20

Par des kilomètres de souterrains, montant et descendant et tournant, Cemp avançait. Le parcours le conduisit dans de longues salles pleines de meubles et d’objets d’art d’autres planètes.

En chemin, il vit d’étranges et merveilleuses scènes représentées en bas-relief et en couleurs éclatantes. Et toujours il y avait les planètes elles-mêmes, d’une radieuse beauté mais horribles pour lui, maintenant qu’il savait que chacune d’elles représentait un crime monstrueux.

Sa destination était la ville des Silkies. Il suivit le passage intérieur qui y conduisait parce qu’il n’osait pas quitter l’astéroïde pour l’aborder par l’extérieur. Le Glis avait pratiquement avoué qu’il n’avait pas prévu que Cemp, son plus dangereux ennemi, survivrait. Donc, si jamais Cemp quittait ces cavernes, il n’aurait plus de choix, plus aucune chance de décider du châtiment – si possible – ou de l’issue du combat, il ne prendrait aucune part à l’avenir des Silkies. Car sûrement on ne le laisserait jamais revenir.

Non qu’il eût perdu son courage, ni sa résolution. Son chagrin était trop profond, trop terrible. Il avait échoué dans sa mission de protection, il n’avait pas compris, il avait failli à son devoir.

La Terre était perdue. Perdue rapidement, complètement. C’était une si formidable catastrophe qu’elle ne pouvait être envisagée plus de quelques instants.

Par moments, il pleurait Joanne et Charley Baxter, d’autres amis parmi les Êtres Spéciaux et la race humaine.

Ainsi plongé dans sa douleur, il arriva à destination et prit un poste d’observation au sommet d’un arbre dominant la rue principale de la ville Silkie. Et là il attendit, tous ses systèmes de perception en alerte de pointe.

Tandis qu’il veillait infatigablement, la vie de la communauté se déroulait autour de lui. Les Silkies continuaient de vivre principalement comme des humains, et cela commença à lui paraître significatif.

Avec un choc, Cemp se dit : Ils sont maintenus en état de vulnérabilité !

Sous une forme humaine, ils pouvaient tous être tués d’un seul éclair de flamme intolérable.

Il transmit sur la longueur d’onde du Glis :

— Libère-les de cette contrainte ou je leur dis la vérité sur ce que tu es.

La réponse vint, immédiate et féroce :

— Un seul mot, et j’anéantis tout le nid !

Cemp ordonna :

— Libère-les de cette contrainte sinon c’est l’affrontement immédiat entre nous.

Cette menace dut faire réfléchir le Glis car il y eut un bref silence. Puis :

— Je vais en libérer la moitié. Pas davantage. Je dois conserver une emprise sur toi.

Cemp admit la justesse de ce point de vue.

— Mais il faudra que ce soit par alternance. La moitié sera libre pendant douze heures, ensuite l’autre moitié.

Le Glis accepta le compromis sans discuter. Il était manifestement prêt à se plier à cet équilibre du pouvoir.

— Où nous dirigeons-nous ? demanda Cemp.

— Vers un autre système stellaire.

La réponse ne satisfit pas le Silkie. Il ne pouvait croire que le Glis s’attendait à pouvoir poursuivre son jeu maléfique, augmenter sa collection de planètes habitées. Il lui lança un défi.

— Je sens que tu as quelque dessein secret.

— Ne sois pas ridicule et ne m’embête plus.

L’impasse.

Les jours et les semaines passèrent et Cemp tentait constamment de ne pas perdre de vue la distance que parcourait l’astéroïde et la direction qu’il suivait. Sa vitesse avait atteint près d’une année-lumière par jour, en temps terrestre.

Quatre-vingt-deux jours s’écoulèrent ainsi. Puis il y eut une sensation de ralentissement. La décélération se poursuivit toute la journée et le jour suivant. Finalement, cela ne fit aucun doute pour Cemp : il ne pouvait pas permettre à cet étrange engin qui était provisoirement sa terre d’adoption d’arriver à une destination dont il ignorait tout.

