13. Arrêt sur image

 

11 h 17, commissariat de Rouen,
9, rue Brisout-de-Barneville

 

Raynald Marsac faisait la gueule. Logiquement, il devait être de repos. On l’avait rappelé chez lui il y avait près de deux heures.
Ordre formel du commissaire.
Convocation !
Tout cela pour s’asseoir sur une chaise et regarder dix heures de film d’une caméra fixe sur les quais de Rouen. Passionnant ! Quand il pensait à la terrasse qu’il avait à finir dans son pavillon, ça le déprimait. Pour une fois qu’il était de repos en semaine, un jour où il faisait beau. La poisse. C’était toujours la même chose. En plus, l’inspectrice Cadinot, la pète-sec, l’avait prévenu. Il avait hérité de la bande la plus importante, celle de la caméra la plus proche du Cuauhtémoc, le voilier mexicain en face duquel on avait retrouvé le cadavre.
Il lui fallait ouvrir l’œil. Elle lui avait répété au moins cinq fois. Il n’était pas con, il avait compris. Elle lui avait conseillé de regarder en priorité la tranche horaire entre deux et six heures du matin.
Rien que cela !
Elle lui avait donné une photo du pauvre gars mexicain, et c’était tout. La seule consolation, c’était qu’il avait aussi ordre d’essayer de repérer une fille blonde, plutôt bien roulée, qui théoriquement accompagnait la victime.
Sacré métier ! Il y aurait de quoi écrire un livre. Etre payé à mater les filles ! Quand il raconterait cela aux copains… Bon, allez, il fallait rester concentré !
Trois quarts d’heure plus tard, alors que l’horloge lumineuse de la bande affichait deux heures trente-sept du matin, Raynald Marsac écarquilla les yeux. Un détail l’intrigua. Les quais étaient quasiment déserts, maintenant. Pourtant, il apercevait un homme passant devant le Cuauhtémoc, pour s’arrêter un peu plus loin, presque à l’endroit où le corps du mexicain avait été retrouvé, devant l’embarcadère fermé d’un bateau-promenade, le Surcouf. Il attendit quelques instants, et un autre homme le rejoignit, sortant du bateau-promenade. Un marin, sans doute, ou le capitaine. Les deux individus parlaient, vivement apparemment.
Bizarre !
Bizarre, parler affaires à plus de deux heures du matin. D’autant plus bizarre que le premier homme avait une attitude un peu louche. Raynald Marsac était habitué à repérer ce genre de comportement. Le type sur la bande avait l’attitude d’un homme inquiet qui a quelque chose à se reprocher et cherche à ne pas se faire repérer.
Il saisit la télécommande, revint en arrière et repassa la bande, se positionnant plus près de l’écran. Il guetta le court moment où l’inconnu tournait son visage vers la caméra et stoppa l’image. La résolution n’était pas excellente, mais cela suffisait.
Il approcha encore ses yeux.
Nom de Dieu !
Il connaissait ce visage !
Il ne manquait plus que cela !
Il regarda à nouveau. Après tout, cela pouvait être quelqu’un qui lui ressemblait. Il insista quelques longues secondes. Non, pas de doute. L’image était formelle. Il pensa un instant aller sur internet pour vérifier, mais il savait que ce n’était pas la peine. Il lisait les journaux. Il avait une bonne mémoire.
 
Une bouffée de chaleur monta en lui : il allait devoir annoncer sa découverte au commissaire. Ça risquait de remonter jusqu’en haut lieu, en très haut lieu même. Est-ce que son nom allait apparaître quelque part ? Il espérait que non. Ça allait faire du grabuge, il n’avait aucune envie d’être mêlé à tout cela.
Il se dit qu’avant de tout déclencher, deux avis valaient mieux qu’un. Et puis, au moment d’annoncer la nouvelle au commissaire, être plusieurs ne serait pas plus mal. Il alla chercher le collègue, qui dans la pièce d’à côté était consigné au visionnage d’une autre caméra.
Mourir sur Seine
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