À leur retour, ça sentait bon dans toute la caravane. Mais pas comme sous la jupe de Lola. Pas le même genre d’odeur. Celle-là invitait à passer à table, pareil que quand mémé Lucienne faisait mijoter dans la grosse cocotte en fonte noire un de ses plats en sauce dont elle détenait le secret.

Le ragoût est prêt, avait annoncé Carmen, faut manger pendant que c’est chaud… Passez-moi vos assiettes… Qui veut encore de la sauce ?

Il en voulait bien de la sauce, Benjamin, pour écraser ses patates et faire comme un volcan avec plein de jus au milieu, de la lave prête à dévaler la pente de sa colline de purée.

Il avait trouvé la viande un peu dure, mais mangé de bon appétit, l’amour ça donne faim, il paraît. Il avait anticipé tous les pièges du volcan en creusant à sa base un tunnel par lequel la lave s’était écoulée en douceur, évitant ainsi, par ce stratagème, une irruption meurtrière et des centaines de victimes.

Il les avait bien eues, les pommes de terre écrasées. Maintenant, son assiette ressemblait à une plaine fertile. Tout le temps qu’avait duré cette lutte avec la nourriture en fusion, Lola l’avait observé avec admiration. Benjamin, son héros.

Après avoir saucé tout ce qu’il pouvait saucer, il en avait redemandé.

C’est trop bon.

Carmen et Joseph semblaient contents de voir un gamin manger de si bon appétit.

Alors tu aimes ça ? Tu n’en avais jamais mangé avant du chochoï ? Reprends-en, te gêne pas…

C’est quoi du chochoï ?

Tout le monde avait ri, autour de la table. Lui, pas. Lola avait traduit : du lapin.

D’un coup, tout s’expliquait. Jojo ne s’était pas évadé. Jojo avait été découpé en tranches, mijoté avec des pommes de terre. Le jus de Jojo, son sang, sa chair, ses os, au fond de l’assiette. Et maintenant, au fond de son ventre. Rien que d’y penser, il en était malade.

Il avait demandé la permission de se lever de table. Il ne se sentait pas bien. Il avait besoin de prendre l’air. En ouvrant la porte, il l’avait vu, Jojo. Du moins ce qu’il en restait, sa peau suspendue à un crochet par les pattes de derrière.

Comment allait-il pouvoir annoncer ça à mémé Lucienne ? Qu’il venait de manger, sans le faire exprès, mais quand même, c’était grave, qu’il venait par gourmandise de reprendre, pour la deuxième fois, un peu de son mari, Jules ? Elle n’allait pas être contente du tout, mémé. Surtout quand elle saurait que, en plus, son lapin, son Jules, son Jojo, risquait de finir en fourrure, au cou d’une vieille mauvais genre.

Une fois dehors, il avait couru tant qu’il pouvait. Il n’avait pas atteint le pont sur la rivière qu’il vomissait déjà. Dans l’herbe, Jojo répandu n’était vraiment pas beau à voir. Il était comme qui dirait méconnaissable. Et il puait grave. Après s’être vidé complètement, Benjamin s’était senti mieux. Soulagé. Comme libéré du passé. Pas le sien (il n’en avait pas encore, ou si peu), mais celui de mémé Lucienne. Alors, d’un pas tranquille, il était retourné chez elle lui demander pardon pour les fleurs. Il ne l’avait pas fait exprès. Il ne recommencerait plus. Promis. Ou bien, il lui demanderait la permission d’abord pour en cueillir une ou deux.

Gazoline Tango
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