15
Une minute s’écoula avant que l’assaillant semble finalement admettre que Cemp utilisait simplement le rayon lui-même pour renforcer sa barrière. Par conséquent, il ne lui retirait rien et la barrière durerait aussi longtemps que le rayon, en se reformant aussi souvent qu’il serait nécessaire.
Aussi brusquement qu’elle avait commencé, l’attaque de l’énergie cessa.
Cemp regarda autour de lui, atterré. La salle n’était plus qu’un chaos de machinerie tordue, rougie à blanc, de détritus. Les murs de granit s’étaient écroulés, révélant la roche du météorite. De la pierre fondue ruisselait en rigoles des murs et du plafond détruits. De grands pans glissaient et tombaient encore.
Ce qui avait été un bureau moderne s’était transformé en quelques minutes en un amas désolant de métal et de pierre calcinés.
La première réalité fracassante fut pour Cemp que seul l’écran à haute vélocité du Kibmadine l’avait sauvé. L’assaut avait été calculé pour vaincre et briser tout le système de défense et d’attaque Silkie.
L’intention avait été la mort. Pas de marchandage, pas de discussion, pas de questions.
Le dur combat l’avait précipité vers une logique des niveaux spéciale. Il sentit un débordement automatique de haine.
Cependant, au bout d’un moment, il comprit autre chose. J’ai gagné ! pensa-t-il.
Calmé mais farouche, il descendit de cinq niveaux encore et émergea brusquement au niveau supérieur d’un vaste panorama, un immense espace découvert. La ville Silkie de l’espace s’étalait devant lui.
Elle était exactement comme une petite ville de la Terre avec des immeubles, des maisons particulières, des rues bordées d’arbres. Cemp fut médusé, car là aussi les Silkies indigènes avaient visiblement tenté de créer une atmosphère humaine.
Il distinguait des silhouettes sur un trottoir, tout en bas. Il commença à descendre. Quand il fut à une trentaine de mètres au-dessus d’eux, les gens s’arrêtèrent et levèrent les yeux vers lui. L’un d’eux – une femme – dirigea vers lui une pensée stupéfaite :
— Qui êtes-vous ?
Cemp le lui dit.
La réaction des quatre personnes les plus rapprochées fut l’ahurissement. Pas la peur ni l’hostilité.
Le petit groupe, trois femmes et un homme, l’attendit. Comme il descendait, il vit qu’ils faisaient signe à d’autres gens. Bientôt une foule s’assembla, en majorité des formes humaines, en majorité des femmes, mais douze arrivèrent sous la forme Silkie.
Des gardes ? se demanda-t-il. Mais eux non plus n’étaient pas hostiles. Tout le monde était mentalement ouvert, et le plus déconcertant, c’était que personne ne semblait avoir conscience de l’assaut qu’il avait subi dans les bureaux près de la surface.
Instantanément, il considéra leur ignorance comme un coup de chance. En se taisant et en restant sur ses gardes, il pourrait repérer son redoutable assaillant. Il supposa que la violence avait été conçue et mise à exécution au niveau administratif.
Je trouverai ces salauds ! se jura-t-il farouchement.
À son public d’innocents citoyens, il déclara :
— Je suis un émissaire du gouvernement de la Terre. Ma mission est de découvrir quels accords ou alliances seraient possibles.
Une femme, la tête levée vers lui, lui cria :
— Nous n’arrivons pas à nous changer en jolies femmes, comme celles de la Terre. Qu’est-ce que vous suggérez ?
Un éclat de rire général salua ce propos. Cemp fut abasourdi. Il ne s’était pas attendu à de telles dispositions amicales. Mais sa résolution resta inébranlable.
— Je présume que nous pourrons en discuter au niveau gouvernemental, dit-il, mais ce ne sera pas le premier point de l’ordre du jour.
Quelques vestiges de sa haine devaient leur avoir été transmis avec cette pensée car un homme s’exclama :
— Il n’a pas l’air très gentil !
Une femme ajouta vivement :
— Descendez donc, Mr Cemp. Votre vrai pays est ici.
