Le cours Michel était un institut spécialisé qui recevait et éduquait, de la maternelle jusqu’au baccalauréat, voire jusqu’à l’IUT, des élèves malentendants. Il acceptait aussi, sur dossier, des candidats libres (j’en faisais partie) dont le handicap, sans relever à proprement parler de la surdité, nécessitait cependant, par confort dirons-nous, l’apprentissage du langage des signes. Il accueillait enfin, pour les former efficacement, des bénévoles intervenant au sein d’associations qui œuvraient pour l’intégration des sourds dans notre société. Yolande avait trouvé là un nouveau combat à mener. C’est d’ailleurs par elle que j’avais été conduit, à mon tour, à fréquenter ce cours : Ça ne peut pas te faire de mal… Ça peut même t’aider…
Je voudrais m’arrêter quelques instants sur cet intérêt relativement récent des pouvoirs publics pour tous les naufragés de la vie qui, jusque-là relégués dans les couloirs obscurs des administrations, souvent réduits à y occuper des postes subalternes ou pire, à vendre des billets de la loterie nationale dans la rue ou à jouer de l’accordéon dans le métro, ou bien encore à passer dans les wagons avec un bout de papier, Je suis sourd-muet, Je n’ai pas de travail, etc., deviennent d’un coup des personnes respectables, tellement respectables d’ailleurs qu’il faut dans le même temps, par signe de déférence et d’intégration, leur inventer des mots nouveaux pour les désigner. Changer notre vocabulaire et, à travers cette transformation linguistique, transformer également notre manière de voir les choses.
Notre manière de voir les choses. Voilà bien le verbe qui convient : voir. On ne dit plus aveugle, mais non-voyant ou mal voyant. On ne dit plus sourd, mais malentendant.
Élargissant encore le champ de la modernité, les femmes de ménage sont rebaptisées techniciennes de surface et les éboueurs, rippeurs.
On ne meurt plus d’un cancer, le corps rongé par les métastases, mais des suites d’une longue maladie, le sourire aux lèvres grâce aux bienfaits des soins palliatifs et de la morphine en intraveineuse qui, bien dosée, vous colle au plafond durant quelques heures et vous fait envisager la vie, et donc la mort, avec hauteur. Ce qui revient au même finalement.
Même Œdipe, pour ceux qui ont eu la chance de croiser sa route ou en ont simplement entendu parler par les journaux, a bien changé. Il n’est pas devenu aveugle en se crevant les yeux, comme tout le monde le prétend sans connaître le fin mot de l’histoire.