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Grig attendait dans le couloir. Il paraissait avide de plaire. Cemp, qui voulait rencontrer Riber, lui demanda si l’officier était un respireur. Riber ne l’était pas, aussi Cemp et Grig retournèrent-ils dans l’eau.
Cemp fut conduit à des profondeurs infinies, en un endroit où plusieurs coupoles étaient fixées à la coque du vaisseau. Là, dans un labyrinthe de métal et de plastique rempli d’eau, il rencontra Riber. L’officier administratif du vaisseau était un long poisson très fort aux yeux globuleux. Il flottait à côté d’un appareil récepteur de messages. D’une main, il tenait l’instrument émetteur. Il regarda Cemp et brancha l’appareil.
Dans la langue sub-aquatique, il annonça :
— Je pense que notre conversation doit être enregistrée. Je ne crois pas pouvoir me fier à un Silkie pour faire un rapport objectif de cette situation particulière.
Cemp acquiesça sans discuter. La conversation débuta par une déclaration apparemment très franche de Riber :
— Ce vaisseau et tout le personnel à bord sont contrôlés par ce garçon remarquable. Il n’est pas toujours ici, et dans l’ensemble nous agissons comme nous l’avons toujours fait. Mais ceux qui sont sortis à votre rencontre n’ont aucun moyen de résister à ses ordres. Si vous parvenez à le maîtriser, alors nous serons de nouveau libres. Mais si vous ne le pouvez pas, alors que ça nous plaise ou non, nous resterons ses serviteurs.
— Il doit y avoir un niveau vulnérable, répondit Cemp. Pourquoi vous, par exemple, faites-vous ce qu’il veut ?
— J’ai ri, la première fois qu’il m’a dit ce qu’il voulait. Mais quand j’ai repris connaissance, des heures après, je me suis aperçu que j’avais fait tout ce qu’il désirait alors que j’étais inconscient. Alors maintenant, je le fais consciemment. Voilà environ un an que ça dure, en temps de la Terre.
Cemp interrogea longuement Riber. Le fait que lui-même ait continué de fonctionner physiquement alors qu’il était sous le contrôle du garçon indiquait que sa principale méthode pour provoquer l’inconscience était de couper les perceptions normales.
Cemp se rappela alors le V dont le secret était qu’il s’était endormi alors qu’il montait la garde à l’un des sas. À sa demande, les gardiens des sas furent réunis. À chacun il posa en privé sa question, « Quel est ton secret ».
Sept sur vingt révélèrent ainsi, à leur insu, qu’ils s’étaient endormis pendant leur tour de garde. Ce n’était pas plus compliqué. Le garçon arrivait à l’entrée d’un sas, il endormait l’esprit du gardien et pénétrait dans le vaisseau.
Cemp se dit qu’il était inutile d’aller chercher plus loin. Il y avait un cadre de logique. Le problème qui, pendant un moment, avait paru comporter quelque nouvelle espèce complexe de contrôle télékinétique, commençait à paraître beaucoup plus ordinaire.
Il retourna chez Mensa pour se rhabiller. Elle l’accompagna jusqu’à la porte et chuchota :
— Je te défends de quitter ce vaisseau sans avoir fait l’amour avec moi. J’ai besoin de sentir que je t’appartiens.
Fondamentalement c’était faux, Cemp le savait. Elle vivait par inversion. Elle désirerait toujours ce qu’elle n’avait pas, mépriserait ou repousserait ce qu’elle avait. Mais il lui assura qu’il ne l’oublierait pas et remonta à l’Appartement I.
En entrant, Cemp eut l’impression que la figure du garçon était congestionnée et ses yeux si brillants plus ternes. Il lui dit d’une voix douce :
— Si je peux le deviner, n’importe quel Silkie aussi. Tu t’es donné beaucoup de mal. Ce qui m’apprend que tu as des limites.
Les Silkies pouvaient approcher d’un vaisseau sans être détectés, s’ils étaient prêts à manipuler les ondes d’énergie, mais la méthode était compliquée et exigeait de l’entraînement.
— Eh bien, tu connais mes pensées. Laquelle est la bonne ?
Silence.
— Ton problème, déclara Cemp, c’est que les Êtres Spéciaux ne prennent pas de risques avec les déviants dangereux.
Il espérait que le garçon comprendrait l’ultime résolution des Êtres Spéciaux.
Brusquement, l’enfant soupira.
