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La méthode employée fut la suivante : toute la portion d’astéroïde entourant Cemp fut simplement soulevée et projetée dans l’espace. Cemp se retrouva en train de flotter dans le vide noir, environné de débris de météorite.

Puis la pensée du Glis lui parvint :

— J’ai fait ce que tu demandais. Maintenant dis-moi !

Alors même que Cemp obéissait, il commença à se demander s’il comprenait réellement ce qui se passait.

Il éprouva un malaise, une inquiétude. En mettant en marche un processus de cyclo-achèvement, il avait pensé tout naturellement que la nature trouverait un équilibre. Une ancienne forme de vie avait été préservée là et, dans son corps, son évolution progressait maintenant à la rapidité de l’éclair. Des millions d’années de changement avaient déjà été comprimées en minutes de temps. Comme aucune autre créature de son espèce n’existait encore, il avait supposé que cette espèce avait évolué depuis longtemps pour devenir… quoi ?

Qu’était ce monstre ? Une chrysalide ? Un œuf ? Se transformerait-il en papillon de l’espace, en ver énorme, en oiseau gigantesque ?

De telles possibilités ne lui étaient pas venues à l’esprit. Il n’avait songé qu’à l’extinction. Mais – et cela le frappa violemment – il n’avait pas envisagé assez sérieusement que l’extinction pourrait être le produit fini.

Il n’avait même pas pensé à l’existence d’un produit fini.

Soucieux, Cemp se rappela le rapport de l’ordinateur : la structure atomique de cet être géant indiquait un état de matière plus jeune.

Se pourrait-il que, à mesure que les particules « s’adaptaient » et se transformaient selon les normes actuelles, l’énergie s’en dégageât sur une échelle jusqu’alors inconnue ?

Au-dessous de lui, une chose titanesque se produisit.

Une partie de l’astéroïde se souleva et une boule massive de matière en fusion, épaisse de près de deux kilomètres, s’en détacha lentement. En se jetant de côté pour laisser passer l’incroyable chose, Cemp vit qu’il se produisait un phénomène encore plus inconcevable. La vitesse d’ascension de ce morceau de roche rougie à blanc augmentait… et la masse aussi.

Elle l’avait maintenant largement dépassé et elle avait au moins cent cinquante kilomètres de diamètre. Une minute plus tard, elle était épaisse de huit cents kilomètres et elle se dilatait encore, elle accélérait toujours.

Elle devint une incroyable masse incandescente.

Soudain, elle eut quinze mille kilomètres de diamètre et elle continuait de s’éloigner en grandissant de plus en plus.

Cemp transmit une alerte générale :

— Éloignez-vous ! Aussi vite que possible ! Éloignez-vous !

Tout en fuyant lui-même, employant une inversion de la gravité de la monstrueuse masse derrière lui, il vit qu’en ces quelques minutes elle avait encore grandi de plus de cent cinquante mille kilomètres de diamètre.

Elle était entièrement rose à présent, étrangement, merveilleusement rose.

La couleur se modifia sous ses yeux, et devint légèrement plus jaune. Et le corps qui émettait cette admirable lumière ocrée avait maintenant plus d’un million et demi de kilomètres de diamètre.

Gros comme le soleil de la Terre.

Quelques minutes de plus et il se dilata comme un soleil bleu géant, dix lois le diamètre de Sol.

Puis la masse redevint rose et grossit cent fois en dix minutes. Plus dix fois que Mira la Merveilleuse, plus grande que la radieuse Eas Algethi.

Mais rose, pas rouge. Un rose plus profond ; mais pas rouge, donc nettement pas une variable.

Tout autour s’étendait l’univers étoilé, scintillant d’objets inconnus brillant tout près et très loin, par centaines, accrochés comme une longue guirlande de lanternes japonaises.

Dessous, c’était la Terre.

Cemp contempla cette scène dans les cieux, puis la planète familière toute proche et il fut pris d’une terrible surexcitation.

Il songea : Est-il possible que tout ait dû croître, que la transformation du Glis ait modifié toute cette région d’espace-temps ?

Les anciennes formes ne pouvaient conserver leur état compressé, une fois que le géant rose ultra colossal avait complété l’évolution arrêtée, d’une façon ou d’une autre, au commencement des temps.

Ainsi, le Glis était maintenant un soleil jeune, mais avec mille huit cent vingt-trois planètes suspendues comme autant de diamants dans le ciel.

Où qu’il se tournât, Cemp voyait des planètes, si près de lui qu’elles avaient l’air de lunes. Il fit anxieusement un rapide calcul et constata avec soulagement que toutes les planètes étaient à l’intérieur de la zone de réchauffement du monstrueux soleil accroché là-bas, à une demi-année-lumière.

Quand Cemp descendit, à la vitesse maximum que pouvait supporter son corps dans l’immense couverture d’atmosphère entourant la Terre, tout lui parut semblable… la terre, la mer, les villes…

Il plana très bas au-dessus d’une route et observa des voitures qui roulaient.

Il se dirigea vers l’Autorité Silkie, pris d’un vertige émerveillé et incrédule, et vit la fenêtre brisée d’où il avait sauté si spectaculairement… pas encore réparée !

Lorsque, quelques instants plus tard, il atterrit parmi le même groupe d’hommes qui avaient assisté à son départ, il s’aperçut qu’il s’était produit une sorte de stase du temps, en rapport avec la taille.

Pour la Terre et ses habitants, ces quatre-vingts jours avaient été… quatre-vingts secondes.

Par la suite, il entendrait dire que les gens avaient eu une impression de bref séisme, ressenti une tension dans leur corps, une perte de conscience momentanée, une sensation très brève d’obscurité.

À présent, en entrant sous sa forme humaine, Cemp annonça d’une voix claironnante :

— Messieurs, préparez-vous pour la plus remarquable nouvelle dans l’histoire de l’univers. Ce soleil rose que vous voyez là-bas n’est pas le résultat d’une distorsion atmosphérique.

» Messieurs, la Terre a maintenant mille huit cents planètes-sœurs habitées. Commençons à nous organiser pour un avenir fantastique !

Plus tard, de retour dans sa confortable maison de Floride, Cemp dit à Joanne :

— À présent nous voyons pourquoi le problème Silkie ne pouvait avoir de solution. Pour la Terre, deux mille d’entre nous c’était la saturation. Mais avec ce nouveau système solaire…

Il n’était plus question de savoir ce que l’on ferait des 6 000 membres de la nation Silkie mais de chercher comment on pourrait former une centaine de ces groupes pour s’attaquer au travail à accomplir.

Vite !