17

Cemp interpréta la formation de pensée qu’il recevait comme un contact direct. En conséquence son cerveau, programmé pour réagir instantanément à une multitude de signaux, se régla de manière à capter davantage d’impulsions du cerveau émetteur… et il obtint une image. Une image momentanée, si brève qu’après quelques secondes il eut du mal à être certain que c’était une réalité et non une illusion.

Quelque chose de gigantesque était tapi dans l’obscurité au cœur de l’astéroïde. Cela émettait une impression de puissance considérable. La chose se retenait, l’observait avec une infime partie d’elle-même. Ce tout plus vaste comprenait l’univers et pouvait manipuler d’énormes sections d’espace-temps.

— Ne dites rien aux autres.

Encore une fois, la phrase était un contact direct ressemblant à des mots prononcés à voix haute.

Depuis quelques instants, Cemp était envahi d’une angoisse proche du désespoir. Il s’était introduit dans la forteresse Silkie en croyant que son entraînement humain et la science du Kibmadine lui conféraient un avantage temporaire sur les Silkies de l’espace et que, s’il ne tardait pas, il pourrait remporter une victoire qui réglerait une fois pour toutes la question de la menace de ces Silkies naturels.

Mais il avait pénétré sans méfiance dans le repaire d’un géant cosmique. Atterré, il pensa : Voilà ce qui a été appelé l’Énergie !

Et si l’image qu’il avait entrevue était réelle, alors c’était une puissance si colossale que sa propre force et sa propre habileté ne compteraient pour rien.

Il pensait maintenant que c’était cela qui l’avait attaqué par deux fois.

— Est-ce vrai ? télépathisa-t-il sur la même longueur d’onde qui lui avait transmis les pensées.

— Oui. Je le reconnais.

— Pourquoi ? Pourquoi avez-vous fait ça ?

— Afin de ne pas avoir à révéler mon existence. Je crains constamment que si d’autres formes de vie apprenaient mon existence, elles ne cherchent les moyens de me détruire.

Le courant de pensée de l’esprit étranger changea de direction.

— Mais pour le moment, écoutez. Faites ce que je dis…

L’aveu ranima de nouveau les émotions de Cemp. La haine qui s’était éveillée en lui possédait une force dérivée de la stimulation de la logique des niveaux : dans ce cas précis, une réaction corporelle à une tentative de destruction totale. Par conséquent, il avait maintenant du mal à réprimer des réactions automatiques supplémentaires.

Mais les morceaux du puzzle s’assemblaient. Il put donc bientôt, à la requête du monstre, dire à E-Lerd et aux autres Silkies :

— Prenez votre temps pour réfléchir. Et quand les Silkies déserteurs arriveront de la Terre, je leur parlerai. Nous pourrons alors discuter à nouveau.

C’était un changement d’attitude si total que les deux Silkies exprimèrent leur surprise. Mais Cemp vit qu’ils prenaient ce changement pour de la faiblesse et qu’ils étaient soulagés.

— Je serai de retour ici dans une heure, télépathisa-t-il à E-Lerd.

Sur ce, il tourna le dos et s’éleva hors de la cour pour foncer vers une ouverture qui menait par des chemins détournés vers le cœur de l’astéroïde.

Encore une fois, la lente vibration basse effleura ses récepteurs.

— Venez plus près ! ordonna la créature.

Cemp obéit, s’enfonça dans la petite planète et franchit une dizaine d’écrans pour aboutir enfin dans une grotte nue, une salle taillée dans la matière originelle du météorite. Elle n’était même pas éclairée. Comme il entrait, la pensée directe toucha son cerveau :

— Maintenant nous pouvons causer.

Cemp avait réfléchi à une vitesse fébrile, s’efforçant de s’adapter à un danger si monumental qu’il n’avait aucun moyen de l’évaluer. Cependant, l’Énergie s’était révélée à lui plutôt que de laisser E-Lerd découvrir quoi que ce soit. C’était la seule prise qu’il avait sur elle, semblait-il, mais il était fermement convaincu que cela n’était vrai que tant qu’il serait à l’intérieur de l’astéroïde.

Il pensa… Tires-en tout le profit possible !

Il télépathisa :

— Après ces attaques, vous devez me donner des réponses franches si vous voulez traiter avec moi.

— Que voulez-vous savoir ?

— Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que voulez-vous ?

La chose ne savait pas ce qu’elle était.

— J’ai un nom. Je suis le Glis. Il y en avait beaucoup comme moi, il y a très longtemps. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus.

— Mais qu’est-ce que vous êtes ?

La chose n’en savait rien. Une forme de vie énergétique d’origine inconnue, voyageant d’un système solaire à l’autre, y restant en moment et repartant.

— Mais pourquoi partir ? Pourquoi ne pas rester ?

— Le moment vient où j’ai fait ce que j’ai pu pour un système particulier.

En se servant de sa fantastique puissance, elle transportait de grands météorites de glace et d’air vers des planètes sans air et les rendait habitables, les débarrassait des dangereux détritus de l’espace, modifiait les atmosphères empoisonnées pour qu’elles ne soient plus toxiques…

— Finalement le travail est accompli et je me rends compte qu’il est temps de continuer d’explorer le cosmos infini. Alors je compose mon joli tableau des planètes habitées, comme vous l’avez vu, et je repars dans l’espace.

— Et les Silkies ?

C’était une très ancienne forme de vie météorique.

— Je les ai découverts il y a longtemps et comme j’avais besoin d’unités mobiles capables de penser, je les ai persuadés d’accepter des rapports permanents.

