The Naked Tits ronronnaient. Le punk agonisait. Avec lui, bien des utopies, bien des rêves se cassaient la gueule. Il fallait passer à autre chose. Tiffany ayant rejoint les anges et leur poussière, le groupe s’était séparé et chacune de son côté envisageait la vie à venir de manière plus conventionnelle. Il avait fallu attendre tout ce temps pour les découvrir enfin nature, les filles, sans artifice, pour voir à quoi elles ressemblaient sans leur maquillage, les paillettes, le strass et l’extravagance de leurs tenues de scène, comment elles étaient sous leurs cheveux de toutes les couleurs. Elles étaient grises en dessous. Maman aussi était grise. Tout le monde était gris en dessous. C’était cela vieillir. Devenir gris de la tête. Comme les cendres de mémé. La même couleur. Comme la neige sur le parvis de l’église, au petit matin, quand papa avait fait son apparition, sur un air d’opéra. C’était cela vieillir. Daisy avait rangé ses seins. Elle les gardait pour elle. Par pudeur, précisait-elle. Il n’y avait plus rien à voir. Ou alors des choses molles, le souvenir effondré de leur gloire passée. The Naked Tits ne faisaient plus recette. Daisy avait retrouvé du boulot dans la parfumerie. Fatima avait quitté la cité des peintres. Elle avait osé. Sans rien dire à personne, même pas au père Germain qui aurait pourtant bien aimé la guider dans sa quête spirituelle. Il demeurait le seul à croire encore en sa vocation de sainte-nitouche, il se sentait même prêt à la pistonner. Il connaissait du monde dans le milieu, une mère supérieure, tellement supérieure que, paraît-il, elle en prenait des airs, revêche et tout, conforme à l’idée que l’on peut se faire d’une mère quand elle est supérieure. Il lui éviterait toutes les formalités d’admission, ça irait vite, elle prononcerait ses vœux en accéléré, en une semaine tout serait plié, comme un stage en auto-école. Après, il lui trouverait un super couvent où elle pourrait se les rouler, se la couler douce, jusqu’à la fin de ses jours.

Malgré toutes ces promesses, ce miroir aux alouettes, elle avait pris un train. Du moins, elle le prétendait sur le mot qu’elle leur laissait. Qu’ils ne s’inquiètent pas surtout, elle partait. Basta.

Pas de quoi en faire un drame ni d’en chier une pendule !

Elle ne précisait pas si elle était accompagnée et par qui, elle avait été toujours très discrète sur sa vie privée. On ne savait rien d’elle, sinon ce que le curé en avait déduit, à cause de son attitude. Jamais de garçons dans son entourage. Alors forcément, les mauvaises langues allaient bon train. Ce train qu’elle avait justement fini par prendre pour échapper à tout ce merdier, sans se poser plus de questions et pour avoir la paix. Fatima avait déserté.

Elle nous écrirait, plus tard, pour donner de ses nouvelles. Nous parler de ses voyages. Des cartes postales. Des choses exotiques. Des couchers de soleil, surtout. Les couchers de soleil se ressemblent, d’où qu’ils viennent. Mais pourquoi seulement des couchers ? Moi, j’ai aussi vu, au-dessus des tours de la cité des peintres, le soleil se lever, s’étirer et bâiller dans un petit matin d’été. Je le vois encore ce matin s’ébrouer au-dessus du grand fleuve. De l’orange. De la peinture à l’eau. De la lumière qui déborde. Peut-être que les cartes postales mentent à ceux qui les reçoivent. Peut-être ne sont-elles destinées qu’à déjouer les pièges de ceux qui les lisent en fraude. Comme monsieur Lespert, par exemple. Pour leur éviter d’ouvrir des enveloppes. Pour ménager leurs efforts.

Les cartes postales restent des intimités à ciel ouvert. De l’exhibitionnisme affiché pour boîtes aux lettres éventrées.

Fatima nous informait de choses inutiles et interchangeables, comme quoi il faisait beau et que la mer était chaude, et elle nous embrassait bien fort. On s’en bat les couilles, s’énervaient les jeunes de la rue Matisse, des nouveaux jeunes avec encore plus d’insultes à la bouche.

On s’en bat les couilles, à la cité des peintres, que la mer soit à bonne température et que Fatima s’amuse bien, quand on sait le temps qu’il fait habituellement chez nous et que la mer se résume au bassin principal de la piscine Christine Caron. Fatima n’était pas rentrée dans les ordres. Elle n’était pas rentrée du tout. Elle n’en avait pas la moindre intention. Ses cartes postales en témoignaient. Elle ne rentrerait jamais. Ni dans les ordres, ni à la cité des peintres. C’était râpé. Plié.

Gazoline Tango
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