— Autant l’avouer. Je suis Tem, ton fils. Quand je me suis rendu compte que c’était toi qui approchais du vaisseau, j’ai voulu voir mon père de près. La vérité, c’est que j’avais peur que ces facultés que tu as trouvées si insolites soient détectées. Alors je suis venu ici dans l’espace pour installer une base d’opération où je pourrais me retirer et me mettre à l’abri. Mais je comprends que j’ai besoin d’aide, je crois que des changements devraient survenir dans nos relations avec les êtres humains. À part ça, je suis prêt à obéir et à être rééduqué.
Pour Cemp, ce fut l’éclaircissement décisif. Sur-le-champ, sa résolution fut prise ; il n’y aurait pas d’exécution.
En hâte – car Cemp était un homme pressé – ils discutèrent de la situation. Cemp devrait parler de cette rencontre quand il retournerait sur la Terre. Un Silkie n’avait aucun moyen de dissimuler des faits aux Êtres Spéciaux perceptifs. Et pendant de nombreux mois, tandis qu’il serait au stade de l’accouplement, il n’aurait aucun contrôle d’énergie. Durant cette période, le garçon serait à la merci d’une loi terrible.
Tem se montra dédaigneux.
— Ne t’inquiète pas pour moi. Je suis prêt à les accueillir.
C’étaient des propos de rebelle, dangereux et malheureux. Mais ce n’était pas le moment de le faire remarquer. Ces choses-là pouvaient attendre qu’ils soient de retour chez eux.
— Tu ferais bien de partir maintenant, dit le garçon, mais tu verras, je serai sur la Terre avant toi.
Cemp ne prit pas le temps de demander comment il accomplirait ce miracle de rapidité. Cela aussi pouvait attendre.
Lorsque Cemp se déshabilla chez Mensa, il lui dit avec une fierté considérable :
— Le garçon est mon fils.
Elle ouvrit de grands yeux.
— Ton fils ! Mais…
Elle se tut brusquement.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien. J’ai été surprise, c’est tout.
Cemp acheva de se préparer, puis il s’approcha d’elle et l’embrassa légèrement sur le front.
— Je sens que tu es engagée dans une histoire d’amour.
Elle secoua la tête.
— Pas maintenant. Pas depuis…
Encore une fois elle s’interrompit. Elle paraissait égarée.
Cemp n’avait pas le temps de se soucier de la vie amoureuse d’une femme. Si jamais un homme avait été pressé, c’était bien lui.
Dès que Cemp eut quitté l’appartement de Mensa, le garçon y entra.
— Tu as failli me trahir, dit-il sur un ton qui n’avait rien d’enfantin.
Elle recula, craintive.
— Je ne suis qu’une V, gémit-elle.
Il se mit à changer, à grandir. Bientôt elle eut devant elle un homme pleinement adulte. Il dirigea sur elle une onde d’énergie qui devait exercer une attraction extrêmement puissante car malgré son expression de répulsion, elle avança lentement vers lui. Quand elle fut tout près de lui, il supprima l’onde. Elle recula immédiatement.
L’homme rit. Il se détourna d’elle et, pendant un moment, il entra en communication avec quelqu’un qui se trouvait sur la planète d’une lointaine étoile.
Silencieusement, il lui annonça :
— J’ai finalement risqué une confrontation avec un Silkie, un des puissants habitants de ce système. Il est guidé par une idée appelée les niveaux de logique. J’ai découvert que cela avait un rapport avec son unique rejeton, un garçon qu’il n’a jamais vu. J’ai déformé d’une manière subtile son intérêt pour cet enfant. Je crois que je peux maintenant me poser sans crainte sur la planète principale, qui s’appelle la Terre.
— Pour le déformer, tu as dû l’utiliser comme un canal.
— Oui. C’est le seul risque que j’ai pris avec lui.
— Et les autres canaux que tu as employés, Di-isarinn ?
L’homme jeta un coup d’œil à Mensa.
— À une exception près peut-être, ils résisteront à toute tentative d’exploration de leur esprit par un Silkie. C’est un groupe rebelle qu’on appelle les V qui sont méfiants et hostiles à tous les autres êtres du système. L’exception est une femme V qui est entièrement sous mon contrôle.
— Pourquoi ne pas l’annihiler ?
— Ces êtres possèdent une sorte de rapport télépathique sensitif, qu’ils semblent pouvoir manipuler mais que je n’ai pas encore entièrement compris. Si elle meurt, je crois que les autres le sauront immédiatement. Par conséquent, je ne peux pas faire ce que je ferais normalement.
— Et le Silkie ?
— Il se dirige vers la Terre sous l’emprise d’une illusion. Ce qui est tout aussi important, il doit subir bientôt un changement physiologique qui le dépouillera de tous ses pouvoirs actuels, offensifs et défensifs. J’ai l’intention de laisser ce processus physique suivre son cours jusqu’au bout, et ensuite je le tuerai.