Cemp ne demanda pas quelles méthodes de persuasion avaient été employées. Considérant l’ignorance où étaient les Silkies de la chose avec laquelle ils étaient en rapport, il devinait que la méthode avait dû être sournoise. Malgré tout, ce qu’il avait vu indiquait un arrangement pacifique. Le Glis avait des agents – les Silkies – qui agissaient pour lui et qui, en échange, disposaient de parcelles du propre « corps » du Glis, qui pouvaient apparemment être programmées pour des tâches spécifiques dépassant les capacités des Silkies.

— Je suis prêt, dit le Glis, à conclure le même accord avec votre gouvernement pour la durée de mon séjour dans le système solaire.

Mais le secret absolu s’imposait.

— Pourquoi ?

La réponse ne vint pas immédiatement, mais la ligne de communication resta ouverte. Et cette ligne transmettait une essence de réaction du Glis, une impression de puissance sans égale, d’un être si prodigieux que tous les autres individus de l’univers paraissaient infimes à côté.

Cemp se sentit de nouveau fortement impressionné, mais il communiqua :

— Je dois en parler à quelqu’un. Quelqu’un doit savoir.

— Pas d’autres Silkies. Absolument.

Cemp ne discuta pas. Durant tous ces millénaires, le Glis avait caché son identité aux Silkies de l’espace. Et Cemp était totalement convaincu qu’il détruirait tout l’astéroïde pour les empêcher de la connaître.

Il avait eu de la chance. Le Glis l’avait trouvé à un niveau où une seule salle du météorite avait été détruite. Le Glis s’était retenu.

— Seuls les plus hauts dirigeants du gouvernement et le Conseil des Silkies auront le droit de savoir, reprit le Glis.

La concession paraissait acceptable ; cependant Cemp soupçonnait que dans le long passé de cette créature toutes les personnes qui avaient découvert son secret avaient été assassinées.

Dans cet état d’esprit, il ne pouvait se résoudre à un compromis. Il exigea :

— Laissez-moi vous voir complètement. Je n’ai eu qu’un bref aperçu, je ne vous ai qu’à peine entrevu.

Il sentit alors l’hésitation du Glis et il insista :

— Je vous donne ma parole que seules les personnes que vous avez nommées seront mise au courant… mais nous devons savoir !

Planant dans cette caverne sous sa forme de Silkie, Cemp sentit une modification de la tension énergétique, dans l’air et dans le sol. Bien qu’il n’eût déployé aucune énergie de sondage supplémentaire, il comprit que les barrières s’abaissaient. Et bientôt il commença à enregistrer.

Sa première impression fut celle d’énormité. Cemp estima, après un long coup d’œil calculateur, que la créature, une structure circulaire semblable à de la pierre, mesurait environ trois cents mètres de diamètre. C’était vivant, mais pas fait de chair et de sang. Cela se « nourrissait » de quelque énergie interne égalant celle qui existait au cœur du soleil.

Et Cemp remarqua un phénomène extraordinaire.

Les impulsions magnétiques qui traversaient la créature et qui venaient frapper ses sens étaient modifiées d’une manière qu’il n’avait encore jamais observée, comme si elles avaient passé au travers d’atomes d’une structure différente de tout ce qu’il connaissait.

Il se rappela l’impression fugace obtenue de la molécule. C’était la même chose mais sur une échelle énorme. Il était surpris que son fantastique entraînement ne lui donnât aucun indice sur la nature de cette structure.

— Assez ? demanda la créature.

— Oui, répondit Cemp en hésitant.

Le Glis prit cette réponse donnée à contrecœur pour un acquiescement total. Ce qui s’était montré à travers et au-delà des parois de la grotte disparut brusquement.

La pensée étrangère parla dans l’esprit de Cemp :

— J’ai fait une chose extrêmement dangereuse en me révélant ainsi. Par conséquent, j’insiste encore sur l’importance du secret ; seul un nombre limité de personnes doivent apprendre ce que vous venez de voir.

Le secret, répéta le Glis, était l’unique garant de la sécurité, non seulement de la sienne mais de celle de Cemp.

— Je crois, dit la créature, que ce que je puis faire est prodigieux, mais je peux me tromper. Ce qui me trouble, c’est que je suis seul. Je n’aimerais pas éprouver soudain le genre de peur qui me pousserait peut-être à détruire un système entier.

La menace implicite était plus dangereuse – et aussi plus vraisemblable – que tout ce que Cemp avait jamais entendu. Il hésita encore, se sentant débordé, désirant désespérément davantage d’information.

— Quel âge atteignent les Silkies ? demanda-t-il. Nous n’avons aucune expérience, ajouta-t-il vivement, puisqu’aucun n’est encore mort de mort naturelle.

— Environ mille ans de vos années terrestres.

— Qu’envisagez-vous pour les Silkies natifs de la Terre ? Pourquoi voulez-vous que nous revenions ici ?

Encore une fois il y eut une pause, et de nouveau la sensation de puissance colossale. Mais finalement, Cemp capta un vague aveu : les nouveaux Silkies, nés sur des planètes, avaient normalement moins de connaissance directe du Glis que ceux qui avaient fait le dernier voyage.

Ainsi, le Glis tenait vivement à s’assurer que tout le temps serait accordé pour un bon remplacement par de jeunes Silkies ignorants. Il termina ainsi :

— Nous devons, vous et moi, conclure un accord particulier. Vous pourriez reprendre le poste d’E-Lerd et devenir mon contact.

Comme E-Lerd ne se souvenait plus qu’il était le contact, Cemp avait l’impression qu’on ne lui offrait rien que… du danger.

Il songea gravement : Jamais on ne me laissera revenir ici, une fois que je serai parti.

Mais cela n’avait pas d’importance. L’essentiel, c’était de partir… Immédiatement !