êtes ses émissaires ?

– Au contraire, ses ennemis.

Du sang coulait des narines sur le menton de Matt qui s’approcha d’Ambre. Elle battait des paupières en revenant à elle, et se tenait l’épaule.

– Laissez-nous accéder à l’énergie lumière, ajouta Matt, et nous vous libérerons de cette force. Nous vous protégerons.

Ambre attrapa le bras de Matt.

– Ce sont des sauvages, murmura-t-elle. Es-tu sûr de vouloir les sauver ?

– Ce sont des êtres humains avant tout. Ils peuvent changer.

Des cris terrifiés parvenaient de la rue à mesure que la brume s’installait.

– Votre Altesse, implora un page, il faut partir ! Nous devons quitter la cité avant qu’il soit trop tard !

– Il est déjà trop tard ! s’écria Matt en fixant l’empereur. Nous sommes cernés. Entropia est là. Et les forces qui l’animent assiègent votre palais pour y voler cette boule d’énergie que vous proclamez votre âme pour impressionner vos sujets.

– Mais elle est à moi ! répliqua l’empereur sèchement. Et je compte bien ne jamais la partager avec personne !

– Cette entité ne vous laissera pas le choix. Même vous, gavé d’Élixir jusqu’à exploser, vous ne pouvez lutter contre elle. Regardez votre armée : où est-elle ? Combien de temps a-t-elle tenu face à Entropia ? Quelques heures ? Quelques minutes ?

Comme pour souligner les propos de Matt, un homme hurla au pied des fenêtres avant que son râle cesse d’un coup, fauché en pleine terreur.

Le regard d’Oz commençait à changer.

– Votre Altesse, fuyons ! insista le page.

Oz désigna un balcon en haut d’un escalier de bois.

– Monte et dis-moi si le chemin est dégagé.

Le page devint livide et voulut envoyer un de ses collègues mais l’empereur le poussa :

– Monte, t’ai-je dit ! Toi et personne d’autre !

Le page, effrayé mais obéissant, monta les marches et, après une hésitation, ouvrit la fenêtre pour sortir sur le balcon, dans la brume. Il se pencha pour tenter de distinguer la rue, mais se tourna et leva les bras au ciel pour signifier qu’il ne voyait rien.

Une ombre fusa dans la purée de pois et le page disparut d’un coup, ne laissant qu’un flot de sang qui s’envola dans son sillage.

D’autres hommes hurlaient à l’extérieur. Toute la ville était la proie de la brume d’Entropia. Des ombres de monstres inquiétants passèrent devant les fenêtres.

À travers le brouillard, ils pouvaient distinguer le rouge sang qui se répandait partout dans Castel d’Os.

Oz prit une profonde inspiration. Il toisa Matt.

– J’ai tenté bien des expériences sur cette énergie, confia-t-il. Sans jamais parvenir à l’exploiter. Que croyez-vous pouvoir en faire de si salvateur ?

– Vous l’avez vu, nous ne sommes pas tout à fait comme les autres adolescents que vous avez l’habitude de malmener, répondit Matt. Nous pouvons vous sauver.

Des insectes gros comme des poneys se collèrent aux fenêtres, immondes et menaçants avec leurs mandibules. Les pages de l’empereur reculèrent en se lamentant tout bas.

– Comment ? demanda l’empereur.

– En absorbant l’énergie du Cœur de la Terre. Si vous ne nous laissez pas faire, cette entité là-dehors le fera. Que vous le vouliez ou non.

Le tonnerre se rapprochait, il claquait partout autour du palais. Les insectes firent vrombir leurs ailes et le verre des fenêtres commença à se craqueler.

Oz baissa la tête pour couler à Matt un regard sournois et cruel.

– J’imagine que je n’ai guère le choix, n’est-ce pas ?

Et il s’écarta pour filer vers la porte du fond.