— Arrête ce vaisseau ! ordonna-t-il.

Le Glis répliqua rageusement :

— Tu n’espères pas contrôler des choses aussi mineures !

Comme ce pouvait être mortellement périlleux, Cemp répliqua :

— Alors ouvre-toi à moi. Montre-moi tout ce que tu sais de ce système.

— Je n’y suis encore jamais allé.

— Très bien. Alors ce sera ce que je verrai quand tu t’ouvriras.

— Je ne peux absolument pas te laisser regarder à l’intérieur de moi. Tu pourrais y voir cette fois des choses qui me rendraient vulnérable à tes techniques.

— Alors change de cap.

— Non. Ça voudrait dire que je ne pourrais aller nulle part avant que tu ne meures, d’ici à mille ans. Je refuse d’accepter une telle limitation.

Cette seconde allusion à l’âge des Silkies donna à penser à Cemp. Sur Terre, personne ne savait combien de temps les Silkies vivaient, puisqu’aucun de ceux qui y étaient nés n’était mort de mort naturelle. Lui-même n’avait que trente-huit ans.

— Écoute, dit-il enfin, si je n’ai que mille ans à vivre, pourquoi ne patientes-tu pas ? Ce ne doit être qu’une fraction de seconde, à côté de ta longévité.

— D’accord, c’est ce que nous allons faire, répliqua le Glis. (Mais la décélération continua.)

— Si tu ne changes pas de cap, il me faudra passer à l’action, menaça Cemp.

— Que peux-tu faire ?

La question était méprisante, mais pertinente. Quoi, en effet ?

— Je t’avertis ! dit Cemp.

— Ne parle de moi à personne, c’est tout. À part ça, fais ce que tu veux.

— Si je comprends bien, tu as fini par décider que je ne suis pas dangereux. Et c’est ainsi que tu te conduis avec ceux que tu juges inoffensifs.

Le Glis déclara que si Cemp avait été capable de faire quelque chose il l’aurait déjà fait et conclut :

— Moi je te préviens. Je ferai ce que je veux, et la seule restriction que je t’impose, c’est de ne pas violer mon besoin de secret. Maintenant ne me dérange plus.

La signification de cette mise en demeure était claire. Cemp avait été jugé impuissant, placé dans la catégorie des gens dont les désirs n’ont pas à être pris en considération. Les quatre-vingts jours d’inaction le desservaient. Il n’avait pas attaqué, par conséquent il ne le pouvait pas. Telle était manifestement la logique du Glis.

Eh bien, que pouvait-il faire, lui, Cemp ?

Il pourrait lancer un assaut d’énergie. Mais il faudrait du temps pour le préparer, et il pouvait s’attendre à ce que la Nation Silkie soit anéantie en représailles et la Terre détruite.

Il se dit qu’il n’était pas prêt à déclencher une telle calamité.

Bientôt il constata avec détresse que l’analyse du Glis était correcte. Il pouvait garder son esprit fermé et respecter le besoin de secret de la créature… rien de plus.

Il lui semblait cependant qu’il devrait faire observer au Glis qu’il y avait différents types de secret. Des gradations. Le secret concernant le Glis en était un. Mais le secret sur le système stellaire était tout autre. Toute la question du secret…

Cemp interrompit ses réflexions. Puis il pensa : Mais comment est-ce que ça a pu m’échapper ?

Cependant, alors même qu’il s’interrogeait, il comprenait comment cela s’était passé. Le besoin de secret du Glis avait paru compréhensible, et en quelque sorte ce côté naturel avait voilé les implications. Mais à présent…

Le secret, pensa-t-il. Bien sûr ! C’était ça !

Pour les Silkies, le secret allait de soi.

Après y avoir réfléchi pendant quelques secondes encore, Cemp accomplit sa première action. Il inversa la gravité en relation avec la masse de l’astéroïde au-dessous de lui. Léger comme du duvet de chardon, il s’éleva de l’arbre qui avait été pendant si longtemps son poste d’observation. Bientôt il fonçait le long des corridors de granit.