De Harry Rosenmerck à Monique Duchêne

 

 

Nazareth, le 17 mai 2009

 

 

Monique,

 

Notre fille est arrivée. Elle va bien. Merci.

Oui, j’imagine que je pourrais t’expliquer des choses maintenant. Avant ça aurait été compliqué. Pas parce que j’en avais peur mais sans doute je ne l’avais pas compris moi-même. Comme l’intrigue d’un film qu’on ne saisit que lorsque la fin arrive.

Je me souviens parfaitement de ces quelques jours. Pourtant, ils sont comme un bloc sombre dans ma vie. Tu as presque raison au sujet de l’adultère. Je devais partir avec une femme. Mariée elle aussi. Nous nous tournions autour. Elle ne me plaisait pas spécialement mais elle m’excitait terriblement. Elle me donnait le sentiment d’être désirable. Et je n’avais jamais ressenti ça. Tu m’as aimé et alors il t’a fallu faire l’amour. Ce n’était pas désagréable mais je ne sentais pas que tu en voulais à ma peau, que tu voulais te fondre en moi. Bref.

Nous avions une excuse bien bâtie pour partir une nuit et une journée afin de nous échapper dans un petit hôtel des Yvelines. Sans autre intérêt que celui d’être équipé d’un matelas qui ne berçait pas nos nuits conjugales respectives.

Son fils aîné a eu une otite. Elle a annulé. J’avais pris la route, je l’appelais pour lui dire que je l’attendais. J’ai regardé longtemps le combiné de la cabine téléphonique dans laquelle je m’étais arrêté. C’était dans une station-service près du Vésinet. Le « plan » de la tromperie voulait que je t’appelle pour t’annoncer une urgence médicale où je ne sais quel infarctus à opérer d’urgence. Mais la machination était à l’eau. D’ailleurs il s’est mis à pleuvoir.

Je suis resté longtemps dans cette cabine. Peut-être une minute, peut-être une heure ? Mais ça m’a paru long. Toute la fatigue de ma vie me tombait dessus.

Je suis remonté dans la voiture et j’ai roulé jusqu’à l’hôtel, machinalement, sans penser aux conséquences, sans m’imaginer ta peur ni celle des enfants. J’étais content que cette greluche ne soit pas venue. Qu’est-ce que j’en aurais fait. Même la baise, soudain, me dégoûtait.

Je me suis couché et j’ai dormi. J’ai sans doute allumé la télévision, fait monter le room-service. Je me souviens d’un état léthargique. Après quelques jours sous anesthésie, j’ai fini par ouvrir les rideaux. Dehors, sur le gravier du parking de l’hôtel, il y avait un couple de gens âgés. La petite dame tenait fort la main de son mari qui avait du mal à marcher. Il y avait beaucoup d’amour dans leurs gestes. Le soleil brûlait mes yeux. J’avais vécu plusieurs jours dans l’obscurité.

Et sans le formuler dans ma tête, je suis reparti vers la fin de ma vie, vers notre vieillesse. Jamais je n’aurais imaginé que nous ne vieillirions pas ensemble, que d’autres vies m’attendaient. Comment expliquer cette virgule silencieuse ? Au cinéma ce serait juste un fondu au noir. Je te remercie de ne m’avoir rien dit quand je suis rentré.

 

À en croire le visage de notre fille, son fondu au noir devait avoir un beau sourire.

 

Je t’embrasse,

 

Harry