De David Rosenmerck à Harry Rosenmerck
Paris, le 4 mai 2009
Cher papa,
Hier c’était la première de ma pièce. Nous étions tous réunis. Maman, qui ressemblait à un sapin de Noël. Plus elle vieillit plus elle met de bijoux. À chaque fois qu’elle riait on aurait dit des grelots. Annabelle m’a fait la surprise d’être là. Je le lui avais demandé comme à chaque fois mais je n’y croyais plus. Petite mine mais quelle douceur. Elle est trop gentille pour être heureuse. Tout individu normalement constitué la broierait. Ce n’est pas qu’on veuille la blesser, non… C’est comme une coccinelle, on se la passe de doigt en doigt pour diffuser du bonheur et on lui arrache une patte maladroitement puis une aile, puis on l’écrase.
Et tu étais là aussi, cher papa. Sous les traits de Robert Étrica. (Je sais tu l’as toujours détesté. Ça m’a d’autant plus amusé.) La pièce s’appelle Cochon casher. J’aurais pu trouver un titre plus fin, je sais. Mais c’est vendeur. C’est d’ailleurs déjà en traduction dans de nombreux pays dont Israël. J’y serai dans quelques mois. Est-ce assez pour que tu visionnes de La Cage aux folles à Tu n’aimeras point ? Que tu relises Oscar Wilde ? Que tu commences une analyse ? Que tu pleures les petits-enfants que tu n’auras pas de moi ? (La coccinelle peut s’en charger, en revanche.) Et que tu me parles, même si tu veux hurler, pleurer ? Je compte bien te revoir avant ta mort, ou la mienne.
Je change. Je vieillis. J’ai tous mes cheveux, ils sont très noirs. Ma barbe blanchit, en revanche. J’ai des lunettes plus épaisses encore. Ma vue ne s’arrange pas. Il paraît que ça me donne du charme. Sûrement. Quand on a du succès, tout donne du charme. Chômeur avec des triples foyers, j’aurais moins plu. Je vais finir aveugle. Tant mieux, avec l’âge il faut être moins exigeant dans ses choix visuels, j’imagine. Je trouverai tout le monde beau. J’aime entendre les choses avant de les voir. Quand j’ai entendu les pas de Laurent, j’ai su que je l’aimais. Et j’ai attendu qu’il m’aime en retour.
Qu’en est-il de ta vie sentimentale ? Une bonne amie ? Un coup ? Un amour retrouvé ? Ou juste l’amour, enfin ?
Je te pose surtout ces questions pour que tu te les poses aussi. Pour que tu sois heureux. Puisque tu ne me réponds pas.
J’ai le sentiment effrayant de ne jamais avoir été si proche de toi que depuis ce silence.
Je ne connais pas ta voix d’aujourd’hui. J’ai en mémoire celle qui me lisait des histoires quand j’étais petit garçon. La voix du Géant de Zeralda. Tu devais avoir l’âge que j’ai ce matin.
David