De : annabelle.rosenmerck@mac.com

À : david.rosenmerck@orange.fr

Date : 10 mai 2009

Objet : Don’t tell (Aviv)

 

 

Cher David,

 

J’ai râlé deux heures parce que papa n’était pas venu me chercher à l’aéroport de Tel-Aviv et j’ai fini par trouver la lettre avec les horaires d’arrivée au fond de mon sac. L’acte manqué !

J’avais oublié de la lui poster. Pas de téléphone, juste une adresse. Mon Dieu, je me suis sentie libre ! Moi, la vieille étudiante de trente-trois piges. Sans horaires. Sans obligations. Sans mec. J’ai allumé une clope. J’ai loué une voiture et j’ai décidé de prendre mon temps pour arriver jusqu’à lui. C’était hier. Et c’est jusqu’à moi que je suis en train d’arriver.

Comme Tel-Aviv a changé. Tu verrais. La jeunesse est belle, libre, frontale, agressive. Des hommes s’embrassent dans la rue. Des soldats côtoient des grandes blondes en leggings et des Falachas en papillotes (ce n’est pas une spécialité du coin. Mais les Éthiopiens juifs religieux !) et des beaux gosses piercés. C’est le nouveau Swinging London, le soleil en prime. J’ai pris une chambre d’hôtel, je me suis dit que j’irais chez papa le lendemain. Puis je suis sortie me promener.

Je me sentais jolie. J’ai beaucoup minci grâce à ce putain de chagrin d’amour. J’avais une petite robe blanche sur ma peau laiteuse. Je me cachais derrière l’objectif de mon appareil comme d’habitude, me découvrant pour regarder ce que je pourrais fixer.

Là un type m’a regardée dans les yeux et m’a dit une phrase en hébreu. J’ai répondu que je ne parlais pas sa langue et il m’a dit « I like you » sans se démonter. « Come. »

Il m’a prise par la main. J’ai fait signe que je n’avais pas payé. Il a jeté un billet de dix shekels sur la table et m’a emmenée avec lui. Il était trois heures de l’après-midi. Il y avait un soleil de plomb. Ma main devenait moite dans la sienne, sèche et rugueuse. Je commençais juste à le détailler. Il avait une sorte d’animalité qui l’emportait sur sa beauté. Mais c’était un homme séduisant. Grand, brun, aux yeux pistache.

« Annabelle », j’ai dit.

Et j’ai répété mon prénom pour qu’il me lâche le sien, « Avi ».

Nous avons traversé quelques rues, puis nous sommes montés dans un immeuble. Je pensais qu’il m’emmenait chez lui. Je ne pensais rien en fait. J’essayais de faire en sorte que mon cœur ne fasse pas exploser ma poitrine.

 

 

C’était un appartement sombre. Tous les stores étaient fermés. Ça ressemblait à une boîte de nuit en plein milieu de l’après-midi. Pas une boum d’adolescents, plutôt un repaire sulfureux. Des gens qui dansent, qui boivent, qui s’embrassent à pleine bouche. Nous avons donc fait les trois. Et puis il m’a amenée dans un recoin encore plus sombre de l’appartement. Il a soulevé ma robe et on a fait l’amour. Parfois je voyais des gens passer mais personne ne semblait offusqué. Il y avait une chanson sur laquelle les gens chantaient et leurs cris ont couvert le mien quand j’ai eu un orgasme fort. Tu ne peux pas savoir comme Avi était beau, comme il m’a tenue fermement entre ses mains. Je me suis sentie minuscule et protégée l’espace d’un instant. Je me suis sentie belle. Puis nous sommes ressortis dans la rue. Nous nous sommes souri longtemps. Il a posé un dernier baiser sur mes lèvres. Avant de se retourner, son corps a fait un mouvement qui m’invitait à le suivre. J’ai baissé la tête, quand je l’ai relevée, il était loin déjà, de dos dans la foule. J’ai juste eu le temps d’attraper mon appareil photo.

 

Annabelle