Cemp s’était ressaisi. Il répondit par une pensée posée, directe :
— Ce sera donnant donnant. Pour l’instant, ça va. Mais les agents que votre gouvernement envoie sur la Terre ont proféré d’horribles menaces.
Sa pensée s’interrompit là, perplexe. Car ces gens, tels qu’ils étaient en ce moment, ne semblaient pas capables de ce genre de menaces. Il se dit que ce devait être très important, significatif. Après une brève hésitation, il demanda :
— Je suis ici pour découvrir ce qu’il en est. Alors voudriez-vous me conduire auprès des autorités ?
— Nous n’avons pas d’autorités, répondit une femme.
— Mr Cemp, dit un homme, nous vivons ici dans une liberté totale et vous comme les autres Silkies terrestres, êtes invités à vous joindre à nous.
Cemp insista :
— Qui a décidé d’envoyer ces quatre cents messagers sur la Terre ?
— Nous faisons toujours ça, quand le moment est venu, répondit une autre femme.
— Pour proférer des menaces ? Des menaces de mort ?
La femme parut indécise. Elle se tourna vers un des hommes.
— Tu y es descendu. Est-ce que tu t’es montré menaçant ?
L’homme hésita.
— C’est plutôt vague mais… oui, sans doute. Ça a toujours été comme ça, ajouta-t-il vivement, quand E-Lerd nous conditionne en rapport avec l’Énergie. Les souvenirs ont tendance à s’effacer très vite. Je dois dire que jusqu’à présent je n’avais plus songé à cet aspect menaçant… C’est inouï ! Je pense que nous devrions parler à E-Lerd et en découvrir la raison.
Cemp télépathisa directement à l’homme :
— Quel sentiment conservez-vous de votre mission ?
— Simplement que j’ai fait savoir que nous, les Silkies de l’espace, étions ici et qu’il était temps que les Silkies terrestres connaissent leur véritable origine, répondit l’homme. (Il se tourna vers les autres :) C’est incroyable ! Je n’en reviens pas. J’ai proféré des menaces de mort alors que j’étais sur la Terre ! Ça ne me ressemble pas du tout !
Son ahurissement total était plus convaincant que tout ce qu’il aurait pu dire.
— Si je comprends bien, transmit Cemp avec fermeté, contrairement à ce que vous disiez vous avez bien un chef et ce chef s’appelle E-Lerd.
Ce fut un des Silkies qui répondit :
— Non, il n’est pas notre chef, mais je comprends qu’on puisse le considérer comme tel. Nous sommes libres. Personne ne nous dit ce que nous devons faire. Mais nous déléguons les responsabilités. Par exemple, E-Lerd est responsable de l’Énergie et nous l’utilisons par son intermédiaire. Voudriez-vous lui parler, Mr Cemp ?
— Bien certainement, assura Cemp avec une intense satisfaction.
Il pensait : L’Énergie ! Bien sûr. Celui qui a le contrôle de l’Énergie est le seul qui ait pu m’attaquer !
— Je m’appelle O-Vedd, dit le Silkie de l’espace. Suivez-moi.
Son long corps en forme de projectile se détacha du groupe de corps semblables et jaillit au-dessus des têtes. Cemp l’imita. Ils descendirent devant une petite porte et pénétrèrent dans un étroit corridor aux parois de granit lisses. Au bout d’une trentaine de mètres ils débouchèrent dans un autre espace découvert immense. Là se trouvait une seconde ville.
Du moins, ce fut ce que Cemp pensa un instant.
Puis il remarqua que les bâtiments étaient différents ; ce n’était pas des habitations. Familiarisé comme il l’était avec presque tout l’attirail de l’énergie manufacturée, cela ne faisait pas de doute. Certaines des constructions massives à leurs pieds étaient de celles qui abritent l’énergie atomique. D’autres étaient des centrales électriques. D’autres encore avaient la forme bien reconnaissable des systèmes de transformation Ylem.
Aucun, bien sûr, n’était l’Énergie, mais il y avait là de l’énergie en abondance.
Cemp suivit O-Vedd dans la cour d’un complexe de bâtiments qu’il n’eut aucun mal à identifier, malgré tous les écrans, comme une source de rayons magnétiques.
