Madame,

 

Vous allez me trouver sacrément culotté de vous écrire comme ça.

Mais je constate qu’à travers certaines de vos remarques, vous me faites comprendre des choses qui n’ont plus qu’un lointain rapport avec les devoirs que je vous rends et que vous me corrigez. Comme, par exemple, m’appeler par mon prénom, ou bien alors, comme la dernière fois, me demander de penser très fort à vous demain, car ce sera un jour très important. Vous ne me précisez pas pourquoi il sera important, mais promis, je penserai à vous. D’ailleurs même quand vous ne me le demandez pas, je n’arrête pas de penser à vous. Et de toute façon, quand je reçois vos lettres, il est déjà trop tard pour penser à vous. Je ne sais pas où vous habitez, mais sûrement pas à la cité des peintres, et encore moins rue Cézanne, alors le temps que le courrier arrive jusqu’ici, votre demain ne ressemble déjà plus qu’à de l’avant-hier. Mais vous pouvez exiger de moi tout ce qui vous agrée, pour tous les jours de la semaine à venir, y compris les dimanches et les jours fériés. Chaque soir, dorénavant, avant mes prières, celles que je ne fais jamais, je penserai à vous pendant au moins cinq minutes. Ainsi, quoi qu’il arrive, je ne risque plus de rater quelque chose, la date du cachet de la poste faisant foi.

Je remarque également que votre dernière lettre me parvient parfumée. Je l’ai fait sentir à Daisy. Une amie de maman. Avant d’être dans la chanson (parce qu’elle est dans la chanson, je vous expliquerai plus tard, nous avons tout notre temps), Daisy travaillait dans une parfumerie. Elle a tout de suite reconnu Shalimar, de Guerlain. Elle prétend qu’il s’agit d’un parfum hypnotique, que quand on le respire on est comme envoûté et qu’il faut se méfier des femmes qui le portent. Elle a ajouté aussi autre chose vous concernant, sans vous connaître, tellement vulgaire, que je préfère ne pas vous le répéter. Bien sûr, je vous ai défendue.

Aujourd’hui, je n’ai pas de dissertation à vous rendre. Je vous écris seulement pour le plaisir que cela me procure de m’imaginer près de vous. Un peu. Malgré votre absence.

Le père Germain, un ami à moi que je vous présenterai si nous nous rencontrons un jour, m’a expliqué qu’il vous est formellement interdit par le règlement du CNED d’entamer avec moi une relation qui dérogerait à celle que l’on est en droit d’attendre d’un professeur et de son élève. Qu’il vaut mieux en savoir le moins possible. Que l’échange doit rester anonyme. Cela me paraît absurde. Et stupide. Moi, j’ai besoin de savoir qui se cache réellement derrière cette dame à l’encre rouge. J’ai besoin de connaître l’endroit où vous habitez. Ce que vous faites de vos journées. Tout. Tout m’intéresse de vous.

Vous m’avez appris à lire, à écrire et à compter. Vous m’avez transmis l’essentiel depuis. Je veux maintenant vous découvrir autrement. Vous obliger à m’aimer, peut-être ? Voyez comme je rêve.

Le jour se lève. Il me reste à terminer cette lettre. À vous écrire que je pense à vous. Et à vous embrasser.

Benjamin.

Gazoline Tango
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