UN PETIT CIMETIÈRE PEINT COMME UN TABLEAU NAÏF PRÈS DE SOISSONS-LA-MONTAGNE

Nous voici déjà à l’arrêt, à Fermathe,

où l’on vend de la viande de porc grillée

et des patates douces frites.

Un camion rempli de gens en train de manger.

Cette fébrilité dans l’air

juste avant la longue descente

vers le Sud profond.

 

Cela prend autant de temps

pour aller dans un autre pays

que pour se rendre d’une ville

à une autre à l’intérieur de ce pays

aux routes cahoteuses

et aux falaises vertigineuses.

 

On traverse une haie de marchandes hurlantes

qui vous mettent des paniers de fruits sous le nez.

Quelques rires fusent dans ce tohu-bohu.

Une remarque impertinente d’un homme.

Gaieté soudaine des femmes.

 

Le chauffeur a ralenti

et tous les hommes se penchent vers

la rivière chantante tout en bas

où des femmes aux seins nus

lavent les draps blancs

des riches dames de Pétionville.

Parfum colonial.

 

Où va donc cette fillette fulminant de rage

à travers un champ de fleurs jaunes

qui se couchent sur son passage ?

La capacité d’une petite fille de cet âge

d’entrer dans une pareille colère est peut-être

le signe palpable que ce pays a encore

quelque chose dans le ventre.

 

Cette femme, sous un manguier,

nous invite à prendre un café.

La rivière n’est pas loin.

L’air est si doux

qu’il effleure à peine ma peau.

La musique du vent dans les feuilles.

La vie n’a aucun poids.

 

Un petit chat

cherchant sa mère

trouve une chienne

qui le laisse faire.

Les voilà endormis

dans les fleurs.

 

On reprend la route pour se retrouver derrière

une longue colonne de voitures

avec des hommes cravatés

tout en sueur

et des femmes en noir.

 

Le cortège s’arrête

à ce modeste cimetière décoré

par les paysans des environs.

D’où vient cette idée

de peindre la mort avec des couleurs

si éclatantes et des motifs si naïfs

qu’ils font rire les enfants ?

Pour le peintre primitif la mort

semble simple comme bonjour.

 

Une visite chez le peintre Tiga

qui ne vit pas loin de ce petit cimetière

qui a tant impressionné Malraux.

Maigre comme un clou.

Tête d’insecte.

Frémissant d’intelligence.

Il s’assoit, se lève, va à la fenêtre et revient

avec une idée si naturelle

qu’on la croit simple.

Et ce qui est rare chez un esprit aussi inventif :

les autres semblent compter pour lui.

 

Les peintres paysans se sont regroupés

sous le nom de Saint-Soleil.

La vie quotidienne dans ce village où l’on passe

la majeure partie de son temps à rêver et à peindre

tourne autour de l’astre solitaire

qui intimide tant Zaka, le dieu paysan.

 

Ma vie va en zigzag depuis ce coup de fil nocturne

m’annonçant la mort d’un homme

dont l’absence m’a modelé.

Je me laisse aller sachant

que ces détours ne sont pas vains.

Quand on ne connaît pas le lieu où l’on va

tous les chemins sont bons.

 

La jeep s’est arrêtée

près du marché de Pétionville,

à l’endroit même

où on s’était rencontrés ce matin.

On s’est embrassés longuement,

sans se dire adieu,

tout en sentant qu’on ne se reverrait pas

de sitôt.