Le Silkie de l’espace se posa et prit sa forme humaine, puis il attendit que Cemp en fasse autant.
— Rien à faire ! protesta sèchement Cemp. Demandez-lui de venir ici.
O-Vedd fit un vague geste d’indifférence. Comme humain, il était petit et brun. Il s’éloigna et disparut par une porte.
Cemp attendit dans un silence rompu seulement par le faible bourdonnement des machines dans les bâtiments. Une brise effleurait les extensions ultrasensibles à rayons-espions que Cemp maintenait en activité en toutes circonstances. Le vent léger s’enregistrait au moyen du mécanisme espion mais ne déclenchait pas les écrans de défense.
Ce n’était qu’une brise, après tout, et Cemp ne s’était jamais programmé pour réagir à des signaux aussi mineurs. Il allait penser à autre chose, aux Silkies de l’espace – la foule qu’il avait vue lui avait plu – quand il songea brusquement : Une brise, ici ?
Aussitôt son écran s’éleva. Ses percepteurs se projetèrent. Il eut le temps de remarquer, alors, que c’était effectivement un vent léger mais qu’il était provoqué par un vide dans l’espace environnant. Autour de Cemp, la cour devint floue puis elle disparut.
Il n’y avait plus d’astéroïde.
Cemp accrut au maximum toute sa sensibilité aux signaux. Il continua de flotter dans le vide de l’espace et d’un côté il vit le colossal cercle blanc du soleil. Soudain, il sentit son corps se drainer d’énergie. Il avait la sensation que tous ses écrans Silkie s’élevaient, que son système résistait à de nombreux niveaux à une énergie extérieure.
Tendu, désemparé, il pensa : Je me bats. C’est une nouvelle tentative pour me tuer.
Quoi que ce fût, c’était automatique. Sa propre perception demeurait coupée, et il avait envie d’expérimenter ce que l’assaillant voulait.
Cemp se sentait comme un homme soudain attaqué dans l’obscurité totale. Mais le plus effrayant, c’était que ses sens étaient maîtrisés par d’autres forces, l’empêchant de prendre conscience de la nature de l’attaque. Il vit…
La distance disparut !
Là, dispersés sur des kilomètres d’espace, se trouvait un groupe de Silkies. Cemp put les voir nettement, compta avec sa rapidité éclair deux cent quatre-vingt-huit, capta leurs pensées et reconnut les Silkies terrestres renégats.
Soudain, il comprit qu’on leur avait dit où était situé l’astéroïde Silkie et qu’ils “rentraient au bercail”.
Le temps se télescopait.
Tout le groupe de Silkies était transporté apparemment en un instant à une courte distance de l’astéroïde. Cemp se trouvait à quelques kilomètres de lui seulement, trente-cinq au maximum.
Mais pour lui la chose fantastique, mortelle, déroutante, c’était qu’alors que ces événements incroyables se déroulaient à un de ses niveaux de perception, à un autre il conservait la sensation d’être victime d’une tentative d’assassinat.
Il ne pouvait voir, sentir, reconnaître presque rien. Cependant, les sensations fugaces persistaient. Ses champs d’énergie accomplissaient leurs missions défensives. Mais tout cela était très éloigné de sa conscience, comme un rêve humain.
Silkie extrêmement entraîné, Cemp observa les événements internes et externes avec intensité, s’efforça de saisir la réalité, écouta et déchiffra les signaux qui lui arrivaient par milliers.
Il commença à pressentir une signification et à formuler des hypothèses sur la nature du phénomène de monde physique en cause. Et il eut le sentiment d’être sur le point de comprendre quand, brusquement, tout cessa.
La scène de l’espace se brouilla. Soudain, elle s’évanouit.
Cemp était de nouveau dans la cour des bâtiments abritant le complexe d’énergie magnétique. O-Vedd sortait du bâtiment principal, en compagnie d’un homme de la même taille et de même corpulence humaine que Cemp, fortement musclé. Ses traits étaient plus lourds, cependant, et ses yeux marron et non gris.
En s’approchant, il dit :
— Je suis E-Lerd. Vous vouliez me parler ?