Bien sûr que j’ai raconté à maman, dans une autre lettre, ce qui m’était arrivé. Où j’en étais de tout ça. Et de comment les médecins, le professeur Koumba en tête, avaient conclu à la rupture des liaisons diplomatiques de mes oreilles avec le monde extérieur, à une forme singulière de synesthésie.
Je crois qu’elle a enfin compris par quoi j’étais passé durant toutes ces années. Et aussi ce que j’étais devenu. La détresse de moi. Je lui ai demandé si elle pouvait m’envoyer quelque chose qui me ferait vraiment mal aux oreilles. Un morceau de musique suffisamment violent pour me confirmer que j’étais devenu irrémédiablement sourd et que je pouvais, dorénavant, tout supporter. Elle n’a pas cherché à comprendre mes raisons. Elle m’a envoyé un truc des MC 5, un groupe de Detroit. Elle a précisé que ces mecs-là, c’est les papas du punk, plus trash, tu meurs, ils ont tout inventé, on est des Mickeys, à côté, tous ceux qui ont suivi, du pipi au lit, de la guimauve, de la musique de Monoprix ! Je sentais bien qu’elle en avait gros sur la patate, quand même. Elle n’avait rien contre Monoprix, sauf qu’elle trouvait ça un tout petit peu plus cher qu’ailleurs et qu’il y avait un peu plus de vieux à faire la queue en caisse, et des vieilles putes refaites de partout aussi, mais que, enfin voilà, avec ces gars-là, elle devait faire un geste de là où elle était, mais bien sûr je ne pouvais pas le voir, tu n’as qu’à écouter, tu m’en diras des nouvelles.
Je n’ai plus donné de nouvelles à maman. Je ne l’ai même pas remerciée pour son envoi. Je n’avais plus rien à lui dire. Plus rien à lui demander. D’ailleurs, je ne lui avais jamais rien demandé, ça tombait bien. À part ce truc, rien. Je n’ai appris sa disparition que plus tard, quand je m’en suis inquiété, un peu. J’avais tellement décidé de ne plus m’inquiéter que cela a pris du temps, beaucoup trop, et que je n’ai pas bien aimé cette manière de l’apprendre, par courrier, sans me donner le temps de réagir, de l’embrasser une dernière fois. Un genre de manière qui donne des remords. C’était à mon tour d’avoir des remords. Un comble, tout de même.