Mémé paraissait inconsolable. Elle n’arrêtait pas de chialer. Elle répétait qu’elle ne s’en remettrait jamais de la disparition de son Jojo.

Ça fait comme si Jules était mort une deuxième fois. Maintenant, je suis toute seule. Vraiment toute seule.

Elle exagérait quand même. J’étais là, moi. Et aussi Isidore qui avait essayé de lui réciter des poèmes, mais sans résultat. Elle pleurait toujours. En plus, Jojo n’était pas mort : il avait seulement disparu. Nuance. Il avait juste fait une fugue. Il allait peut-être revenir.

Mémé commençait à dérailler grave. Le comble pour une femme de garde-barrières. Elle radotait.

Juste demain, il aurait eu quatorze ans, vous vous rendez compte, quatorze ans ! Pour un lapin, c’est beaucoup ! Jules me l’avait offert la veille de quand il est passé sous le train. Je crois bien qu’il savait déjà, il avait bien préparé son coup, celui-là ! Il avait peur que je m’ennuie. Maintenant, c’est fini. C’est foutu. Je n’ai plus qu’à crever moi aussi.

Mémé Lucienne raffolait des drames domestiques sans réelle importance. Raison pour laquelle le père Germain, pour lui plaire, avait convenu d’une petite cérémonie œcuménique devant la cage du lapin disparu. Juste quelques mots.

Pour que mémé Lucienne puisse faire son deuil.

Faire son deuil. Est-ce que ça signifiait la même chose comme quand j’étais encore petit et que maman elle s’énervait après moi parce que je n’étais toujours pas propre et qu’elle répétait, en me tenant suspendu au-dessus de la cuvette des W.C. : Il faut que tu puisses faire ton pipi…

Est-ce que faire son pipi équivalait à faire son deuil ? Est-ce que le pipi avait à voir avec la mort ? J’étais bien décidé à poser toutes ces questions à l’abbé après que mémé elle aurait fait son deuil.

Pour l’occasion, elle avait revêtu une petite robe noire. Tout le monde avait fait le déplacement. Enfin, tous ceux qui la connaissaient un peu. Même Yolande avait tenu à assister. Et même qu’ils s’étaient parlé, tous les deux, avec Isidore. J’étais content que tout s’arrange entre eux. Si la disparition de Jojo pouvait au moins servir à ça, je pensais qu’il en faudrait bien d’autres, des lapins qui disparaissent, pour que tout le monde soit content partout sur la terre.

Elle me faisait vraiment de la peine, mémé Lucienne. Je ne savais pas trop comment la consoler. Je ne voulais pas qu’elle disparaisse, elle non plus. Ce jour-là, j’avais cru pourtant bien faire. Je lui avais apporté des fleurs. Un joli bouquet. Avant qu’elle se réveille, pour lui faire la surprise, j’étais allé les cueillir dans le potager, là où il y en avait plein d’autres qui poussaient. De toutes les couleurs. Je les gardais cachées derrière mon dos pour les lui offrir après l’hommage rendu au grand disparu. Juste après. Quand le curé aurait fini, je les lui donnerais, et elle serait contente, mémé, elle arrêterait de pleurer et même je prenais les paris, elle me ferait un bisou pour me remercier.

Ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Parce que quand je lui ai tendu mon bouquet, préparé avec tant d’amour, elle a tout de suite compris d’où il venait. Elle me l’a arraché des mains et avant que j’aie le temps de comprendre ce qui m’arrivait, elle m’a retourné une de ces calottes que mes oreilles en ont bourdonné longtemps après.

Tu ne recommences jamais ça, tu m’entends ? Plus jamais !

C’était la première fois qu’elle criait après moi de cette façon, devant tout le monde.

Sale petit con de bâtard de merde, qu’elle avait ajouté, comme si la gifle n’avait pas suffi. Je ne l’avais jamais vue se mettre dans un état pareil. Je crois bien que si Isidore ne s’était pas interposé, elle m’aurait encore cogné. Je ne me rappelle plus après. Enfin si. Je courais. J’étais déjà loin. Bien après la rivière. Je venais, sans m’en apercevoir, de quitter l’enfance.

Gazoline Tango
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