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— Pour commencer, je veux vous raconter l’histoire des Silkies, dit E-Lerd.
Cette déclaration électrisa Cemp. Il s’était armé de courage pour une amère querelle et il sentait en lui une multitude de courants d’énergie qui se rajustaient… preuve de la gravité du second combat à mort. Et il tenait absolument à avoir une explication complète de ces attaques.
À ce moment, en proie comme il l’était à une rage brûlante, rien d’autre n’aurait pu distraire son attention. Mais… l’histoire des Silkies ! Ce fut immédiatement à ses yeux le sujet le plus capital de tout l’univers.
L’astéroïde des Silkies, venu des espaces intersidéraux, commença E-Lerd, avait pénétré dans le système solaire, près de trois cents ans plus tôt. Il avait fini par être attiré dans une orbite sol-neptunienne. À son premier tour autour du soleil, les Silkies avaient visité les planètes intérieures et découvert que seule la Terre était habitable.
Comme ils pouvaient changer de forme, ils étudièrent la structure biologique nécessaire pour vivre dans les deux atmosphères de la Terre – l’air et l’eau – et effectué à cet effet une programmation interne.
Malheureusement, on s’aperçut bientôt qu’un petit pourcentage de la population humaine était capable de capter les pensées des Silkies. Tous ceux qui le firent lors de cette première visite furent rapidement traqués et leurs souvenirs effacés.
Mais à cause de ces humains sensitifs, les Silkies devaient tenter de passer pour le produit d’expériences biologiques humaines. Un rapport réciproque avec les femmes humaines fut donc programmé chez les Silkies, afin que l’ovule humain et le sperme Silkie produisent un Silkie qui ignorerait tout de son origine.
Pour maintenir ce processus à un niveau automatique, les Êtres Spéciaux – ces personnes qui pouvaient lire dans la pensée des Silkies – furent manipulés de manière à en assumer la responsabilité.
Sur ce, tous sauf un des Silkies adultes regagnèrent leur astéroïde qui partit vers la lointaine extrémité de son orbite. Quand il revint dans le voisinage de la Terre plus d’un siècle après, on effectua de prudentes visites.
Il devint évident qu’il s’était produit plusieurs événements imprévus. Des biologistes humains avaient expérimenté le processus. Ainsi, dans les premiers stades, des variants étaient nés. Ils avaient propagé leurs caractéristiques perverses, continuaient de le faire et devenaient de plus en plus nombreux.
Les conséquences étaient les suivantes : un certain nombre de véritables Silkies, capables de la triple transformation à volonté ; des Silkies de classe-B, qui pouvaient passer de l’état humain à l’état poisson mais ne pouvaient pas devenir des créatures de l’espace ni une forme stable : des Variants !
Les deux derniers groupes se confinaient surtout aux océans. Il fut donc décidé de laisser tranquilles les Silkies de classe-B mais de faire un effort pour attirer les Variants dans de gigantesques vaisseaux spatiaux remplis d’eau, où ils pourraient être isolés et empêchés de se reproduire entre eux.
Ce projet était sur le point d’être exécuté quand l’astéroïde des Silkies eut accompli son tour du soleil et revint vers Neptune.
Maintenant, ils étaient de retour et ils avaient découvert une situation fâcheuse. La science terrestre, virtuellement ignorée par les premiers visiteurs, avait permis de découvrir une méthode pour entraîner le système de perception des Silkies.
Les Silkies terrestres étaient devenus un puissant groupe d’êtres loyaux à la Terre, fortement unis, à qui il ne manquait que l’Énergie.
Cemp « lut » tout cela dans la pensée d’E-Lerd puis, parce qu’il était médusé, il l’interrogea sur ce qui lui paraissait une importante omission. D’où l’astéroïde des Silkies était-il venu ?
E-Lerd perdit un peu patience.
— Ces voyages sont trop lointains, télépathisa-t-il. Ils durent trop longtemps. Personne ne se souvient des origines. D’un autre système stellaire, évidemment.
— Vous parlez sérieusement ? demanda Cemp, ahuri. Vous ne le savez pas ?
C’était vrai, E-Lerd n’en savait rien. Cemp eut beau insister, sonder, rien n’y fit. Si l’esprit d’E-Lerd restait fermé, sauf pour les pensées télépathiques, celui d’O-Vedd était ouvert et Cemp y voyait les mêmes croyances et la même ignorance.
Mais pourquoi les manipulations de la biologie humaine et le mélange des deux races ?
— Nous avons toujours fait ça. C’est ainsi que nous vivons, en rapport avec les habitants d’un système.
— Comment savez-vous que vous avez toujours fait ça ? Vous venez de me dire que vous ne savez pas d’où vous venez.
— Eh bien… C’est évident, tous les objets que nous avons rapportés le prouvent.
L’attitude d’E-Lerd indiquait que ces questions l’agaçaient et qu’il les jugeait oiseuses. Cemp détecta chez lui un phénomène mental expliquant cette attitude. Pour les Silkies de l’espace, le passé ne comptait pas. Les Silkies faisaient toujours certaines choses parce que c’était ainsi qu’ils étaient bâtis mentalement, émotionnellement et physiquement.
Un Silkie n’avait pas besoin de connaître par expérience passée. Il lui suffisait simplement d’être ce qui était inné aux Silkies.
C’était, se dit Cemp, une explication fondamentale de bien des choses qu’il avait observées. C’était pourquoi ces Silkies de l’espace n’avaient jamais été scientifiquement entraînés. L’entraînement était un concept étranger dans le cosmos des Silkies de l’espace.
— Vous voulez dire, protesta-t-il sans pouvoir y croire, que vous ignorez totalement pourquoi vous avez quitté le dernier système dont vous aviez établi des rapports avec la race ? Pourquoi ne restez-vous pas définitivement dans un système quand vous vous y êtes situés ?
— Probablement, répondit E-Lerd, quelqu’un s’est trop rapproché du secret de l’Énergie. Cela ne peut être permis.
C’était la raison, expliqua-t-il, pour laquelle Cemp et les autres Silkies devaient revenir au bercail. En tant que Silkies, ils pourraient connaître l’Énergie.
La conversation revenait tout naturellement sur ce sujet le plus important.
— Qu’est-ce que l’Énergie ? demanda Cemp.
E-Lerd déclara pompeusement que c’était un sujet interdit.
— Alors il va falloir que je vous arrache ce secret, dit Cemp. Il ne peut y avoir d’accord sans ça.
E-Lerd répliqua sèchement que toute tentative de ce genre le contraindrait à employer l’Énergie pour se défendre.
Cemp perdit patience.
— Après avoir déjà tenté par deux fois de me tuer ! transmit-il rageusement. Je vous donne trente secondes…
— Qui a tenté de vous tuer ? demanda E-Lerd avec étonnement.
À ce moment précis, alors que Cemp s’apprêtait à avoir recours à la logique des niveaux, il y eut une interruption.
Une onde d’« impulsion » – une vibration très lente, très basse – toucha un des récepteurs de la partie antérieure de son cerveau. Elle opérait à de simples multiples du son audible, directement sur son système récepteur.
Ce qui était nouveau, c’était que le son servait de porteur à la pensée qui l’accompagnait. Ce fut donc comme si une voix parlait nettement et fortement à son oreille.
— Vous gagnez, dit la voix. Vous m’avez contraint. Je vous parlerai moi-même, en passant outre à mes serviteurs ignorants.