Du sang dans la nuit
Le feu se propageait de plus en plus rapidement dans l’église. Le bois sec des bancs partait en fumée comme autant d’allumettes.
– Nous n’avons pas le choix, s’écria Tania par-dessus les crépitements de l’incendie. Il faut sortir !
– Avec ces trucs qui nous attendent ? grimaça Chen.
Matt prit les choses en main :
– Tania, Toby et Chen préparez vos flèches. Ti’an, tu ne déclenches tes éclairs qu’en dernier recours, ça risque d’attirer l’attention.
Le Kloropanphylle acquiesça et serra son bâton devant lui. Les chiens se rassemblèrent aux côtés de Plume.
Puis Matt défit le verrou de la porte et tira sur les battants, une main sur la poignée de son épée, prêt à la brandir.
La gueule d’un lézard apparut dans le halo du champignon lumineux que Tobias venait de planter au bout de son arc. Il était plus haut qu’un homme et dressé sur ses pattes arrière. Sa mâchoire s’ouvrit sur plusieurs rangées de dents pointues et sa langue fourchue balaya l’air.
– Un Raptor, annonça Tobias.
Deux de ses congénères se dandinèrent derrière lui pour approcher du festin qui s’offrait à eux.
Puis un quatrième et un cinquième, plus loin dans la rue.
Chen n’attendit pas plus longtemps. Il déclencha les deux tirs de son arbalète, et Tania suivit. Tobias fut plus lent à se décider, mais lorsqu’il entra en action, quatre flèches fusèrent presque instantanément si bien que Ambre, avec son altération, ne put en guider que deux.
La premier Raptor encaissa cinq projectiles et tituba en vociférant.
Ses cris résonnèrent dans la ville, plus forts qu’une sirène.
Un deuxième Raptor bondit dans l’église, mais au moment où il dépliait son cou pour saisir Matt à la tête, Plume referma ses crocs sur la nuque du reptile, le fit décoller du sol et le secoua contre les murs de l’entrée jusqu’à ce que ses os se fracassent.
Matt accueillit le suivant en esquivant la gueule pour mieux lui trancher la tête en frappant de toutes ses forces.
D’autres Raptors accouraient, ameutés par les cris.
– En selle ! hurla Matt en constatant qu’ils allaient être débordés par le nombre.
Les chiens jaillirent hors de l’église en même temps qu’une salve de tirs lancée pour éclaircir le passage.
Plume repoussa d’un violent coup de griffes un Raptor qui tentait de la mordre à la patte et Matt le neutralisa d’un moulinet du poignet.
Il en arrivait de partout.
Des dizaines.
Derrière, l’incendie de l’église projetait une lumière qui faisait fuir les moins téméraires, mais ce n’était pas suffisant.
Les mâchoires claquaient tout autour des Pans et les chiens se mirent à galoper comme le vent.
Tobias enchaînait les tirs. Ses flèches traversaient la nuit comme des spectres s’enfonçant dans la chair des vivants pour leur aspirer toute vie. Ambre veillait à corriger le maximum de tirs avec son altération pour que les pointes s’enfoncent de préférence dans les yeux ou la gorge.
Les cordes de Chen et Tania claquaient également à la chaîne.
Mais pour un Raptor qui tombait, deux le remplaçaient aussitôt.
Matt comptait sur la vitesse de leurs montures pour distancer les lézards, il voulait éviter à tout prix que Ti’an n’use de son altération. Il se savait beaucoup trop proche de Cytadel pour que les gardes sur les remparts ne les remarquent pas.
Pourtant, après deux cents mètres de course, il dut se rendre à l’évidence : les Raptors surgissaient de partout. Ils devaient être plus d’une centaine à grouiller dans les bas-fonds de la ville, à attendre qu’une proie s’aventure sur le territoire, et ils attaquaient avec la pugnacité et l’efficacité d’un prédateur né pour tuer.
Lorsqu’il eut frôlé de peu la morsure, ne devant son salut qu’à l’adresse de Plume, Matt se tourna vers Ti’an et cria :
– Maintenant !
Alors le Kloropanphylle leva une main et la foudre s’abattit sur les sauriens.
Trois tombèrent dans des gerbes d’étincelles avant que la meute ne finisse par ralentir, effrayée par les flashes des éclairs.
Ti’an en foudroya deux autres.
Puis les Raptors cessèrent la poursuite aussi vite qu’ils l’avaient entamée. Ils se glissèrent dans les ruelles, par les ouvertures sombres des bâtiments, sautèrent dans ce qui devait être des bouches d’égout béantes.
En un instant, la ville se vida de ses monstres.
Les chiens ne ralentirent pas pour autant et évacuèrent les adolescents au grand galop à travers la forêt avant que les ronces, les branches basses et le feuillage des épineux ne les obligent à marcher.
Les Pans demeuraient silencieux, éprouvés par ce qu’ils venaient de vivre.
– Tu crois que les Cyniks nous ont repérés ? demanda Chen à Matt.
– Avec le boucan qu’on a fait et les éclairs, il faudrait être aveugle pour passer à côté.
– Nous ne devrions pas dormir dans le secteur, conseilla Ti’an.
– Tu as raison. On rejoint les autres et on plie bagages.
– Attention à ne pas nous épuiser, le modéra Ambre. Tout le monde est à bout. Si nous ne dormons pas, nous n’irons pas loin.
– On se reposera avant l’aube. Lorsque nous aurons mis quelques kilomètres entre cette forteresse Cynik et nous.
Ils retrouvèrent le bivouac, guidés par le flair des chiens.
Matt s’attendait à devoir réveiller ses camarades en sautant du dos de Plume, alors qu’il ne trouva qu’un cercle de cendres à l’emplacement du feu de camp, et des sacs de couchage vides.
Ti’an, Chen et Tania sautèrent de leurs montures pour faire le tour des fourrés alentour.
– Rien ! fit l’adolescente.
– Ils sont partis à toute vitesse, conclut Tobias.
Le Kloropanphylle posa un genou à terre :
– Ou ils ont été enlevés. Il y a du sang !
Matt accourut pour découvrir plusieurs taches autour d’un sac de voyage. Il reconnut celui de Floyd.
Et les taches se multipliaient plus loin.
Ils étaient blessés.
Mais quand il vit les flaques qui imbibaient la terre, il eut un funeste pressentiment.